L’intrigue se situe dans un futur proche, dans une métropole non-identifiée que l’on devine être une évolution de Los Angeles, avec quelques gratte-ciels supplémentaires et de nombreuses passerelles piétonnes.
Le personnage principal, Theodore Twombly (Joaquin Phoenix) travaille dans l’un des buildings de la ville, en qualité d’écrivain public. Chaque jour, il rédige les lettres de parfaits inconnus qui ne possèdent ni son talent, ni son inspiration, et attendent de lui qu’il parvienne à exprimer parfaitement leurs sentiments. Il écrit des mots de félicitations pour les naissances, des messages de voeux pour les anniversaires, des missives de remerciements et même des lettres d’amour enflammées. Il partage ainsi quotidiennement les histoires de nombreuses personnes.

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Mais dès qu’il quitte le bureau, Theodore est rattrapé par la profonde solitude dont il souffre depuis sa séparation avec Catherine (Rooney Mara), la femme avec qui il vivait depuis des années. Un peu dépressif et fatigué, il n’a plus vraiment l’envie de sortir.
De toute façon, il n’a que peu d’amis avec qui partager des moments de complicité : Paul (Chris Pratt), un collègue de bureau qui apprécie sa prose et prend régulièrement le temps de papoter avec lui quelques minutes, une voisine, Amy (Amy Adams), qui est aussi une amie d’enfance, et son conjoint, Charles…

Alors, il erre comme une âme en peine dans un appartement trop grand pour lui. Une cage en verre ouverte sur le monde par d’immenses baies vitrées, mais où il évolue replié sur lui-même. Il consulte ses mails, toujours des factures et des spams, puis joue un peu avec sa console ultramoderne, avec projection holographique, pour une immersion totale, et des personnages à l’intelligence artificielle développée (et au langage fleuri…). Et enfin, il essaie de trouver un peu de piment érotique par le biais d’un service de “chat” téléphonique où gravitent des personnes aussi seules que lui, et pas très saines d’esprit…
Une routine déprimante, assez sordide, qui ne semble pas devoir évoluer de sitôt, tellement Theodore semble sonné, incapable de réagir…

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Mais un jour, il entend parler d’un nouveau système d’exploitation pour ordinateur. Un OS 3.0 doté d’impressionnantes facultés d’apprentissage, et capable de communiquer comme un être humain, en s’adaptant à son propriétaire. Lors de la mise en route de son nouvel ordinateur, il lui choisit une voix féminine.
Autobaptisée “Samantha”, la machine devient très vite plus qu’un outil de travail pour Theodore: son assistante personnelle dévouée, son coach personnel, sa meilleure amie, sa confidente… La femme idéale, en somme, toujours là quand il en a besoin, toujours à l’écoute de ses besoins, toujours prompte à le divertir… Et comme Samantha possède la voix sensuelle de Scarlett Johansson, Theodore ne tarde pas à tomber amoureux de ce coeur à prendre virtuel qui loge dans son ordinateur. Une drôle de romance démarre…
Quelle en sera l’issue? L’amour est-il vraiment possible entre un homme et un ordinateur? Si l’OS essaie d’imiter les comportements humains, ceux-ci ne vont-ils pas mettre en péril sa relation amoureuse? La frustration de la machine, dépourvue de corps, ou celle de l’homme, incapable de suivre l’évolution exponentielle des connaissances de l’ordinateur, ne vont-elles pas prendre le dessus sur le sentiment de plénitude amoureux?
Réponse au terme des deux heures que dure ce très beau film…

