The Lost KingPour nous, français, le roi anglais Richard III n’évoquera sans doute pas grand chose. Mais on peut probablement en dire autant des sujets du Royaume-Uni, pourtant très attachés à leurs traditions monarchiques. Eux non plus n’ont finalement que peu d’informations sur cet éphémère souverain, qui régna sur l’Angleterre entre 1483 et 1485. En tout cas, guère plus que nous, puisque nous avons accès aux mêmes données, à savoir la fameuse pièce de William Shakespeare, adaptée à plusieurs reprises au cinéma, notamment par Laurence Olivier. Sous la plume du dramaturge, Richard III y est présenté comme un être absolument détestable, un type difforme, hideux et dévoré par l’ambition, n’ayant pas hésité à intriguer et comploter pour devenir roi, en se débarrassant de tous ceux qui auraient pu gêner son ascension au pouvoir, à commencer par ses neveux. Charmant personnage… Pas de quoi chercher à s’intéresser à l’individu qui a inspiré la pièce, d’autant que les autorités britanniques l’ont toujours considéré comme un usurpateur et que sa dépouille avait disparu sans bénéficier des funérailles royales exigées par son rang. Pourtant, certains historiens amateurs, les “ricardiens” ont oeuvré pour lui redonner ses lettres de noblesses, si l’on ose s’exprimer ainsi, et essayer de montrer que ce portrait peu flatteur ne correspondait pas à la réalité, mais à une propagande de son successeur, Henri VII, pour asseoir sa légitimité sur le trône, la pièce de Shakespeare ne faisant que reprendre cette image factice.
Parmi les ricardiennes les plus combatives, on trouve Philippa Langley, qui s’est découvert sur le tard une passion pour Richard III. Du jour au lendemain, elle a quitté son travail pour se documenter sur le souverain honni et tenter de redorer son image. Elle s’est aussi mis en tête de chercher ses restes, afin de pouvoir lui offrir une sépulture décente et  lui donner une nouvelle occasion de rentrer dans l’histoire, plus de cinq siècles après sa mort.

Son histoire a séduit l’acteur Steve Coogan, qui, aidé de Jeff Pope, a écrit le scénario de The Lost King. Il a proposé à son complice Stephen Frears de le mettre en scène et engagé Sally Hawkins pour incarner Philippa Langley.
Le récit revient évidemment sur le parcours atypique de cette historienne en herbe et son parcours du combattant pour convaincre les autorités de l’aider à mener son projet un peu fou. Il relate ses efforts pour faire autoriser les fouilles, mobiliser des scientifiques experts en archéologie, solliciter des financements publics, puis privés, sur la simple base d’une intuition saugrenue, plaçant la tombe de Richard III sous ce qui était devenu un parking extérieur.
Mais il s’intéresse aussi à la personnalité de cette femme ordinaire et aux raisons qui l’ont poussée à se lancer dans cette aventure. Dans le film de Stephen Frears, le déclic se trouve à la fois dans une déception professionnelle et le choc ressenti face à la pièce de Shakespeare sur scène, et la compassion éprouvée pour le personnage. Philippa est déçue quand on lui refuse la promotion qu’elle aurait pourtant méritée. Sur les six personnes bénéficiant d’un avancement, cinq sont des hommes et la dernière est une femme beaucoup moins expérimentée qu’elle. Son employeur lui avoue sans détour avoir misé sur une femme plus jeune (et probablement plus jolie) et en parfaite santé, contrairement à Philippa et ses crises récurrentes, liées à un syndrome de fatigue chronique. La quadragénaire encaisse difficilement le choc. Se retrouvée ainsi mise à l’écart en raison de son sexe, son âge, son apparence et ses handicapants problèmes de santé, et sans tenir compte de ses efforts et de ses performances est pour elle une réelle injustice. C’est peut-être pour cela qu’elle est bouleversée par la description que Shakespeare fait de Richard III. L’homme était bossu, hideux, tourmenté, donc il ne pouvait être que la pire des crapules, un type méprisable destiné à être oublié par l’Histoire. Elle a le pressentiment qu’il est lui aussi victime d’une profonde iniquité. Entre laissés pour compte, on se comprend… Alors, elle cherche à en savoir plus, lit tous les ouvrages traitant du véritable Richard III, s’inscrit à la section locale de la Richard III Society, et se lance dans cette quête un peu folle qui consiste à retrouver les ossements du personnage historique.
Ce faisant, elle fait preuve de nombreuses qualités : opiniâtreté, abnégation, capacité à fédérer des personnes autour d’un projet, habileté à tisser un argumentaire à partir de faits et de suppositions… Autant d’éléments que son employeur était probablement incapable d’apprécier à sa juste valeur. Mais si elle n’obtenait guère de reconnaissance dans son travail, après des années d’expérience, elle peine encore plus à se faire une place dans l’univers professionnel des historiens et des universitaires, entre les grands pontes pédants et imbus d’eux-mêmes et les académiques frileux. Des hommes, le plus souvent, assez machos et conservateurs, ayant du mal à accepter de se laisser dicter leur conduite par une amatrice même pas si éclairée que cela – illuminée serait un mot plus adapté puisqu’elle parle fréquemment avec le fantôme du défunt souverain… Là encore, Philippa Langley doit se battre, étape après étape, en s’appuyant sur de rares mais précieux soutiens.

