En Italie, tempérament latin oblige, les spectateurs aiment à manifester bruyamment leur appréciation d’un film en fin de séance.
Si l’oeuvre plaît, le public gratifie son auteur d’un tonnerre d’applaudissements, comme partout ailleurs sur la planète, accompagné parfois de tonitruants “Bravo!”.
Si elle déplaît, le public réagit selon une échelle de valeur dépendant du degré de désaffection. Au premier degré, il y a une grève des applaudissements, un silence de plomb.  (Le public n’a pas aimé, mais il reste poli). Au second, on entend quelques sifflets. Au troisième, des huées se mêlent aux sifflets (Là, le public veut bien faire comprendre au cinéaste qu’il n’est pas content…). Au quatrième stade, des voix viennent couvrir les huées et les sifflets, souvent pour dire “Ma che vergogna!”, c’est-à-dire “Quelle honte!” (Là, on est au bord du scandale historique). Et puis, il y a le cinquième stade, celui de l’insulte. Le spectateur, excédé, agonit d’insultes le film, les acteurs, le metteur en scène. C’est ce qui est arrivé à la fin de la projection de presse de Mother! de Darren Aronofsky, qui a été accueilli, par sifflets, huées, “che vergogna” et même un tonitruant “Vaff… [censuré]”, que l’on pourrait traduire poliment par “va te faire voir chez les grecs”.


Mother - 2

Certes, le cinéaste américain est habitué à ce genre d’accueil. Dans ce même festival, The Fountain avait connu un accueil tout aussi houleux. Mais on se demande bien pourquoi tant de haine parce qu’objectivement, Mother! est une oeuvre riche, intense, proposant de superbes moments de cinéma. Sans doute certains thèmes abordés – trop tabous, trop violents, trop religieux – ont-ils heurté les convictions de certains spectateurs, mais de là à insulter un film…
Ironiquement, cet accueil houleux, et le comportement des fans lors de la conférence de presse – ils se sont jetés sur les acteurs à peine la dernière question posée – trouve une parfaite résonnance dans l’une des scènes cruciales du film.
Difficile d’en dire plus sans risquer de gâcher le plaisir aux spectateurs. Disons juste que le film joue avec les codes du film fantastique, s’inspirant de Rosemary’s baby et de plusieurs films sur le thème de la sorcellerie ou de la maison hantée, pour proposer une oeuvre plus personnelle, réflexion sur la création, la célébrité et la contamination de la sphère intime par les problèmes du monde.
Le scénario tourne autour d’un écrivain en panne d’inspiration (Javier Bardem) et de sa jeune épouse (Jennifer Lawrence), qui essaient de prendre un nouveau départ dans une vieille maison décrépie ayant apparemment été le théâtre d’évènements tragiques. Pendant qu’il essaie de guérir du syndrome de la page blanche, elle s’occupe en retapant la maison, pièce par pièce. Leur quiétude est soudainement troublée par l’irruption d’un couple de passage (Ed Harris et Michelle Pfeiffer), qui abuse de leur hospitalité en se faisant de plus intrusif, tant dans leur occupation des lieux que dans leurs questions, indiscrètes. Cela provoque des tensions entre l’écrivain et sa femme, et ouvre la porte à une succession d’évènements étranges, réveillant au passage le mal souterrain dont la demeure est atteinte.
Cette construction scénaristique offre aux acteurs l’occasion de briller : Javier Bardem n’a aucune peine à incarner cet écrivain ogresque, prêt à tout pour retrouver l’inspiration. Jennifer Lawrence est impeccable dans la peau de cette jeune femme qui essaie d’exister tant bien que mal dans l’ombre de ce mari imposant, plus âgé et plus connu qu’elle. Quant à Ed Harris et Michelle Pfeiffer, ils réussissent en peu de scènes à rendre inquiétants leurs personnages, casse-pieds aux motivations troubles.
Mais elle est surtout prétexte à une démonstration de mise en scène. Le plus impressionnant, c’est la fluidité de la séquence centrale, celle qui sert de point de bascule du récit, l’entraînant dans la folie et la frénésie. En quelques plans, le cinéaste confère à son récit une ampleur inattendue, l’enrichissant du même coup de plusieurs niveaux de lecture, aussi passionnants les uns que les autres.


woodshock - 2

Présenté hors compétition dans la section “Cinema nel giardino”, Woodshock, le premier film de Kate et Laura Mulleavy, a reçu un accueil négatif de magnitude 2,5 sur l’échelle de Mother! Pas d’insultes, pas de “Che vergogna”, mais des ricanements et des soupirs en plus des sifflets.
Là, on est plus enclins à le comprendre, car la déception est à la hauteur des attentes. En effet, les premières images du film laissaient entrevoir une oeuvre quasi-expérimentale et visuellement sublime, une errance sous influence de David Lynch et de Lars Von Trier. Elles sont bien dans le film, insérées dans quelques plans esthétiquement magnifiques jouant sur les surimpressions, les effets de miroir, l’utilisation de motifs récurrents, mais hélas, elles ne peuvent pallier au manque de densité du scénario. Car il n’y a pas vraiment d’intrigue. On suit juste le bad trip d’une femme dépressive, incapable de faire le deuil de sa mère, et devant aussi assumer une erreur professionnelle aux conséquences funestes. Pour un court-métrage, ce serait probablement très bien, mais étiré sur près de deux heures, cela devient vite répétitif, pour ne pas dire pénible, d’autant que les soeurs Mulleavy ne proposent finalement pas grand chose de novateur.
En fait, le seul intérêt du film, hormis son environnement esthétique, c’est la performance de Kirsten Dunst qui excelle dans ce registre neurasthénique, qui lui a valu le prix d’interprétation cannois pour Melancholia. On peut s’en contenter, mais on a aussi le droit d’exprimer une certaine frustration. C’est bien de faire de belles images, mais encore  faut-il qu’elle parviennent à toucher le spectateur ou servir un véritable propos. La virtuosité d’Aronofsky dans Mother! lui sert à proposer aux spectateurs différents niveaux de lecture. Celle de Von Trier dans Melancolia aussi… Woodshock ne propose qu’un seul niveau de lecture, et encore… Les soeurs Mulleavy peuvent faire mieux…