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Nous aurions sans doute besoin de l’assistance d’un logiciel 3.0 ultra-performant ou d’un écrivain public surdoué pour exprimer précisément tout ce que nous inspire ce quatrième long-métrage de Spike Jonze. A défaut, nous nous contenterons d’en tresser des louanges en usant de superlatifs et de termes dithyrambiques : Her est un chef d’oeuvre du film romantique.
Un petit bijou de Septième Art.
Une oeuvre élégante, portée par une mise en scène subtile, des acteurs en état de grâce, une photo somptueuse, toute en couleurs chaudes, signée par le suédois Hoyte van Hoytema, et une bande-son divine, composée par le groupe Arcade Fire et comprenant une jolie chanson de Karen O…
Un film sensuel, drôle, émouvant et inventif, qui parle de la solitude des individus dans les métropoles – paradoxale alors que les moyens de communication n’ont jamais été aussi performants et variés, et que les réseaux sociaux sont à leur apogée –, qui s’interroge sur notre rapport à notre entourage, dans un monde où le virtuel est de plus en plus présent et, surtout,  qui traite avec acuité et sensibilité de tout ce qui fait la beauté et la fragilité d’une relation amoureuse.

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Jonze montre les prémices de la relation, ces moments où les futurs amants apprennent à se connaître mutuellement et tombe sous le charme l’un de l’autre. Il décrit l’état d’euphorie qui s’empare des être lorsqu’ils tombent amoureux, ce sentiment de plénitude qui balaie instantanément la solitude et tous les tourments existentiels qu’elle charrie.
Il s’interroge sur l’équilibre à trouver entre les sentiments, l’osmose intellectuelle et le désir charnel.
Le coup de foudre entre Theodore et Samantha repose sur une forme de curiosité qui les pousse tous deux à voir ce que peut donner cette relation hors normes et sur le vide que chacun comble chez l’autre. A ce stade-là de leur relation, tout est parfait.
Mais au bout d’un moment, tous deux se mettent à éprouver une certaine frustration. Samantha parce qu’elle ne sera jamais une vraie femme et en souffre. Elle ne peut que conceptualiser la notion de plaisir sexuel, les relations épidermiques provoquées par les caresses, l’orgasme… Elle compense en accumulant les connaissances, ce que lui permet sans peine son processeur ultra-rapide. Et là, c’est Theodore qui en nourrit une certaine frustration. L’homme n’est pas et ne sera jamais capable d’atteindre les capacités mémorielles et la rapidité d’analyse de l’ordinateur. Cela crée un déséquilibre au sein du couple.
Et ce n’est que l’un des nombreux écueils qui mettent en péril la relation amoureuse. Le refus de s’engager, l’égocentrisme, la jalousie, les non-dits, l’usure du quotidien et la disparition de la passion initiale sont autant de problèmes potentiels.
Il y a aussi les souvenirs des relations passées, qui peuvent venir parasiter le couple. Theodore se remémore fréquemment les moments vécus avec Catherine, bons ou mauvais, ce qui fait naître en lui une certaine nostalgie et, en Samantha, une pointe de jalousie.
Difficile de vivre à deux… Mais difficile également, voire impossible, de vivre seul. Tel est le paradoxe auquel sont systématiquement confrontés les êtres humains… L’équation impossible à résoudre.

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Spike Jonze sait de quoi il parle. Il a lui-même aussi connu quelques déboires sentimentaux par le passé, dont l’échec de son union avec la cinéaste  Sofia Coppola. D’ailleurs, Her ressemble beaucoup, à bien des égards, à Lost in translation, que Sofia Coppola avait tourné à un moment où leur couple se désagrégeait. Même tonalité douce-amère, même rythme faussement indolent, même genre de personnage principal, traînant son mal-être de scène en scène, même actrice principale…
On peut voir les deux oeuvres comme deux fragments complémentaires, expliquant chacun à leur manière l’échec du couple formé jadis par leurs auteurs respectifs. A travers le personnage de Theodore Twombly, Spike Jonze fait son autocritique, pointant son caractère introverti, son besoin de liberté, son immaturité, et il pointe aussi les travers de son ex-femme, représentée dans le film par le personnage de Catherine (joué par une Rooney Mara qui évoque physiquement Sofia Coppola (1)),  sans volonté de régler ses comptes, mais en cherchant à faire un point sur sa vie aujourd’hui, alors qu’il est de nouveau en couple et apparemment heureux.

