Autant vous prévenir tout de suite : Les Chiens errants est un film radical, intello, lent et terriblement ennuyeux.
Ceux qui connaissent déjà le cinéma de Tsai Ming-Liang savent à quoi s’attendre. Le réalisateur taiwanais n’est certainement pas réputé pour ses films d’action. Mais regarder ce nouveau jalon de sa filmographie constitue une épreuve même pour les cinéphiles les plus endurants.

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L’introduction donne la tonalité générale de l’oeuvre : mutique, sombre, déprimante et d’une lenteur à la limite du supportable.
Dans une pièce aux murs noirs et humides, deux enfants dorment paisiblement pendant que leur mère, au premier plan se coiffe lentement, en silence, l’air désespéré…

La plupart des plans du film obéissent au même principe : fixes, silencieux, étirés jusqu’au malaise et avares en explications quant au déroulement du récit. Au spectateur de se débrouiller avec tout cela…
On devine que le récit traite d’une famille qui vit en dessous du seuil de pauvreté, dans les environs de Taipei. Le père travaille comme homme-sandwich, faisant la promotion d’une agence immobilière le long des routes. La mère travaille dans un supermarché, temple de la consommation. Mais, ironie du sort, ils n’ont pas assez d’argent pour se payer un toit digne de ce nom ou pour s’acheter à manger. Leurs enfants sont livrés à eux-mêmes. Ils errent toute la journée à la recherche d’un peu de nourriture, notamment en participant aux dégustations dans les supermarchés. La petite fille n’a pas de jouets. Elle s’est fabriquée une simili-poupée, avec un chou en guise de tête. La famille dort dans des squats, sans chauffage ni électricité, se lave dans des toilettes publiques. Une vie faite de désespoir et de souffrance…
A un moment, on voit le père emmener ses enfants faire un tour en barque, en pleine nuit et sous une pluie battante…

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Ce qui se passe réellement est à lire entre les lignes. De notre point de vue, il s’agit d’un drame sordide. Il est probable que le père a tué sa femme et s’apprête aussi à tuer ses enfants, avant de les rejoindre dans la mort en se suicidant. C’est ce qui pourrait expliquer ce curieux voyage en barque, et ce final étonnant dans la maison aux murs noirs, perdue au milieu de nulle part.

On peut aussi voir dans cet ensemble d’images le portrait d’un homme qui a lâché prise, qui est parti loin des siens, et qui essaie de se remémorer les jours anciens, où il avait un toit, une épouse, une vie…

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Le principe narratif est séduisant, et certains de ses plans sont de fascinants morceaux de cinéma.
Mais pourquoi faut-il qu’il signe des scènes aussi longues, aussi lentes? Pourquoi répéter trois fois la même scène du père de famille portant le panneau publicitaire, debout au bord de la route? Pour montrer le côté répétitif et ennuyeux de ce job? D’accord, mais le spectateur avait très bien compris la première fois…
A quoi bon filmer le type en train de pisser dans les roseaux pendant trois minutes? Ou le montrer en train de manger du poulet pendant huit minutes? Ah, on le voit aussi croquer le chou évoqué plus haut et le précité et le dévorer (hop, encore cinq minutes de métrage…). Et quand arrive le gâteau, on se dit qu’on va avoir également droit au dessert. Combien de temps pour manger la part de gâteau?

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En fait, le “dessert” façonné par Tsaï Ming-Liang  est pour un peu plus tard : un plan de vingt minutes sur l’homme et la femme regardant un mur côte à côte. A un moment la femme pleure, mais ce n’est que passager, et parfois, l’homme sirote une mignonette. C’est tout. Et ca finit par être insupportable, surtout après deux heures de scènes du même acabit.
A quoi rime tout cela si ce n’est pour assoir un peu plus la réputation d’auteur radical que s’est façonné le cinéaste taïwanais?

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Fort heureusement, ce film reste un peu plus regardable que l’horripilant Visage, avec sa scène  où Laetitia Casta recouvrait un miroir de scotch noir, durant quinze minutes, en plan fixe. Mais le propos du cinéaste se dilue trop dans la lenteur des plans pour pouvoir susciter l’émotion ou faire passer un éventuel message politique. Dommage…
Certains s’extasieront peut-être devant les scènes précitées, et crieront même au génie, mais il est fort à parier que 90% des spectateurs sains d’esprits s’enfuiront avant la fin du film. Là encore, dommage… Les premiers longs de Tsai Ming-Liang, bien que déjà fort contemplatifs, n’avaient pas besoin de ces partis-pris de mise en scène radicaux pour convaincre… La vision pessimiste de la société était déjà là, la complexité des plans aussi, mais il y avait une pointe d’originalité, une distance ironique mordante en plus. A chercher à aller toujours plus loin dans le registre contemplatif, à l’instar de son confrère Apichatpong Weerasethakul,  le cinéaste perd ce qui le rendait attachant, et prend donc le risque de se couper définitivement de son public.

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A vous de voir si vous voulez tenter l’expérience. On le répète, Les Chiens errants reste un bon film. Il a d’ailleurs été récompensé d’un prix de la mise en scène à la dernière Mostra de Venise… Mais il s’adresse à un public ayant, au choix, une bonne constitution ou une patience à toute épreuve…
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Les Chiens errants Les Chiens errants
Jiao You

Réalisateur : Tsai Ming-Liang
Avec : Lee Kang-shen, Lee Yi-Cheng,
Lee Yi-Chie, Shi Chen
Origine : Taiwan, France
Genre : très lent, très chiant
Durée : 2h18
Date de sortie France : 12/03/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : Télérama

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