En général, on est vigneron de père en fils.
Dans de nombreux métiers artisanaux, les parents transmettent leur savoir-faire à leurs enfants, qui peuvent ainsi travailler avec eux, puis prendre la direction de l’entreprise familiale, et enseigner à leurs propres enfants le métier. Et ainsi de suite…
Chez les vignerons, cela va encore plus loin. Dans ce métier de culture, les racines sont primordiales, tout comme l’attachement à une terre, à un domaine. Et on élève son vin un peu comme on élève un enfant, avec patience et attention, cultivant les raisins qui, bichonnés jusqu’à leur maturité, donneront des breuvages robustes et raffinés…
La vigne, c’est avant tout une passion, et cette passion se transmet de génération en génération.
Oui, en général, on est vigneron de père en fils…

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Chez les De Marseul, propriétaires d’un château réputé dans le Bordelais, à Saint-Emilion, c’est en revanche beaucoup moins évident…
Le fils, Martin (Lorànt Deutsch), fort de ses études en oenologie, aimerait s’investir davantage dans la gestion du domaine auprès de son père, Paul (Niels Arestrup). Mais si Martin est très attaché au domaine familial, Paul, lui, n’est “pas très attaché à Martin”
Il déteste ce fils qui n’est pas à la hauteur de ses espérances. Il aurait voulu un rejeton qui lui ressemble : charismatique , hâbleur et un rien m’as-tu-vu, comme bon nombre de nouveaux riches.
Martin est tout le contraire : timide, discret, humble et peu porté sur l’esbroufe…
En fait, Paul De Marseul l’aurait sûrement fichu dehors depuis longtemps s’il n’avait pas besoin de lui pour gérer les basses-tâches administrative de l’entreprise familiale et surtout, pour lui donner un petit-fils qui perpétuerait la lignée…
Mais sa bru, Alice (Anne Marivin) ne semble pas pressée de tomber enceinte…

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Quand François Amelot (Patrick Chesnais), le régisseur du domaine, qui a su donner à son vin ses lettres de noblesse, annonce qu’il est atteint d’un cancer incurable et ne pourra pas être aussi présent qu’il ne le souhaite lors des vendanges et de la vinification, Paul décide de laisser une petite chance à Martin et de le préparer à l’assister sur le terrain.
Mais très vite, le naturel reprend le dessus. Paul ne rate pas une occasion d’humilier son fils, de le rabaisser aux yeux de ses employés, et de lui faire comprendre qu’il ne sera jamais digne de lui succéder à la tête du domaine.
”Il faut un nez, il faut un palais… Toi, tu n’as que de l’oreille…” lui balance-t-il, méprisant, avant de réfléchir à d’autres options pour mener à bien les vendanges et la vinification.

Il sait que François a un fils, Philippe (Nicolas Bridet), doué, semble-t-il, des mêmes compétences que son géniteur en matière de viticulture, et parti en Californie pour exporter le savoir-faire français.
S’opposant à la volonté de son régisseur de taire la gravité de sa maladie, il prévient le jeune homme qui revient illico au pays. Puis, mielleux et aguicheur, manoeuvre pour amener Philippe à travailler pour lui, au mépris total des états d’âme de Martin, de nouveau écarté des choses sérieuses…

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A partir de là, une drôle de relation s’instaure entre les deux pères et les deux fils, suivant l’adage “qui se ressemble s’assemble…”.
Philippe ressemble à Paul. Comme lui, il a une âme de leader, un certain charisme, de la  prestance, de l’élégance.
Comme lui, il aime les vêtements de luxe, les chaussures notamment. Et comme lui, il ne fuit pas les mondanités, bien au contraire… Et comme il possède aussi un palais très sûr et une bonne connaissance du vin, Paul voit très vite en lui le fils qu’il aurait aimé avoir… Au point de le traiter comme tel et de voir en lui son véritable héritier…

Martin ressemble aussi à François. Comme lui, il est discret, travailleur, attaché à la terre et aux agriculteurs qui travaillent pour le domaine. Comme lui, il n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis. Comme lui, c’est un homme de l’ombre, qui fait tourner l’affaire pendant que le patron joue les châtelains devant les journalistes.
Même s’il aime son fils, François semble désapprouver ses choix de vie – son parcours à l’étranger, son côté cavaleur et son attirance pour le bling-bling – et nourrit une certaine affection pour Martin, à qui il a beaucoup appris sur la vigne et le terroir du Château De Marseul, comme à un “fils spirituel”.

