Le 74ème Festival de Cannes s’apprête déjà à refermer ses portes et abandonner la ville aux vacanciers venus profiter du soleil de la Côte d’Azur.
Mais avant cela, il faut encore que les dernières projections se terminent et que le palmarès soit annoncé. L’occasion pour nous de faire le point sur les films qui ont séduit ou divisé nos confrères journalistes et les festivaliers lors de cette deuxième semaine de projections.

Déjà, les festivaliers semblent avoir été envoûtés par Memoria, le nouveau long-métrage d’Apichatpong Weerasethakul. Le cinéaste thaïlandais à pris le risque de partir tourner dans un pays étranger, la Colombie, avec des acteurs internationaux (pas les moindres tout de même  : Tilda Swinton et Jeanne Balibar), et de faire entrer ce petit monde dans son propre univers. Et ceci ne semble pas avoir nuit à la poésie de son cinéma. Au contraire. Dans La Croix, Stéphane Dreyfus parle d’une “atmosphère méditative fascinante”. Dans Critikat, Corentin Lê, dithyrambique, loue la capacité du cinéaste à se renouveler et ajouter, à travers le travail sur le son, une nouvelle dimension à son art, pour une expérience sensorielle inédite : “Rarement nous avons pu être témoins d’un film aussi rigoureux dans son rythme et dans le déploiement de sa temporalité.”. Même admiration sur Twitter : “Apichatpong Weerasethakul a éteint Cannes. Remballez tout, c’est terminé. Sidération totale. Je n’ai pas les mots.” (@2philenaiguille).
Evidemment, les cinéphiles allergiques au tempo lent et lancinant des oeuvres du cinéaste thaïlandais ne seront pas forcément de cet avis. Par exemple notre camarade Marine Bordone “Totalement hermétique au cinéma de Apichatpong Weerasethakul. Ennui total.“.
Mais beaucoup s’accordent à lui attribuer une place de choix au palmarès, tant le film se distingue du lot par son esthétisme et son côté hypnotique. Une chose est sûre, les premières retours donnent furieusement envie de tenter l’expérience à son tour…

Autre film remarqué par les festivaliers, le nouveau film de Kirill Serebrenikov, La fièvre de Petrov. Comme pour Leto, l’un des chouchous du festival 2018, le cinéaste russe livre une œuvre esthétiquement sublime et mise en scène avec originalité, portée par de sublimes plans-séquences, mais il propose surtout, lui aussi une curieuse expérience sensorielle, visitant l’univers mental fébrile et tourmenté du personnage principal ou plongeant dans un monde devenu complètement fou. Dans A voir à lire, Laurent Cambon parle d’une “œuvre déroutante et exaltante dans laquelle il faut accepter de s’abandonner, au risque même de s’y noyer.”. Effectivement, certains s’y sont noyés et ne cachent pas leur déception : “Si la réalisation surprend par son audace et sa liberté, ce geste tout en digressions punk de Serebrennikov est si abscons que je n’ai eu aucune prise pour m’y accrocher.” (@MehdiOmais sur Twitter). “Difficile de s’accrocher à #laFievredePetrov. Serebrennikov digresse sur un roman déjà digressif et nous égare dans un bordel parfois sublime mais totalement abscons”. (Renan Cros sur Twitter). Mais la plupart des festivaliers ont semble-t-il adoré se laisser embarquer dans ce film fou furieux, truffé de moments de cinéma mémorable.
”Baroque, coloré, d’une énergie dingue, un tourbillon incessant qui ose tout, au risque de nous perdre en cours de route. Mais ce maelstrom nihiliste et hallucinogène emporte au final largement l’adhésion et l’admiration.” (Raphael Wolf sur Twitter)

Le nouveau Wes Anderson divise lui aussi la critique. Abus de ciné loue les qualités burlesques de The French Dispatch, notant sa filiation avec le cinéma de Tati et sa structure singulière : “Wes Anderson renouvelle le film à sketches en inventant ce qu’on pourrait appeler le magazine cinématographique”.
En revanche, sur Twitter, Pascal Gavillet fustige “une suite de saynètes dont le seul intérêt semble être de deviner qui se cache sous tel ou tel costume.” et déplore un “humour poseur et [un] rythme suranné pour film raté qui ne s’adresse à personne.”. Aïe…
Dans Cinématraque, Julien Lada explique une des raisons de ce ratage : “Wes Anderson en oublie parfois ses héros et surtout ses rôles secondaires, laissés sur le bas côté comme des esquisses d’eux-mêmes”. Mais la presse étrangère, paradoxalement, est plus enthousiaste que les festivaliers français. David Rooney, dans The Hollywood Reporter  est sous le charme : “every moment is graced by love for the written word and the oddball characters who dedicate their lives to it”.
Il faudra le voir pour se forger sa propre opinion, et ce sera plus facile dans un contexte moins survolté que le Festival de Cannes, où il est assez fréquent que le film le plus attendu – c’était le cas de celui-ci – soit aussi le plus décevant et le plus honni.

