Un chateau en Italie - aff proAprès le succès de Il est plus facile pour un chameau… (Prix Louis Delluc en 2003) et d’Actrices (prix spécial du jury Un Certain Regard à Cannes en 2007), Valeria Bruni-Tedeschi continue dans la même veine semi-autobiographique, entre comédie et drame, avec Un Château en Italie.

Cette fois, son alter-ego se prénomme Louise. C’est une actrice qui a mis sa carrière en stand-by pour prendre le temps de s’occuper un peu de ses proches, car depuis la mort de son père, richissime homme d’affaires italien, les affaires du clan familial ne se sont pas arrangées. La fortune familiale s’épuise. Le fisc français s’intéresse de très près au patrimoine de ces italiens venus s’installer en France pendant les “années de plomb”. Il va peut-être falloir vendre le château en Italie ou le rendre rentable, en le transformant en musée, par exemple. Mais, surtout, la famille est préoccupée par la santé du fils aîné, Ludovic (Filippo Timi), qui se dégrade à vue d’oeil…

Avec ce film, la cinéaste honore la mémoire de son frère, Virginio Bruni-Tedeschi, décédé du SIDA en 2006. Elle y aborde la question du deuil, du temps et de ses ravages, parle de pages qui se tournent et de chapitres d’une existence qui se terminent. Pas franchement joyeux, tout ça… Mais la cinéaste, avec l’appui de ses coscénaristes Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy, sait apporter un peu de fantaisie au drame, un peu de poésie lunaire pour contrebalancer la morosité ambiante.

A ce récit de mort et de deuil répond un second arc narratif, autour des amours et des désirs de la cinéaste, rythmé par le tic-tac de son horloge biologique. Elle y raconte notamment sa rencontre et sa relation tumultueuse avec l’acteur Louis Garrel, et son besoin viscéral de devenir mère à son tour. Donner la vie pour conjurer la mort.
L’une des scènes-clé du film est d’ailleurs celle où, sortant de la clinique où elle a réalisé une fécondation in-vitro, Louise se rend immédiatement au chevet de son frère, qui vit probablement ses derniers jours, pour lui annoncer qu’elle est enceinte. Elle lui fait comprendre qu’il peut partir l’esprit apaisé, qu’elle est désormais capable d’assumer la charge de la famille, de s’occuper de leur mère, de perpétuer la lignée. De faire pousser un peu plus l’arbre généalogique de la famille…

Un arbre. C’est justement cela qui symbolise la maison familiale, ce fameux château en Italie du titre. Un chêne centenaire, majestueux mais malade, qu’il va falloir déraciner, pour une demeure, majestueuse mais désormais inhabitée, qu’il va falloir vendre.
On pense évidemment à “La Cerisaie” de Tchekhov, un auteur qui a permis à Valeria Bruni-Tedeschi, l’actrice, de se faire connaître au début des années 1980, sous la direction de Patrice Chéreau. Il y a un peu des thématiques du dramaturge russe, le côté politique en moins, dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi : la nostalgie d’une époque dorée, les ravages du temps, la nécessaire adaptation au changement.
On pense aussi à certaines tragi-comédies italiennes, celles d’Ettore Scola ou de Luigi Comencini, entre autres, de par cet alliage subtil de fantaisie et de drame, d’embrassades et engueulades, de volubilité et d’intimisme…
Enfin, on pense au style particulier de ce que l’on a appelé, au début des années 1990, la “Nouvelle Nouvelle Vague” du cinéma français, porté par de jeunes cinéastes formés à la Fémis – Rochant, Desplechin, Ferrant ou… Noémie Lvovsky.

Un chateau en Italie - 2

Certains seront peut-être gênés par ce trop plein d’influences, de styles. Ou même de thématiques, puisqu’aux sujets de la famille, du couple, de la filiation, il faut ajouter ceux de la foi religieuse et de la vocation d’acteur… On passe également par les coulisses d’un tournage que l’on devine être celui de Un été brûlant, de Philippe Garrel, on assiste aux errances d’un réalisateur alcoolique, joué par Xavier Beauvois, et, à l’instar de ces religieuses italiennes, gardiennes d’un siège aux vertus fertilisantes, on se demande si une fécondation in vitro en dehors du mariage est assimilable à un péché mortel…
Mais si le scénario semble parfois partir dans tous les sens, la cinéaste sait parfaitement où elle va. Elle signe un film qui lui ressemble beaucoup : généreux, volcanique, tendre et lumineux.
Une agréable surprise de cette 66ème édition cannoise…

Notre note : ●●●●

 

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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