Depuis leur fondation, en 1985, les Studios Ghibli alternent les oeuvres reposant sur des fables fantastiques ou des univers merveilleux (Le Château dans le Ciel, Porco Rosso, Princesse Mononoke, Le Voyage de Chihiro,…) et des oeuvres ancrées dans le réel (Le Tombeau des lucioles, Souvenirs goutte à goutte, Je peux entendre l’Océan, Mes voisins les Yamada,…), mais toujours avec le même souci de qualité artistique et narrative, une exigence qui a fait de cette société de production la référence haut de gamme de l’animation nippone.

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La Colline aux coquelicots  appartient à la seconde catégorie.
Ici, pas de monstres et de sorcières, pas de grosses peluches comme l’ami Totoro ou de ratons-laveurs écologistes. Tiré d’un manga de Chizuru Takahashi et Tetsurô Sayama(1), le film met en scène des personnages humains on ne peut plus ordinaires dans une petite ville côtière du Japon des années 1960, près de Yokohama.

Le personnage principal est Umi, une lycéenne qui doit s’occuper quotidiennement de ses petites soeurs. Sa mère, enseignante, travaille en ville et n’est pas souvent présente. Son père, capitaine de bateau, est décédé pendant la guerre de Corée, laissant les jeunes filles désemparées.
Pour lui rendre hommage, Umi hisse chaque jour des pavillons sur le mat de la maison familiale, située en haut de la colline et surplombant la mer.
Ce petit rituel intrigue Shun, l’un des lycéens les plus populaires de l’école, qui s’implique notamment dans le club de journalisme des étudiants.

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Leur chemins finissent par se croiser, au moment où les élèves se mobilisent pour sauver leur foyer, baptisé “Quartier Latin”, menacé de destruction pour laisser place à un bâtiment plus moderne. Ils apprennent à se connaître, réalisent qu’ils ont beaucoup de choses en commun et finalement, tombent amoureux l’un de l’autre. Mais leur relation se retrouve perturbée quand ils réalisent qu’ils partagent peut-être autre chose que leur belle complicité, un lien perdu dans de vieilles histoires de famille…

C’est un mélodrame tout simple, pudique et sensible, émouvant sans jamais sombrer dans le pathos, dont le charme repose beaucoup sur les liens entre ces deux personnages, sur la fragilité de leur relation amoureuse et sur leurs blessures intimes – la perte d’un père pour l’une, le fait de n’avoir pas connu son père biologique pour l’autre – mais aussi sur l’ambiance générale de l’oeuvre, la beauté des décors, de la musique et des chansons utilisées…
Même si c’est Goro Miyazaki qui est aux commandes de ce nouveau long-métrage estampillé Ghibli, on sent indéniablement la patte de son père, Hayao, dans le scénario de l’oeuvre.

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En effet, on retrouve là de nombreux thèmes chers au maître de l’animation nippone.
Comme dans Ponyo sur la falaise, l’action se passe dans une ville côtière surplombant cette mer qui procure travail et alimentation, mais peut aussi se montrer cruelle en engloutissant les âmes de personnes proches, comme les pères d’ Umi et Shun…
Comme dans la plupart de ses films, à l’exception de Porco Rosso et son héros particulier, les personnages centraux sont jeunes et les événements qu’ils vont traverser vont leur faire passer un cap, gagner en maturité… Et comme d’habitude, une romance va débuter entre les jeunes héros…
Comme Sophie, l’héroïne du Château ambulant, Umi a perdu son père et doit assumer seule le travail habituellement dévolu aux adultes… Il est question de filiation, d’héritage spirituel, de liens familiaux,…
La guerre et ses conséquences désastreuses, sujets centraux de l’oeuvre de Miyazaki père, sont évoqués en filigrane.

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On retrouve aussi la même façon d’utiliser les décors. Dans les films du cinéaste japonais, on retrouve souvent l’opposition entre deux lieux de nature opposée, un endroit calme où les personnages peuvent trouver la paix, se ressourcer  et un endroit plus démesuré, où règnent agitation, chaos, bouillonnement permanent (comme les bains-douches du Voyage de Chihiro, par exemple…)
Ici, le havre de paix correspond à la maison de famille de Umi, belle bâtisse en haut de la colline. Un lieu chaleureux, accueillant, où règnent calme et recueillement. Le lieu de chaos, lui, correspond au foyer étudiant, le “Quartier latin”. Un joyeux bazar où s’empilent les objets de toutes sortent, où chaque étage est habité par des cohortes d’élèves essayant de recruter de nouveaux membres pour leurs clubs – philosophie, mathématiques, littérature, anglais…
un lieu chaleureux, lui aussi, derrière son allure un peu monstrueuse, entre squat sauvage et arrière-boutique poussiéreuse de brocanteur…

