Hanna, jeune fille de seize ans mignonne à croquer, a tout de l’adolescente ordinaire. Sauf que non, pas vraiment…
Il faut dire que, depuis sa naissance, elle a été élevée dans un refuge coupé du monde, paumé dans le nord de la Laponie, sans électricité ni confort moderne… Pour une future intégration sociale, ce n’est pas le top… Mais de toute façon, ce n’est pas vraiment ce que son père, Erik, a prévu pour elle. Cet ex-agent de la CIA l’a entraînée à la dure, comme un soldat d’élite, lui a enseigné toutes les techniques de combat et de chasse, lui a appris  à parler couramment une dizaine de langues différentes,… Tout ça pour qu’elle l’aide à assouvir sa vengeance contre son ex-patronne, la redoutable Marissa, qui avait commandité l’assassinat de la mère d’Hanna et tenté de lui faire porter le chapeau.
Son entraînement terminé, la jeune fille est prête à accomplir sa destinée. Elle se laisse localiser et arrêter par la CIA, afin d’avoir l’opportunité d’approcher Marissa.
Mais les choses ne vont pas se dérouler tout à fait comme prévu… Hanna s’enfuit, et, poursuivie par Marissa et ses sbires, tente de rejoindre son père au lieu de rendez-vous, en Allemagne…

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L’intrigue de Hanna, au vu de ce résumé, est celle d’un thriller d’action et d’espionnage. Sauf que non, pas vraiment… Ou plutôt, si, mais pas que…
Hanna c’est aussi une sorte de road movie initiatique où l’héroïne découvre le monde extérieur et les gens “ordinaires”, ce qui n’est pas sans occasionner quelques séquences de pure comédie…
C’est encore une quête identitaire à rebondissements, entre La Mémoire dans la peau et Bienvenue à Gattacca, ainsi qu’un psychodrame familial tarabiscoté…
C’est enfin une sorte de conte de fées déviant – avec ce que cela suppose en symboles psychanalytiques – qui emprunte beaucoup à l’univers des frères Grimm. L’héroïne est telle une princesse qui n’a jamais quitté sa tour d’ivoire – mais qui maîtrise toutes les techniques de close combat, le tir à l’arc et le tir au pistolet, certes…- un petit Poucet qui sèmerait les cadavres plutôt que des cailloux ou un Chaperon rouge qui attend avec impatience le moment de se jeter dans la gueule du loup…

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Euh… Ca fait pas un peu beaucoup tout ça? Le résultat de ce mélange atypique devrait logiquement virer au grand n’importe quoi. Sauf que non, pas vraiment.  Voire même, pas du tout…
Parce que c’est Joe Wright qui est derrière la caméra, et que l’homme s’affirme, de film en film, comme l’un des cinéastes les plus intéressants et les plus doués de sa génération. On avait déjà eu un bon aperçu de son talent dans Orgueil & préjugés, Reviens-moi et Le Soliste, trois mélos sublimés par un formidable travail de mise en scène, notamment au niveau des cadrages et des mouvements de caméras. Il confirme ici tout le bien qu’on pensait de lui avec cette première incursion dans le domaine du thriller qui lui sert à nouveau de prétexte à une démonstration de mise en scène et de narration.

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Le film brille en effet par sa virtuosité technique et par  la façon magistrale dont chaque plan est structuré.
Déjà, il y a ce motif du cercle, symbole de perfection – comme l’héroïne, machine de guerre implacable – ou d’accomplissement – celui, personnel, qui mène la jeune fille à la découverte de son identité, ou celui de la vengeance de Hanna. Il revient de façon récurrente, à partir du premier plan jusqu’à la fin du film.

Le cercle peut aussi évoquer l’oeil, un autre motif récurrent dans le film. Il symbolise sans doute le regard neuf que la jeune Hanna porte sur son environnement, elle qui n’a jamais quitté son refuge, perdu au coeur du cercle polaire (eh oui, le cercle…). Il caractérise aussi ces espions qui passent leur temps à se suivre et à s’épier, comme dans la scène de la gare de Berlin.