On le sait aujourd’hui, l’obstination de cette femme a fini par payer. Les intuitions géniales de Philippa Langley se sont avérées exactes et la campagne “Looking for Richard” a permis de retrouver les ossements du monarque, lui offrant la possibilité d’être enfin enterré dignement, avec les honneurs. Pourtant, son travail n’a, là encore, pas été immédiatement reconnu à sa juste valeur. Le film de Stephen Frears montre comment l’Université de Leicester, pourtant peu emballée par le projet à l’origine, a fini par s’approprier une bonne partie du mérite des fouilles archéologiques en reléguant au second plan celle qui a tout organisé, qui s’est battue pour le projet. Et il permet de lui rendre justice, d’une certaine façon.
Evidemment, suite à la sortie du film au Royaume-Uni, l’Université de Leicester n’a pas apprécié de se voir ainsi traînée dans la boue et a remis en question la version véhiculée par le film de Stephen Frears sur le manque de reconnaissance pour le travail de Philippa Langley. Par un communiqué, elle a manifesté son courroux et menacé Langley et la production du film de poursuites judiciaires pour diffamation. C’est finalement assez cocasse de voir le film de Stephen Frears se retrouver dans la même position que la pièce de Shakespeare, accusé de salir l’image d’un pauvre hère (d’ailleurs prénommé Richard).
Qui sait? Peut être une nouvelle société ricardienne cherchera-t-elle un jour à redorer l’image de Richard Taylor, ce brave universitaire de Leicester injustement dépeint comme un triste sire, macho, peu inspiré et prompt à s’attribuer les honneurs sans mérite. Mais il est plus probable que “l’hiver de son mécontentement” ne réussisse jamais à se muer “en un été glorieux”…

En attendant, c’est bien Philippa Langley qui est à l’honneur dans The Lost King. Même si la mise en scène de Stephen Frears est parfois un peu trop sage, voire “académique”, le film, porté par une belle performance de Sally Hawkins,  réussit à nous captiver et à faire connaître à de nombreux spectateurs le travail de cette femme d’exception, qui a été nommée Membre de l’Empire Britannique (MBE) par la Reine Elisabeth II.


The Lost King
The Lost King

Réalisateur : Stephen Frears
Avec : Sally Hawkins, Steve Coogan, Mark Addy, Harry Lloyd, Lee Ingleby, James Fleet, Bruce Fummey, Amanda Abbington
Genre : Looking for Philippa
Origine : Royaume-Uni
Durée : 1h49
Date de sortie France : 29/03/2023

Contrepoints critiques :

”Il y a dans cette fable contemporaine quelque chose de si circonscrit au rapport que les Britanniques entretiennent avec leur Couronne qu’il est assez difficile de s’y investir émotionnellement : désolé, mais la “démocratisation de la royauté”, ça ne nous fait rien ressentir, à nous – à part peut-être à Stéphane Bern.”
(Théo Ribeton – Les Inrockuptibles)

”Avec beaucoup d’humour, The Lost King dresse le portrait d’une héroïne modeste, handicapée par un syndrome de fatigue chronique mais portée par une intuition presque magique. Si les scènes où elle discute « pour de vrai » avec le défunt objet de sa passion semblent too much, le récit de ses recherches se savoure avec le sourire.”
(Marie Sauvion – Télérama)

Crédits photos : Copyright Pathe Productions Ltd

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article« Je verrai toujours vos visages » de Jeanne Herry
Next article« Les Trois mousquetaires : d’Artagnan » de Martin Bourboulon
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY