Au lycée Léon Blum de Créteil, une classe de seconde exaspère le personnel enseignant. Hormis un ou deux élèves studieux, les adolescents semblent se désintéresser totalement des cours. Pire, ils ont turbulents, irrespectueux, insolents voire violents. En l’espace de quelques mois, ils ont battu tous les records en termes de convocation du conseil de discipline, d’exclusions temporaires et de notes catastrophiques. Certains professeurs craquent, d’autres, résignés, les abandonnent à leur triste sort. Seule une enseignante croit encore en leur potentiel et essaie de les faire progresser. Il s’agit de leur professeure d’Histoire-géographie, Anne Gueguen. Bien sûr, elle a parfois du mal à ne pas montrer son agacement face à l’attitude de ses élèves, mais elle est persuadée que de renoncer à leur inculquer une éducation et des valeurs communes n’est pas la solution.
Elle décide d’inscrire sa classe au concours national de la Résistance et de la Déportation, et demande à ceux qui sont volontaires de prendre du temps pour travailler sur le thème des enfants et adolescents dans l’univers concentrationnaire. Elle espère ainsi leur faire prendre conscience de la chance qu’ils ont de vivre dans un pays libre et démocratique, et les impliquer dans un travail faisant appel au sens du collectif.
Les gamins sont tout d’abord réfractaires à un tel projet. Ils ne croient pas en leurs chances et ne se sentent pas concernés ou pas motivés par le thème imposé. Mais peu à peu, ils se mettent à travailler, seuls, puis collectivement. Et le résultat va dépasser les attentes de l’enseignante…
A première vue, on pourrait penser que Les Héritiers est une resucée française d’Esprits rebelles, avec pour cadre les banlieues chaudes du Val de Marne plutôt que les ghettos californiens, et Ariane Ascaride à la place de Michelle Pfeiffer. Il est vrai que les deux films sont tirés d’histoires vraies et mettent en valeur le travail d’enseignantes aux méthodes atypiques, mais le long-métrage de Marie-Castille Mention-Schaar sonne beaucoup plus juste et a le bon goût de s’affranchir des effets mélodramatiques outranciers qui plombaient considérablement le film de John N. Smith.
L’avantage, ici, est que le scénariste et comédien principal sait de quoi il parle. Sous la tutelle de sa professeure Anne Anglès, Ahmed Dramé a bien participé à ce concours d’histoire avec sa classe du Lycée Léon Blum de Créteil, en 2009. Et cette expérience a considérablement bouleversé sa vie. Elle lui a fait prendre conscience en son potentiel et lui a donné l’ambition de réaliser ses rêves de cinéma. Elle lui a aussi inspiré l’idée d’un scénario de film qu’il a peaufiné pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’il découvre le premier film de Marie-Castille Mention-Schaar, Ma première fois. Touché par la sensibilité artistique de la cinéaste, il s’est résolu à lui envoyer son manuscrit. Et celle-ci a immédiatement accepté de le produire et réaliser. Elle a même accepté qu’Ahmed Dramé participe à l’expérience en tant que comédien, à condition… qu’il décroche son bac! C’est chose faite et aujourd’hui, il peut fièrement constater que Les Héritiers célèbre le travail de sa professeure et de ses anciens camarades sur tous les écrans de France.
Le film délivre un message optimiste à l’attention de tous les élèves des banlieues dites “difficiles”. Il exhorte les adolescents à ne pas baisser les bras devant les difficultés scolaires et de s’accrocher vaille que vaille pour décrocher un diplôme, qui reste la meilleure option pour s’extirper de leur condition sociale et pouvoir prétendre à des emplois intéressants. Et il invite les adultes à faire preuve d’un peu plus de patience vis-à-vis de ces jeunes en difficulté pour les aider à trouver leur voie et à ne pas sombrer dans la spirale de l’échec.
Ahmed Dramé et Marie-Castille Mention-Schaar mettent notamment en exergue les vertus du travail collectif, de l’entraide et de la solidarité, qui permettent à chacun de s’exprimer tout en respectant l’avis de l’autre. Mais, ils ne le font pas de façon trop appuyée, usant habilement de l’ellipse pour montrer l’évolution du travail de la classe et des relations unissant les individus qui la composent. Une démarche qui rappelle celle employée par Laurent Cantet dans Entre les murs. Ou, plus récemment, par Julie Bertucelli dans son documentaire, La Cour de Babel, qui traitait également de méthodes pédagogiques différentes pour permettre à des enfants en difficulté de réussir parfaitement leur passage à l’âge adulte. Ces films ont en commun une volonté de se concentrer sur l’essentiel – la vie du groupe – et un même souci d’authenticité, refusant les situations trop fabriquées, sujettes aux effets mélodramatiques faciles.