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Mais si Her est un film très personnel, très intime, il a l’intelligence d’être aussi une oeuvre universelle, dans laquelle l’immense partie des spectateurs pourra se projeter, d’une manière ou une autre, parce qu’ils auront vécu soit la même ivresse sentimentale née de la passion amoureuse, soit la gueule de bois liée à une rupture douloureuse.

La performance de Joaquin Phoenix aide beaucoup à se projeter dans le personnage. Au sommet de son art, il parvient à faire de Theodore un être complexe, en souffrance, sonné par la vie et ses aléas, un peu replié sur lui-même, mais ne demandant qu’à pouvoir se libérer de ce carcan. De tous les plans, de toutes les scènes, il porte complètement le film sur ses épaules et confirme qu’il est l’un des meilleurs acteurs en exercice du cinéma américain.
Scarlett Johansson est également pour beaucoup dans la réussite du film. Son interprétation était aussi une gageure puisqu’elle n’est jamais présente physiquement à l’écran, mais elle a relevé le défi haut la main. C’est uniquement sa voix, terriblement sensuelle, qui rend crédible l’idylle entre Theodore et Samantha et nous permet de comprendre, par ses changements d’intonations, l’évolution des sentiment de son personnage virtuel. Brillant…
Et le reste du casting se hisse à la hauteur du duo principal : Rooney Mara, Olivia Wilde, Amy Adams et Portia Doubleday apportent une indéniable touche de charme féminin à l’oeuvre et sont très à l’aise dans la peau de leurs personnages.

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Mais si le film fonctionne, c’est aussi grâce au talent singulier de Spike Jonze, tant au niveau de l’écriture (2) que de la mise en scène. Peu d’auteurs peuvent se targuer de disséquer les affres de la vie de couple avec autant de précision et de finesse. Bergman, assurément. Woody Allen, sans doute… Jonze prouve ici qu’il a sa place dans ce club très fermé. Et il ajoute à cela sa propre patte, faite de cette originalité que l’on appréciait déjà à ses début, dans Dans la peau de John Malkovich et qui perdure d’un long-métrage à l’autre.

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Si vous aimez les ambiances douces-amère comme dans Lost in translation  ou Eternal Sunshine of the spotless mind (2) et les romances atypiques façon SimOne,
si vous préférez les oeuvres raffinées, intelligentes et originales au tout-venant hollywoodien ou hexagonal,
si vous aimez les performances d’acteurs de toute première grandeur,
si vous êtes fans de Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson ou d’une des actrices précitées,
si vous avez aimé les trois films précédents de Spike Jonze,
alors vous aimerez très probablement cette petite merveille de sensibilité et de romantisme que constitue  Her.
De notre côté, nous sommes plus que conquis. Nous avons reçu une flèche de Cupidon en plein coeur. Le film constitue d’ores et déjà  l’un des sommets de cette année cinématographique 2014, qui a déjà livré un nombre fort respectable d’oeuvre de tout premier plan.

(1) : Au départ, c’est pourtant Carey Mulligan qui devait jouer le rôle, avant de décliner, pour cause d’agenda surchargé.
(2) : Le film a remporté l’Oscar du meilleur scénario lors des derniers Academy Awards
(3) : Tourné par Michel Gondry, un autre expérimentateur de génie, sur un scénario de Charlie Kaufman, un des vieux complices de Jonze.

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Her

Réalisateur : Spike Jonze
Avec : Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara, Olivia Wilde, Portia Doubleday
Origine : Etats-Unis
Genre : romance 3.0 et superbe réflexion sur le couple
Durée : 2h06
Date de sortie France : 19/03/2014
Note pour ce film :●●●●
Contrepoint critique : La Bobine sélective

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