Dans sa jeunesse, Philomena Lee a cédé aux avances d’un garçon de passage et s’est retrouvée enceinte. Dans l’Irlande catholique des années 1950, les rapports en dehors du mariage étaient fortement réprouvés par la morale, à plus forte raison s’ils débouchaient sur une grossesse. Et bien sûr, l’avortement n’était certainement pas une option envisageable. Les pécheresses étaient répudiées par leurs familles et envoyées au couvent pour y accoucher. Puis les soeurs leur enlevaient leurs enfants pour les confier à des familles adoptives aisées, tandis que les jeunes mères-célibataires étaient “rééduquées” par le travail et une éducation religieuse stricte. C’étaient les fameux “Couvents Madeleine”, ces lieux terrifiants décrits par Peter Mullan dans son film The Magdalene Sisters.

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Philomena Lee a bien été envoyée dans l’un de ces endroits. Plus exactement au couvent de Roscrea. On ne saura pas si elle a subi les mêmes sévices et les mêmes humiliations que les personnages du film précité, mais il est certain que son séjour dans cet endroit n’a pas dû être une partie de plaisir. Et surtout, c’est là qu’on lui a enlevé son fils, Anthony. Le petit garçon a été confié aux bons soins d’un couple de bourgeois américains alors qu’il était âgé de trois ans, sans que Philomena puisse s’y opposer.
Aujourd’hui, elle a eu plusieurs enfants et même des petits enfants. Au crépuscule de sa vie, elle s’estime comblée de l’existence qu’elle a vécue. Mais elle n’a jamais pu oublier cet enfant qu’on lui a arraché à la naissance. Elle pensé à lui tous les jours, en se demandant ce qu’il a bien pu devenir. Qui l’a adopté? Où est-il désormais? A-t-il été heureux? Est-il devenu quelqu’un de bien? Se souvient-il encore de sa petite enfance et de sa mère biologique?
Les questions se bousculent sans cesse, empêchant la vieille femme de trouver cette paix intérieure à laquelle elle aspire.

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Quand sa fille prend connaissance de cette histoire, après cinquante années de secret, elle est bouleversée. Lors d’une soirée, elle rencontre le journaliste Martin Sixsmith. L’homme vient de perdre son poste de conseiller ministériel et est alors complètement désoeuvré – et un brin déprimé. Elle lui propose d’écrire les mémoires de sa mère et de l’aider à retrouver la trace de ce fils disparu. Sixsmith, d’abord peu emballé par ce récit trop mélodramatique, finit par accepter la mission. Flanqué de Philomena, il se lance dans une longue  enquête  qui va les conduire des vertes vallées irlandaises jusqu’à Washington, aux Etats-Unis, et permettre, in fine, à la vieille femme de guérir cette blessure datée de plus de cinquante ans…

Après le calamiteux Lady Vegas, on s’était dit que Stephen Frears était sur le déclin, voire carrément perdu pour le cinéma. Fort heureusement, notre jugement était un peu hâtif. Le cinéaste britannique nous revient en pleine forme avec cette histoire, toujours inspirée de faits réels, mais cette fois-ci, beaucoup plus convaincante et enthousiasmante. Philomena est en effet une oeuvre lumineuse, à la fois drôle et bouleversante, mise en scène avec beaucoup de minutie.
Il faut dire qu’il est bien aidé, cette fois, par un récit autrement plus touchant que les déboires d’une cruche trop naïve à Las Vegas, qu’il peut s’appuyer sur le livre, déjà bien construit, du vrai Martin Sixsmith (1) et, surtout, sur un duo d’acteurs au sommet de leur art : Judi Dench, en état de grâce, et Steve Coogan, bien plus sobre qu’à l’accoutumée.

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Car, autant que l’émouvant combat d’une mère pour retrouver son fils après un demi-siècle de séparation, le film repose sur l’opposition de caractères entre la pieuse et droite Philomena et le journaliste, cynique et athée. Les joutes verbales entre les deux personnages sont savoureuses, alternant piques pince-sans-rire et élans de tendresse réciproque. Leur complicité grandit au fil des minutes, et provoque immanquablement l’adhésion du spectateur. On rit, on s’émeut des révélations qui jalonnent la quête de vérité de ce duo d’enquêteurs très spéciaux. Et tout est amené avec délicatesse, tout en subtilité, sans jamais sombrer dans le pathos.

Même le message politique du film, la dénonciation des ‘Couvents Madeleine” et du tort causé à des dizaines de mères célibataires ou de filles aux moeurs légères, est traité avec douceur, en évitant tout manichéisme. La condamnation de Sixsmith – et de Frears avec lui – est ferme, nette et précise. On ne peut que détester les méthodes de ces Soeurs qui, non content d’avoir privé des femmes de leurs enfant au nom de dogmes imbéciles, ont ensuite menti pour ne pas avouer leurs erreurs et pour empêcher les enfants adoptés de retrouver leurs mères biologiques. Mais Philomena, elle, vient calmer notre colère. Malgré tout ce qu’elle a subi, malgré toutes les épreuves rencontrées, elle possède suffisamment de ressources morales et de foi chrétienne pour accorder le pardon à celles qui ont brisé sa vie. Cette dame âgée, d’une dignité admirable, nous offre une remarquable leçon de tolérance et d’humanité, qui vaut à elle seule la peine de découvrir ce long-métrage.

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Il convient de préciser que Philomena n’est quand même pas le film le plus magistral de Stephen Frears. La mise en scène manque parfois d’audace au regard des meilleures réalisations du cinéaste, et le film ne s’emballe vraiment qu’à partir du moment où le duo traverse l’Atlantique pour partir sur les traces d’Anthony. C’est toutefois une oeuvre réussie, tendre et drôle, qui brille par son esprit et son humanisme. Après avoir réussi la gageure de conquérir l’ensemble des festivaliers de la dernière Mostra de Venise – journalistes, professionnels et grand public – il devrait aujourd’hui faire le bonheur de très nombreux spectateurs français. C’est tout le mal qu’on souhaite à Stephen Frears…
(1) : « Philomena » de Martin Sixsmith – Presses de la Cité

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Philomena Philomena
Philomena 

Réalisateur : Stephen Frears
Avec : Judi Dench, Steve Coogan, Sophie Kennedy Clark, Anna Maxwell Martin, Peter Hermann
Origine : Royaume-Uni
Genre : tendre, drôle et poignant
Durée : 1h38
Date de sortie France : 08/01/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : Philomena

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