Marie-Castille Mention-Schaar applique le même principe pour l’autre thématique de son film, pourtant propice aux débordements lacrymaux : le devoir de mémoire de la Shoah et des atrocités commises par le régime nazi pendant la seconde guerre mondiale. Bien sûr, difficile de ne pas être bouleversé à l’évocation du destin des enfants dans les camps de concentration, mais ici, l’angle d’approche est différent. L’émotion passe autant par ceux qui racontent l’horreur concentrationnaire, comme Léon Zyguel, ancien déporté qui oeuvre à transmettre son expérience aux jeunes générations, que par la réaction des élèves, qui prennent conscience du drame vécu par les adolescents de leur âge, soixante-dix ans auparavant. A côté, leurs petits problèmes et leurs chamailleries puériles semblent bien dérisoires. Ils se retrouvent réunis par le même sentiment d’horreur et de révolte contre la barbarie, la même envie de rendre hommage à ceux qui sont morts dans les camps, trop jeunes, et à ceux qui ont trouvé le courage de survivre, oeuvrant pour que l’humanité n’ait plus jamais à revivre de tels génocides. En adoptant le point de vue des lycéens, le scénariste et la cinéaste insistent sur la notion de passage de témoin entre les générations. Bientôt, les derniers survivants des camps auront disparu. Ceux qui auront entendu leurs témoignages devront à leur tour les transmettre aux générations suivantes, pour que le souvenir de ce qu’a été la Shoah ne s’éteigne jamais.
Le film fonctionne car il parvient à finement entrelacer ses deux thématiques, sans que l’une ne prenne le pas sur l’autre, et sans que le propos ne soit plombé par un chantage à l’émotion. Il fait confiance à ses comédiens pour faire passer en douceur ses messages au spectateur. Ariane Ascaride est remarquable, comme souvent, dans le rôle de l’enseignante, et ses jeunes partenaires sont tout aussi épatants, à commencer par Ahmed Dramé, Noémie Merlant et Roxane Duran.
Tout n’est pas parfait, cependant. La mise en scène, par exemple, manque un peu de relief. La cinéaste se contente sagement de filmer ses comédiens, sans prendre de risques, consciente que le sujet est suffisamment fort pour accrocher le spectateur.
Et Si le scénario, comme évoqué plus haut, évite l’écueil du mélodrame facile, on pourra déplorer certaines situations qui viennent parasiter la trame principale. Par exemple, la scène introductive, qui montre un accrochage entre le proviseur et une élève voilée, est mal imbriquée dans le reste du récit. Idem pour la ramification narrative autour du jeune français de souche qui se convertit à l’Islam, maladroite et mal exploitée.
Cependant, on ne va pas faire la fine bouche. Au moment où les idées racistes et antisémites semblent de nouveau avoir le vent en poupe, et où les individus se laissent séduire par des discours nationalistes et extrémistes, Les Héritiers fait figure d’une véritable oeuvre d’utilité publique. Il véhicule un message de paix et de tolérance, participe au devoir de mémoire, incite les jeunes spectateurs à s’investir davantage dans leurs études, à respecter leurs camarades et à croire en leurs capacités, invite les adultes à faire preuve, eux aussi, de plus d’ouverture d’esprit, et de tirer les leçons du passé…
On ne peut que saluer le travail d’Ahmed Dramé, jeune talent prometteur, et de Marie-Castille Mention-Schaar, et espérer que leur joli film saura trouver son public dans les salles obscures.
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Réalisatrice : Marie-Castille Mention-Schaar
Avec : Ariane Ascaride, Ahmed Dramé, Geneviève Mnich,
Noémie Merlant, Léon Zyguel, Stéphane Bak, Wendy Nieto
Origine : France
Genre : film d’utilité publique
Durée : 1h45
date de sortie France : 03/12/2014
Note : ●●●●●○
Contrepoint critique : Le Monde
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