the third murder - 3

Plutôt habitué à un accueil chaleureux dans les festivals de cinéma, à Cannes ou à Venise, Hirokazu Kore-Eda a cette fois été reçu fraîchement par les festivaliers de la Mostra. Son Troisième meurtre a reçu un accueil de niveau 1, celui de l’ennui poli, du silence gêné, de la moue perplexe devant une oeuvre inutilement compliquée.
Le cinéaste japonais délaisse ici son domaine de prédilection, la chronique intimiste, pour s’attaquer à un polar ambigu et embrouillé, dans l’esprit des films de son compatriote Kiyoshi Kurosawa. Au vu de la première scène, on pourrait pourtant penser que les choses sont très simples. On voit clairement Mikuma (Koji Yakusho, l’un des acteurs fétiches de Kurosawa, justement…) assommer violemment un homme, puis brûler sa dépouille sur un quai abandonné. Sa culpabilité ne fait aucun doute, d’autant qu’il est passé aux aveux devant les policiers chargés de l’enquête. Mais pour les avocats, chargés de lui éviter la peine capitale, les choses ne sont pas si claires que cela. Leur client n’arrête pas de changer sa version des faits et certains détails de sa description ne cadrent pas avec la chronologie des faits. Shigemori (Masaharu Fukuyama) un jeune avocat opiniâtre, est chargé de faire toute la lumière sur cette affaire. Très vite, il se met à douter de la version des faits de son client et remet en question sa culpabilité. S’il a commis le crime, quel est son mobile? S’il ne l’a pas commis, essaie-t-il de protéger quelqu’un?
Kore-Eda s’amuse avec les codes du genre, en faisant semblant de multiplier les fausses pistes et les rebondissements, mais il se moque bien de donner un résolution à son énigme, Cette trame narrative n’est en fait que prétexte à une réflexion sur les notions de vérité et le mensonge, de crime et de châtiment, de justice des hommes et de justice divine…
Cela pourrait sans doute être intéressant avec d’autres choix de mise en scène, car le principal problème, c’est le rythme du récit, lent, bavard, monocorde, plombé par une tonalité déprimante. Le film manque trop d’aspérités, de relief, de changements de rythme, pour garantir l’adhésion du spectateur. Les amateurs de cinéma de genre nippon risquent de ne pas accrocher et les admirateurs de Kore-Eda seront sans doute eux-aussi déroutés, ne retrouvant pas la patte singulière du cinéaste japonais…


la gatta cenerentola - 2

Dans la section Orizzonti, Gatta Cenerentola n’a pas beaucoup plus convaincu. Il a été accueilli par quelques rares applaudissements et, là encore, une indifférence polie.
Ce dessin animé italien, signé par Ivan Cappiello, Marino Guarnieri et Alessandro Rak, est une variation autour du conte de Cendrillon, dans un univers à la Jules Verne, entre esthétique tirée du XIXèe siècle et science-fiction. Mia, Cendrillon moderne, tombe entre les main d’une marâtre à l’allure de femme fatale et de son amant, un baron de la mafia napolitaine, après une machination ayant conduit à la mort de son père. Quelques années plus tard, son “Prince charmant” – son ex garde du corps – part à sa recherche, à la faveur d’une intervention policière dans le repaire des gangsters…
Là aussi, tout semble inutilement alambiqué. On comprend que les cinéastes cherchent à dénoncer, en filigrane, la mainmise de la mafia sur la ville de Naples, ce qui empêche la ville de se développer, mais le récit en lui-même est particulièrement confus et les péripéties ne sont pas passionnantes. Cela dit, l’esthétique de l’oeuvre est soignée et la narration, trépidante. De toute façon, et le film est suffisamment court pour que l’ennui ait le temps de s’installer…


Jim-Andy-3

A part cela, y a-t-il des films qui trouvent grâce auprès du public vénitien? Oui, au moins un : Jim et Andy – The great beyond.
Souvent très drôle, truffé d’anecdotes savoureuses, le documentaire de Chris Smith relate le tournage de Man on the moon , de Milos Forman, en proposant de nombreuses images d’archives et extraits de films. Il s’intéresse surtout au travail de Jim Carrey, pour incarner un Andy Kaufman plus vrai que nature, 24 heures sur 24.  Pour ceux qui en doutaient, c’est l’occasion de vérifier que Carrey est un excellent acteur et qu’il est bien trop rare à l’écran et pour les cinéphiles, c’est un grand bonheur que de plonger ainsi dans les coulisses de la création cinématographique.
Et puis, c’est un bon client pour les médias. Il a mis un peu d’animation durant la conférence de presse et s’est ainsi assuré de la bienveillance d’une bonne partie des journalistes. Pas si “Dumb”…

A demain pour la suite de nos chroniques vénitiennes…

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