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D’ailleurs, cette scène, quelle merveille! On connaissait le goût de Joe Wright pour les longs et vertigineux plans-séquences. Rien que de repenser à celui sur la plage de Dunkerque, dans Reviens-moi, on en a encore la chair de poule. Idem pour celui, aérien, du Soliste, qui captait toute la détresse et l’angoisse des sans-abris perdus dans les rues de Los Angeles. Ici, il débute son plan en se centrant sur le personnage d’Erik sortant de la gare de Berlin. Sur les murs, des affiches géantes montrant des yeux. Une façon de signifier qu’il est observé… De fait, la caméra s’écarte et nous montre que le père d’Hanna est épié par un agent chargé de l’éliminer. La caméra revient sur le protagoniste, virevolte autour de lui, le suit, montre petit à petit d’autres poursuivants et se termine, dans le même mouvement de caméra, l’affrontement de tous ces hommes. Un combat chorégraphié à la perfection, filmé en une seule et unique prise, avec un mouvement de caméra étudié au millimètre près. Du grand art! Et une prouesse technique sacrément gonflée…

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Et ce n’est qu’une scène parmi tant d’autres. On dénombre bien d’autres plans-séquences joliment exécutés, des plans aériens savamment choisis, des cadrages évocateurs jouant sur la géométrie et les éléments de décors. Le tout relié par un montage également très soigné, dynamisant constamment la narration.

Quitte à froisser quelques puristes, nous osons volontiers comparer la démarche artistique de Joe Wright à celle de grands noms du septième art, tels que Orson Welles ou Alfred Hitchcock.
A la vision de ce thriller d’espionnage, on pense clairement à ces deux maîtres du cinéma – toutes proportions gardées. Hanna, jouée par une Saoirse Ronan impeccable, possède la blondeur des héroïnes hitchcockiennes, mais aussi leur savant mélange de fragilité et de force. Son père, incarné avec conviction  par Eric Bana, est une vraie figure de film noir, un homme perdu tout entier focalisé vers son objectif et sa vengeance. Quant aux méchants, dont Hitchcock disait qu’ils garantissaient la qualité d’un film, ils sont eux aussi bien lotis. D’une part, avec ce tueur qui mène la traque en sifflotant (Tom Hollander, teint en blond platine), d’autre part, avec cette espionne mi-femme fatale mi-sorcière, obsédée par l’hygiène bucco-dentaire le “nettoyage” en général – dans le sens “tueur à gages” du terme – à qui Cate Blanchett donne chair et âme…
Comme dans les films de Sir Alfred ou dans La Soif du mal de Welles, le film regorge de morceaux de bravoure mémorables dans des lieux improbables, se payant même  le luxe d’un joli final métaphorique dans “la gueule du loup”…

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Enfin, le côté très symbolique du film et l’enrobage de conte de fées noir et sordide nous évoque un autre maître du cinéma : David Lynch. Dans Sailor & Lula, autre thriller complètement fou, le réalisateur américain avait lui aussi entremêlé film noir, fable fantastique et onirisme, avec des références appuyées au Magicien d’Oz, et sa Perdita Durango (Isabella Rossellini) nous est venue à l’esprit en voyant le personnage de Marissa, incarné par Cate Blanchett…
Comme dans les films de Lynch, on pourrait être tentés de décrypter le film en adoptant un point de vue psychanalytique et lire Hanna comme une variation oedipienne sur le passage douloureux à l’âge adulte, le cheminement psychologique qui conduit à l’émancipation d’une jeune fille…

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Toutes ces références pourraient être écrasantes. Sauf que non, pas vraiment… Joe Wright possède son propre style, ses propres thématiques – l’obsession de la perfection/ la beauté de l’imperfection, la quête introspective, les relations familiales complexes… – et continue d’imposer sa griffe d’auteur au sein de l’industrie hollywoodienne.
Il réussit la gageure de rendre crédible des scénarios improbables, de transformer des blockbusters sans âme en oeuvres d’art, de nous en mettre plein la vue sans excès ni forfanterie…

Oh bien sûr, on pourrait émettre quelques critiques à propos de Hanna. Dire que certains points du scénario sont faiblards et que le rythme connaît quelques ratés. Ou affirmer que le mélange des genres déroutera plus d’un spectateur.
Sauf que non, on n’en a pas envie… On préfère louer l’audace du film et la maestria de sa mise en scène, et clamer toute l’admiration que l’on éprouve pour Joe Wright, définitivement un des cinéastes à suivre…

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Hanna Hanna
Hanna

Réalisateur : Joe Wright
Avec : Saoirse Ronan, Eric Bana, Cate Blanchett, Tom Hollander, Olivia Williams, Jason Flemyng
Origine : Royaume-Uni, Etats-Unis, Allemagne
Genre : Hitchcock & Gretel
Durée : 1h57
Date de sortie France : 06/07/2011
Note pour ce film :

contrepoint critique chez : Le Nouvel Obs

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