Parmi les films attendus, il y avait aussi Les Olympiades de Jacques Audiard. Le cinéaste français revenait à la compétition cannoise pour la première fois depuis la Palme d’Or attribuée à Dheepan et son nouveau long-métrage a surpris la Croisette en signant cette chronique sentimentale au ton plus léger que celui de ses précédents films. Pour Maximillien Pierrette, sur Twitter, ce film est “un Jacques Audiard qui ne ressemble pas à du Jacques Audiard. On croirait voir un premier film avec cette histoire d’amours en noir et blanc, pleine de vitalité et portée par un superbe quatuor.”.
Un côté “premier film” synonyme de réinvention et de renouvellement créatif que salue Thierry Chèze dans Première : “Un vent nouveau souffle dans le cinéma d’Audiard. Jamais sa caméra n’avait été aussi sensuelle, jamais on ne l’a senti aussi libre. Mais un élément reste inchangé: la qualité de sa direction d’acteurs.”.
Sur Twitter, @FFessenmeyer a lui aussi été séduit par les comédiens :  “le trio Lucie Zhang × Makita Samba × Noemie Merlant est vraiment sublime” , mais il exprime“« des réserves sur le scénario qui semble parfois vouloir cocher trop de cases”, concluant qu’il n’a “pas les épaules pour la Palme”.
Même sentiment mitigé pour Paris Match. Si Karelle Fitoussi salue l’initiative d’un film qui “dessine la carte du tendre contrariée d’une génération de couteaux suisses en perpétuelle mutation avec l’ambition d’élargir les représentations d’un cinéma français blanc-bourgeois qui se cantonne habituellement aux intérieurs haussmaniens”, elle déplore “une photogénie et d’une narration de série télé”.

Si Audiard a plutôt séduit les festivaliers, Bruno Dumont semble avoir eu plus de mal à convaincre, c’est un euphémisme. Pour Ecran noir, “Fable et farce, existentiel et philosophique, politique et satirique, France de Bruno Dumont multiplie les tonalités, pour, au final, devenir un film désarticulé, confus et énigmatique”. Même déception chez Jean-Baptiste Morel : “Le temps de 2, 3 scènes, France fait illusion et montre quelle belle farce sur l’exercice journalistique il aurait pu être. Mais c’est finalement le bon gros nanar des familles de la compétition.”.
Pour Cyprien Caddeo, on tient même le “bonnet d’âne de la sélection”. Une impression semble-t-il partagée par beaucoup, qui ont sifflé et hué le film en projection officielle…
Mais Télérama, par la plume de Louis Guichard, défend le film, “satire sociale pleine de rage” contre la “France d’en-haut”.  Sur France info, Matteu Maestracci lui trouve également quelques qualités : “c’est souvent très juste, vachard comme il faut, on rit souvent” et notamment l’interprétation de ses comédiennes principales : “Léa Seydoux encore en majesté ajoute un côté très nature à sa palette d’actrice”. Constat partagé avec Rafael Wolf : “Blanche Gardin est dingue et hilarante”.

Nanni Moretti, autrefois chouchou du festival avec son Journal intime et palmedorisé pour La Chambre du fils, semble également avoir perdu les faveurs du public.
Olivier Bachelard, dans Abus de ciné, regrette : “Sans imagination côté mise en scène, [Moretti] déroule ses scènes avec un classicisme pesant, laissant ainsi l’émotion de côté” et fustige son côté “moralisateur et indigeste”.
Jonathan Pichot va encore plus loin : “J’ai la sensation d’avoir totalement perdu le cinéma de Nanni Moretti. Tout simplement affreux, une terrible déception”.
Fabrice Leclerc défend tout de même ce “film mineur”  qui offre “un moment de cinéma toujours aussi unique et captivant.”.

Si ces oeuvres divisent ou agacent, certains longs-métrages plus discrets pourraient tirer leur épingle du jeu cannois. On a assez peu parlé de Un héros d’Asghar Farhadi, pourtant un film solide, à la construction implacable.
Sur Twitter, @BobineSelective avoue avoir été “Happée par Un héros, thriller finement écrit dans lequel le spectateur tombe en empathie totale pour le personnage principal, victime d’une société malade. Vibrant, émouvant, poignant.” Céline Bourdin salue les mêmes qualités mais regrette un “côté déjà vu” qui pourrait jouer des tours au film au moment du palmarès.
Il y a eu également peu de réactions autour du film d’Ildeko Enyedi, L’Histoire de ma femme
Florent Boutet salue un « très beau film à la facture classique, entre jalousie et fumée de cigarettes. La longueur du film permet d’atteindre une profondeur qui compense un manque de romanesque.”. Cette facture classique et la durée imposante du film n’ont en revanche pas emballé Screen Daily, qui fustige “An indigestible and over-long europudding”.
La surprise pourrait alors venir de Drive my car du japonais Ryusuke Hamaguchi. Le Monde parle d’un “road-movie magnétique” qui “figure parmi les joyaux de cette 74e édition du festival”. Les Inrockuptibles s’avouent également fascinés par ce “film fleuve de presque 3 heures, adaptation d’une nouvelle d’Haruki Murakami” qui “n’avance pas sur une ligne droite, [ne cessant] de bifurquer, de prendre des raccourcis ou au contraire de s’octroyer des arrêts sur le bas-côté”. Pour Le Nouvel Obs, il s’agit de “l’une des claques (mais délicate) de la compétition” et en fait assez logiquement son “chouchou pour la Palme”.

Sinon, certains mettraient bien une pièce sur Nabil Ayouch et son Haut et fort. Pour Caroline Vié de 20mn, le film, qui s’intéresse à un professeur de rap dans un quartier populaire de Casablanca “a fait rapper la Croisette haut et fort” et “devrait passionner le jury de Spike Lee autant qu’il a séduit les festivaliers.”.
Connaissant l’intérêt du président du jury pour la culture hip-hop, c’est en effet un atout non-négligeable. Konbini défend aussi le film, “pépite revigorante et moderne”, contrairement à Marylou Duponchel, dans Les Inrockuptibles, qui estime que Nabil Ayouch “rate son portrait générationnel”.

Alors, qui remportera la Palme d’Or? Verdict dans quelques heures, lors de la cérémonie de clôture de ce cru cannois 2021.

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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