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L’empreinte d’Hayao Miyazki étant très prégnante sur les thématiques de ce long-métrage, Goro Miyazaki, qui semble vouloir quelque peu s’affranchir de l’influence parfois encombrante de son paternel (2), a choisi d’adopter un style narratif différent de son glorieux aîné, en s’inspirant plutôt de ses “pères spirituels”, le grand maître du cinéma japonais Yasujiro Ozu et le cofondateur de Ghibli, Isao Takahata, et en proposant un rythme moins intense, plus contemplatif.

Alors? Le mérite est-il a attribuer au père ou au fils? Sans doute un peu aux deux…
En tout cas, La Colline aux coquelicots est assurément un pur produit Ghibli.
Il exhale, comme les autres films du studio, un délicieux parfum de nostalgie et met en avant une certaine idée du mode de vie japonais traditionnel, en opposition avec un monde moderne trahissant parfois ces valeurs.
L’action du film se déroule en 1963. Les blessures de la seconde guerre mondiale commencent à cicatriser, sous l’impulsion des jeunes générations, avides de paix et ouverts sur le monde (les élèves du lycée s’intéressent à la culture française, anglaise, allemande, citent les philosophes grecs…). Le pays s’apprête à accueillir des délégations venus de tous les horizons lors des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964.
Dans cet univers, les adolescents s’émancipent un peu, lorgnent vers la modernité, mais respectent encore leurs aînés et vivent en communion avec leur environnement.

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Aujourd’hui, la société japonaise a bien changé. La croissance du pays a été très forte pendant près de quarante ans. Les villes se sont étendues et modernisées, au détriment des charmantes petites villes décrites par le film.
Le miracle économique japonais a pris fin et la crise s’est durablement installée dans le pays, alors que la Chine voisine prospère… Il n’y a plus forcément les mêmes liens entre les générations, ni le même respect…
De quoi pleurer sur cette époque d’après-guerre, cette “parenthèse enchantée” où le monde était alors en reconstruction et où l’optimisme était de mise…
La profonde nostalgie véhiculée par le film s’est également nourrie des catastrophes qui ont frappé le Japon ces derniers temps : séismes dévastateurs, tsunamis gigantesques…
… Et même un péril nucléaire, qui a failli retarder la sortie du film, en cours de réalisation au moment du drame de Fukushima.

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Mais le film est bien là. Vous pouvez donc gravir les yeux fermer cette Colline aux coquelicots. La pente n’est pas si raide que cela, et la balade est même très plaisante, pour qui sait se laisser envoûter par la beauté des paysages, les couleurs chatoyantes, la douce musique du film et les chansons émouvantes – “sayonara no natsu aoi teshima” notamment, qui sert de générique de fin.
Bonne promenade, donc, sur les hauteurs de l’animation japonaise, loin des clichés péjoratifs encore utilisés pour qualifier le genre…

(1) : “La Colline aux coquelicots” de Chizuru Takahashi et Tetsurô Sayama – coll. Sakura – éd. Delcourt
(2) : Les relations entre le père et le fils, déjà houleuses depuis les commentaires négatifs du premier à propos de Les Contes de Terremer, premier film de Goro, ne se sont pas arrangées pendant le développement de ce film. La collaboration entre les deux a été souvent marquée par des désaccords profonds. Heureusement, le film est malgré tout réussi…

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La Colline aux coquelicots La Colline aux coquelicots
Kokuriko zaka kara

Réalisateur : Goro Miyazaki
Avec les voix de : Masami Nagasawa, Junichi Okada, Keiko Takeshita, Yuriko Ishida, Teruyuki Kagawa
Origine : Japon
Genre : Nostalgie estampillée Ghibli
Durée : 1h31
Date de sortie France : 11/01/2012
Note pour ce film : ●●
contrepoint critique chez : L’Express (*)

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(*) : Dire que Goro Miyazaki n’est pas à la hauteur d’Hayao Miyazaki, pourquoi pas? Mais pas en fustigeant le scénario “au ras des pâquerettes” puisque c’est bien le père qui l’a écrit… Euh, vous avez dit “journaliste” ?

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