A l’origine « La Robe du soir » est une toile de Magritte, représentant une femme dans le plus simple appareil, de dos, avec une longue chevelure noire lui descendant jusqu’au creux des reins, nimbée de la clarté d’un fin croissant lunaire.
Une image forte de beauté et de féminité, si l’on met de côté l’aspect profondément surréaliste de l’œuvre.
Le tableau a servi d’image de couverture à l’édition poche du roman de Pascal Lainé, « La dentellière ». Un récit d’apprentissage amoureux cruel et de désir, axé autour d’une jeune fille…
Et c’est précisément ce livre qui sert de catalyseur à la métamorphose de Juliette, l’héroïne du premier long-métrage de fiction de Myriam Aziza, lui aussi intitulé La Robe du soir. Une histoire qui mêle fort logiquement quête amoureuse, désir et féminité.
Mais ce n’est ni le roman de Lainé, ni l’œuvre de Magritte qui vont bouleverser cette adolescente de douze ans. C’est l’objet lui-même, perçu comme un trésor, un talisman.
Le livre appartient à son professeur de français, Madame Solenska, qui le lui a prêté pour la récompenser un devoir brillamment exécuté. Une simple marque d’affection de l’enseignante à l’égard de son élève. Mais pour la jeune fille, cela représente bien plus que cela…
Juliette évolue dans une structure familiale qui ne s’intéresse que trop peu à elle et aux changements qui s’opèrent en elle, aux prémices de l’adolescence. Son grand-frère, un grand dadais pénible, ne cesse de l’infantiliser et de l’humilier, et sa mère, qui élève seule ses trois enfants, est souvent absente ou trop épuisée pour comprendre son mal-être et son besoin de repères.
Dans ce contexte, Madame Solenska fait figure de modèle. Modèle de féminité, avec ses robes colorées qui mettent en valeur ses rondeurs. Modèle d’assurance, ensuite, fort de son pouvoir de séduction et n’hésitant pas à en user sur son jeune auditoire. Modèle éducatif, enfin, à la fois protectrice et autoritaire, et parlant ans tabou des choses de la vie.
Juliette est fascinée par cette femme qu’elle souhaiterait avoir comme mère, comme confidente, comme amie, et à qui elle aimerait pouvoir ressembler.
Aussi, quand Madame Solenska lui accorde cette attention qu’elle réclame en vain dans sa cellule familiale, lui témoigne son estime, sa confiance et son affection par le prêt de cet ouvrage auquel elle tient beaucoup, Juliette est bouleversée. Elle s’imagine qu’un lien privilégié vient de s’instaurer entre elles.
Elle se met à éprouver pour son professeur un sentiment qu’elle ne parvient pas elle-même à s’expliquer, assimilable à un désir amoureux, et développe une obsession.
Mais un soir, alors qu’elle a suivi l’enseignante à son domicile, elle voit sortir du bâtiment un de ses camarades de classe, Antoine La jeune fille s’imagine immédiatement que Madame Solenska et Antoine ont des rapports tout autre qu’une simple relation professeur/élève, et manifeste une attitude de plus en plus hostile…
Son comportement est compréhensible, même si la réaction est trop vive, trop violente. Juliette est à un âge où elle éprouve ses premiers désirs, ses premiers émois amoureux. Elle a du mal à exprimer ce qu’elle ressent, garde en elle ses émotions comme un trésor à préserver ou un secret honteux. Elle découvre ce besoin physique de posséder l’objet de son désir, presque de le dévorer – comme quand elle mange un des cheveux de Madame Solenska, trouvé entre les pages du livre – ainsi que la passion amoureuse au sens premier du terme : une souffrance. L’amour s’accompagne d’un cortège d’émotions négatives telles que le dépit, la jalousie, le sentiment d’abandon et de solitude…
Celui de son professeur, en revanche, est plus trouble. D’un côté, elle n’a rien à se reprocher. Elle donne juste des cours particuliers à des élèves dont elle pense qu’ils ont les capacités pour réussir. Et le jeu de séduction qu’elle a instauré avec ses élèves lui garantit une certaine admiration, et une relative quiétude durant les cours.
