Chalut les humains,

Je le reconnais, c’est sans enthousiasme que je suis allé voir Les Misérables, le nouveau film de Tom Hooper.
J’avoue que je ne suis pas fan des shows musicaux de Broadway – à part “Cats”, bien sûr, et les vieilles revues des Ziegfield folies – et ceux qui fréquentent assidument ces colonnes savent que les blockbusters américains sans âme sont loin d’être ce que nous préférons au cinéma. Or ce film-là cumule les deux “qualités”.
Je n’étais pas non plus très chaud à l’idée de voir le chef-d’oeuvre de Victor Hugo triplement massacré. Une première fois par Alain Boublil et Jean-Marc Natel, dans la version originale française de la comédie musicale. Une seconde fois dans la version anglaise, avec les noms des personnages prononcés bizarrement – Jaunevaljane, Javeurte, Faune-tine, Queçette, les Tinardire… Et une troisième fois remixée à la sauce sirupeuse hollywoodienne.
Enfin, j’avais lu et entendu tant d’horreurs sur le casting (foireux), le scénario (bidon), les décors (en carton), la mise en scène (en carton aussi) que la perspective de cette sortie cinéma était aussi engageante qu’une visite du Parc Saint-Paul sous la pluie.
L’avantage, c’est qu’avec tout ça, je ne risquais pas d’être déçu. Au pire, c’était aussi nul que prévu, et je pouvais encore être agréablement surpris.

Les Misérables - 6

Les premières minutes laissent pourtant à penser qu’on s’oriente vers la première option.
On y voit des bagnards – plutôt en forme au vu de leurs conditions de vie – tirer un bateau tout en poussant la chansonnette. Curieux? Non, normal, car il convient ici de préciser que le film ne contient aucun dialogue parlé. Tout le film est “ en chanté”, comme chez Jacques Demy, la grâce en moins, l’emphase en plus.
La caméra se fixe sur l’un d’entre eux. C’est le héros, Jean Valjean, ah pardon “Jaunevaljane”. Il est incarné par Hugh Jackman. Un peu frêle pour le rôle, comparé à un Jean Gabin, un Harry Baur ou un Lino Ventura, mais au moins le garçon a commencé par la comédie musicale et il est capable de chanter à peu près correctement. Ce qui n’est pas le cas de son partenaire, Russell Crowe – Javert ou plutôt “Javeurte” – qui, non content de chanter comme une casserole, est à peu près aussi expressif qu’une poêle à frire. Il est loin de faire ressortir la hargne et le côté obsessionnel du personnage créé par Hugo. Cela s’appelle une erreur de casting, et une belle! 
Javert annonce à Valjean qu’il peut quitte le bagne. Il a purgé sa peine : 19 ans de travaux forcés pour avoir volé un quignon de pain. Ca fait cher la baguette… Mais pour le policier, qui vole un oeuf vole un boeuf, qui vole un pain vole un moulin et un criminel restera toujours un criminel. Aussi, Valjean restera en liberté conditionnelle, obligé d’aller chaque semaine se présenter aux autorités, dans un endroit de France différent. Et sur ses papiers d’identité, il a été notifié qu’il est un homme dangereux. Ce qui le prive de travail et l’oblige soit à mendier, soit à voler. Pire que le bagne.

Les Misérables - 5

Première partie du film, premier look de la mort pour Hugh Jackman : vêtu d’un sac à patate, le crâne rasé par un coiffeur psychopathe, une barbe mal taillée façon Jésus. Ca tombe bien, c’est dans la Maison de Dieu qu’il va trouver sa nouvelle voie (mais pas sa nouvelle voix, ça pique encore un peu…).
Un prêtre lui offre le gîte et le couvert pour la nuit. Valjean le remercie en piquant l’argenterie. Et quand les policiers le surprennent avec son butin, quelques mètres plus loin, il pense qu’il est bon pour retourner illico au bagne. Mais le bon curé dit aux gendarmes de le relâcher, qu’il lui a donné tous ces objets. Il lui rend la liberté tout en lui offrant de quoi démarrer une nouvelle vie. Valjean est touché par la grâce. Il jure à Dieu de prendre définitivement le droit chemin et de faire le bien. Il se déleste de son identité de forçat sans le sou et devient Monsieur Madeleine. Huit ans plus tard, on le retrouve à la tête d’une usine textile dans le Nord de la France et Maire de la localité… 