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La différence est que François sait où est sa place. Même si Paul semble le considérer comme un ami, il sait très bien qu’une barrière de classes les sépare. Il n’est qu’un employé du domaine. Un membre du “petit personnel”, comme Paul aime à appeler ceux qui travaillent pour lui. Aussi, il garde avec la famille De Marseul une certaine distance, qui lui permet d’observer à loisir le petit manège détestable de son patron.

Au fur et à mesure que les liens se resserrent et se distendent entre ces quatre personnages, exacerbant les jalousies, les rancoeurs et les frustrations, la tension monte peu à peu, jusqu’au drame…

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L’une des grandes forces de Tu seras mon fils est de parvenir à plonger immédiatement le spectateur au coeur de cette tumultueuse affaire de famille, de créer un lien entre lui et les personnages et de le conduire lentement mais sûrement jusqu’à un dénouement connu dès le départ, mais dont les tenants et les aboutissants se révèleront assez surprenants. Mais ce n’est pas la seule qualité du film de Gilles Legrand, loin de là…

Puisque le film se déroule autour de la vigne et de la passion pour la dive bouteille, osons les métaphores oenologiques.
Disons déjà que l’on reconnaît pleinement le terroir du cinéma d’auteur français, et l’AOC du drame psychologique.
Admirons le subtil mélange de “vieilles vignes” en pleine maturité  et de “jeunes pousses” du cinéma hexagonal : Niels Arestrup, une fois de plus parfait en figure paternelle à la fois charmeuse et détestable, Patrick Chesnais, impeccable de sobriété et d’émotion contenue, Lorànt Deutsch, crédible en fils timide et écrasé par l’ogre paternel, et Nicolas Bridel, tout aussi à l’aise… Les femmes évoluent un peu en retrait dans cette affaires d’hommes, mais Valérie Mairesse et Anne Marivin tiennent leur rôle avec talent et justesse de jeu.

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Le découpage des scènes, comme la taille des raisins, obéit à un montage très rigoureux, où chaque scène sert le récit et la progressive montée de la tension.
La vinification se fait avec un mélange de douceur – les vignes de Saint-Emilion baignées dans une belle lumière de fin d’été – et d’acidité – les répliques vachardes que s’échangent les personnages.
Le tout est joliment équilibré, entre élégance et puissance rustique, un peu boisé (les cercueils, comme les fûts de maturation, sont en chêne…) mais pas trop, et épicé juste comme il faut avec la musique d’Armand Amar.
Le résultat est un film à la fois souple et tannique, à la robe sensuelle (superbe photo d’Yves Angelo) et au goût de cinéma très prononcé…

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Un grand cru? Trop tôt pour le dire. La valeur d’un film ne se constatant souvent qu’après plusieurs années de vieillissement dans la cave de nos mémoires. Mais il s’agit assurément d’un cru de qualité.
L’association entre le propriétaire du domaine – le réalisateur Gilles Legrand, qui n’a souvent livré qu’un “vin de table” très ordinaire (Malabar Princess, La Jeune fille et les loups) – et sa nouvelle oenologue – la talentueuse romancière Delphine De Vigan – a donné de beaux raisins…
Tu seras mon fils est l’une des belles surprises de cette fin d’été, à découvrir en salle avant d’aller boire un verre de bon cru classé de Saint-Emilion – ou de Margaux, ou de Graves, ou de n’importe quel vin élaboré avec amour par les vignerons, et leurs fils, et après eux, les fils de leurs fils…
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Tu seras mon fils

Réalisateur : Gilles Legrand
Avec : Niels Arestrup, Lorànt Deutsch, Patrick Chesnais, Nicolas Bridel, Anne Marivin, Valérie Mairesse
Origine : France
Genre : drame psychologique français AOC
Durée : 1h42
Date de sortie France : 24/08/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Le Nouvel Obs

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