On peut également se dire qu’elle a plus d’affinité pour Antoine que pour d’autres élèves. C’est humain et dans l’ordre naturel des choses… Bien des professeurs ont leurs « chouchous ».
Mais elle semble effectivement avoir une tendresse particulière pour le jeune Antoine, sans s’en rendre compte. Peut-être que plaire à celui qui est le « beau gosse » de la classe est un moyen de prendre une revanche sur une adolescence douloureuse. Ou bien évoque-t-il le souvenir d’un ancien amant ou d’un fils disparu… On ne le saura pas… Toujours est-il que, de manière totalement inconsciente, Madame Solenska est en train de franchir une ligne éthique. Ce n’est qu’avec la réaction violente de Juliette et ses conséquences sur l’ambiance au sein de la classe qu’elle va prendre conscience de ce trouble.
La Robe du soir repose sur les parcours croisés de ces deux personnages : la femme forte dont les certitudes s’effritent soudain et la gamine timide qui sort de sa coquille pour entrer de plain pied dans l’âge adulte. On est d’autant plus touchés que Myriam Aziza a su trouver les actrices idéales pour les incarner. Lio donne à l’enseignante un caractère particulier, provocateur et aguicheur, pour mieux semer le trouble, avant de révéler une insoupçonnable faiblesse. Quant à la jeune Alba Gaia Bellugi, elle exprime avec un naturel confondant et une maturité de jeu déjà stupéfiante le profond malaise qui agite cette jeune fille sensible.
Il s’agit d’un beau film sur la naissance du désir, les rapports de séduction et la féminité, doublé d’un subtil portrait de femmes, au pluriel. A Madame Solenska et Juliette s’ajoute également la mère de cette dernière – jouée par Sophie Mounicot, également très bien.
Trois personnages féminins dans un univers dont les hommes sont mystérieusement absents. Trois profondes solitudes…
La mère élève seule ses trois enfants tout en étant obligée de travailler dur pour nourrir cette petite famille. Elle se sacrifie pour les siens mais ne reçoit pas toujours la gratitude escomptée. A la place, elle doit faire face, impuissante, aux tourments de sa cadette, si fragile.
Madame Solenska aussi vit seule, après on ne sait trop quelle blessure amoureuse. Le jeu de séduction qu’elle a instauré avec ses élèves est peut-être une façon de se sentir encore désirable, de se prouver à elle-même qu’elle existe encore…
Enfin, Juliette éprouve cette solitude physiquement et psychologiquement. De par son attitude, incomprise par ses camarades, elle se retrouve brusquement frappée d’ostracisme. Et ne peut même pas partager avec ses proches ce secret honteux.
Il découle de l’ensemble une profonde mélancolie, une certaine gravité qui confèrent à l’œuvre toute sa densité.
La Robe du soir se clôt de façon très symbolique sur le plan d’une boîte noire abandonnée par l’adolescente, contenant les vestiges de cette histoire. A la fois témoignage du crash de ces amours impossibles et cercueil de carton permettant à la jeune fille de faire le deuil de son innocence enfantine…
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La Robe du soir
La Robe du soir
Réalisateur : Myriam Aziza
Avec : Alba Gaia Bellugi, Lio, Sophie Mounicot, Léo Legrand, Bernard Blancan, Sylvain Creuzevault
Origine : France
Genre : les histoires d’amour finissent mal en général
Durée : 1h35
Date de sortie France : 24/02/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le petit bulletin
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Excellent blog, que je découvre par le biais de « 1 blog par jour »
Les commentaires des films sont dignes du plus grand professionnalisme.
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@ Charlie : Merci de votre compliment. Le blog n’est ouvert officiellement que depuis janvier et les critiques et les messages de soutien nous poussent à nous améliorer et à continuer de vous proposer du contenu – on l’espère -de qualité. Vous pouvez revenir quand vous voulez !