Les Misérables - 8

A ce point du récit, j’avoue, j’étais prêt à déserter la salle, vaincu par les beuglements en continu, les costumes ringards, la mise en scène plate et le trip moralisateur religieux à l’américaine. Et puis là, miracle. Un mouvement de caméra aérien – ça tranche un peu avec les gros plans dont abuse Tom Hooper – une voix qui sonne juste – ça tranche avec celle de Russell Crowe – et un visage expressif – idem.
Anne Hathaway apparaît, dans le rôle de Fantine, une ouvrière de l’usine de Valjean. qui ne ménage pas sa peine pour survivre et payer la pension où elle a laissé sa fille, Cosette. Sa beauté lui vaut de subir les avances du contremaître et la jalousie de ses collègues. Elle est jetée dehors sans ménagement et entame une vraie descente aux enfers. Enfin, pour elle, parce que pour nous, c’est plutôt le Paradis : ces scènes-là sont les plus belles, les plus intenses du film. Je pense surtout à la séquence où Anne Hathaway donne tout ce qu’elle a, cris et larmes compris, sur “I dreamed a dream”. Brrr… Rien que d’y repenser, j’en ai le poil tout hérissé. Non, franchement, s’il n’y a qu’une personne à ne pas être “misérable” dans ce film, c’est bien elle! Elle est magnifique et mériterait bien l’Oscar du meilleur second rôle féminin. 
Toute cette partie, mieux jouée, mieux chantée, plus émouvante, redonne du peps au récit. Le drame peut cèder la place à un épisode plus comique avec la présentation de Cosette et des Thénardier (Helena Bonham Carter et Sacha Baron-Cohen). Ca ressemble à du sous-Burton (dans Sweeney Todd) mais cela fonctionne relativement bien et c’est instructif : on y apprend comment fabriquer un substitut de steak haché avec tout un tas de saloperies dérobées à droite à gauche (dont une jambe de bois), ou comment les misérables du XIXème siècle ont inventé la recette des lasagnes Findus façon Spanghero.

Les Misérables - 9

Nouveau saut narratif. Valjean a fui avec Cosette et, comme promis à Fantine, s’est bien occupée d’elle pendant quelques années. Cela se voit : la petite blondinette joufflue et crasseuse s’est transformée en Amanda Seyfried, assez miaou-miaou, je dois dire, et dotée elle aussi d’une belle voix.
Valjean, lui, a moins bien encaissé le choc. Look de la mort numéro 2 pour Hugh Jackman, qui ressemble ici au Charles Ingalls de “La petite maison dans la prairie”… Javert est toujours là, cherchant inlassablement son vieil ennemi, les Thénardier aussi. Et un nouveau personnage entre en scène, Marius (Eddie Redmayne) un gosse de riche rebelle qui fraye avec les révolutionnaires opposés au Roi Louis-Philippe…

Les Misérables - 3

Le film prend alors un tour plus romantique, avec Cosette qui aime Marius, qui l’aime en retour, mais qui est aussi aimé d’Eponine (Samantha Barks, pas mal non plus). Et aussi un tour plus politique avec la description de la révolte de juin 1832, qui opposa, sur les barricades de la rue Saint-Denis, les révolutionnaires et les policiers. Oh, cela ne va pas bien loin tout de même, le public-cible (américain) se fichant bien des enjeux politiques franco-français dépeints dans le récit. Ce qui compte surtout, c’est la dimension tragique des évènements, qui permet à Tom Hooper de se lâcher au niveau du pathos et des effets mélodramatiques, pour le meilleur et surtout pour le pire. Pour quelques beaux moments, comme Eponine chantant sous la pluie “On my own”, d’autres séquences sont ratées, comme la sortie de Gavroche (mais c’est la faute à Voltaire…), l’ultime face-à-face entre Valjean et Javert (mais c’est la faute à Russell) ou la traversée des égouts de Paris (Look de la mort numéro 3 pour Hugh Jackman, couvert de merdasse).

Les Misérables - 2

L’ensemble se termine par plusieurs épisodes successifs un brin longuets, où ressurgissent bons sentiments et bondieuseries, où Hugh Jackman ressemble à un raton-laveur malade (look de la mort numéro 4) et où tous les fantômes se mettent à chanter de concert. Rideau. Silence. Ouuuuuuffff! Ca fait du bien quand ça s’arrête!

A l’arrivée, mes sentiments sur le film sont assez mitigés. Ne m’attendant à rien de bon, je suis plutôt agréablement surpris – mais c’est relatif, hein.  
J’ai trouvé certaines séquences totalement insupportables, mais j’ai aussi reçu des petits moments de grâce pure (Merci Anne Hathaway). Le film est assez long, mais suffisamment riche en péripéties pour que l’intérêt du spectateur soit maintenu tout du long (Merci Victor Hugo). Bien sûr, on est loin de la densité et de la profondeur du texte original, mais il faut aussi reconnaître que, globalement, la narration est assez fidèle au roman. Et si le “tout chanté” m’a d’abord tapé sur le système (Merci Russell Crowe), j’ai fini par m’y faire et me laisser porter par l’histoire.
Dans l’ensemble, c’est très regardable et les amateurs de (cette) comédie musicale devraient y trouver leur compte.

Les Misérables - 7

Bon d’accord, il y a des erreurs de casting et quelques chants cacophoniques, surtout chez ces Messieurs (A la décharge des acteurs, tout a été enregistré en prise directe, ce qui n’est pas simple). Mais le vrai point noir se situe au niveau de la mise en scène de Tom Hooper, ou plutôt de l’absence de mise en scène. Le cinéaste accumule les plans fixes ou les petits mouvements de caméra, et abuse des gros plans. On peut comprendre son parti-pris. Il part d’une oeuvre théâtrale, donc circonscrite à l’espace restreint que constitue la scène. Aussi, pour rester fidèle à l’oeuvre originale, la caméra filme également dans un petit périmètre. Ca se défend sur le principe, mais dans les faits, cela plombe le film. Un tel sujet véhicule un souffle épique et romantique, qui, à l’écran, aurait pu être restitué par des mouvements de caméra amples, des plans-séquences, des panoramiques, des prises de vues aériennes. En s’en privant, Hooper perd en intensité dramatique et en beauté plastique. Quand on voit, par exemple, comment Joe Wright a contourné le cadre théâtral sur Anna Karenine, cette adaptation plan-plan paresseuse des Misérables ne peut que souffrir de la comparaison et nous laisser quelques regrets.

Bon, faut que je vous laisse, j’ai des vocalises à faire. J’ai demandé à Anne Hathaway de remettre son costume de Catwoman pour qu’on puisse monter ensemble une version ciné de “Cats”. Mia-ah-ah-Ahahahahah…

Plein de ronrons,

Scaramouche

Chat-sette

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Les Misérables Les Misérables 
Les Misérables

Réalisateur : Tom Hooper 
Avec : Hugh Jackman, Russell Crowe, Anne Hathaway, Amanda Seyfried, Eddie Redmayne, Samantha Barks
Origine : Etats-Unis
Genre : Jaunevaljane vs Javerte, le musical
Durée : 2h30
Date de sortie France : 13/02/2013
Note pour ce film : ●●●○○○
Contrepoint critique : Après la séance

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