Il nous faut bien avouer que la perspective de suivre, deux heures durant, la vie ascétique d’une communauté de moines trappistes n’était pas de nature à nous enchanter…
D’autant plus quand on connaît déjà l’histoire racontée et son dénouement tragique. Des hommes et des dieux raconte en effet les jours qui précédèrent l’enlèvement et l’exécution des moines français de Tibhirine par des fanatiques religieux, dans l’Algérie troublée des années 1990 (1).
Mais, au sortir de la projection, force est de constater que Xavier Beauvois a réussi la gageure de tordre le cou à nos préjugés, livrant un film parfaitement maîtrisé, tant sur la forme que sur le fond.

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Dès les premières minutes, on se fond très naturellement dans cette ambiance monastique très silencieuse et épurée. On s’attache aux personnages, et ce, d’autant plus facilement qu’ils sont incarnés par des acteurs “touchés par la grâce” (pour une fois, l’expression est justifiée!).
Avec eux, on ressent la montée de l’insécurité autour du monastère, liée à la radicalisation de certains mouvements religieux musulmans. On partage les doutes qui les assaillent au moment de prendre une décision cruciale : suivre les consignes des autorités françaises craignant pour leur ressortissants en Algérie et quitter les lieux, ou rester, malgré le danger, pour poursuivre leur mission à la fois spirituelle et humaniste, de soutien à la population locale.

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Lambert Wilson, en leader de cette congrégation religieuse troublée, trouve l’un de ses plus beaux rôles. Avec une justesse de jeu appréciable, il déjoue les pièges liés à ce type de personnage, et notamment la tentation d’en faire un “héros mystique”, une figure sacrificielle trop ostentatoire. Cet homme d’église est certes mu par une foi très forte, un idéal religieux intense, mais il reste avant tout un homme avec jusqu’au bout, ses doutes, ses peurs, ses dilemmes…
Mais il n’est pas le seul à livrer une performance d’acteur aussi limpide, aussi fine. Tous les frères cisterciens sont campés par d’excellents acteurs, trop peu exploités habituellement par le cinéma français. Outre Michael Lonsdale, dont le physique bonhomme et la placidité collent parfaitement au doyen de ces moines, on retrouve avec bonheur Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin, Loïc Pichon, Xavier Maly, Jean-Marie Frin et Olivier Perrier.
Le premier mérite de Xavier Beauvois – et pas des moindres – est d’avoir su s’entourer de cette troupe d’acteurs exceptionnellement justes, auxquels on peut ajouter les personnages algériens, de Sabrina Ouazani à Adel Bencherif…

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Le second mérite est d’avoir su aussi s’entourer d’une équipe technique des plus compétentes, à commencer par Caroline Champetier, dont la réputation de directrice de la photo n’est plus à faire, et qui livre ici un travail sur la lumière des plus éclairés (là aussi, pour une fois, l’expression n’est pas galvaudée).

Enfin, la réussite du film de Xavier Beauvois tient aussi à la construction méticuleuse du récit, axé autour des concepts de confrontation et d’harmonie.
Confrontation des points de vue, des croyances, des images. Harmonie entre les cultures et les hommes, entre mysticisme et positivisme…

A l’instar des images du film, tout est question de contrastes. Le calme du monastère, son ambiance silencieuse et sombre, propice au recueillement et à la réflexion, tranche avec le brouhaha et l’agitation du village, baigné dans une lumière crue et dure qui traduit la fièvre montant au sein de la population.
Le comportement d’abord hostile et autoritaire du chef de la faction du GIA  (2) se heurte au calme et à la courtoisie de frère Christian, en charge du monastère.
Les moines se heurtent aussi les uns aux autres, divisés sur l’attitude à adopter face à la menace qui pèse sur eux.

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Tout est contrastes, tout est oppositions, mais en même temps, le film donne l’impression de fondre les divergences en un ensemble harmonieux, pacifié, apaisé.
Alors que l’on avait présenté ce fait divers comme un acte d’intolérance religieuse ou le rejet brutal des héritiers du colonialisme français par des radicaux, on constate, avec ce film, que rien ne laissait présager une telle violence…
Dans le village de Tibhirine, tout le monde se respectait. Catholiques et musulmans vivaient certes séparés par les murs du monastère, mais se côtoyaient au quotidien. Les frères soignaient les gens du village, conseillaient les plus jeunes, participaient à l’économie du village, étaient acceptés en tant que voisins bienveillants et conviés aux fêtes locales…
Les moines connaissaient le Coran, étaient capable d’en citer des passages – Dans une scène du film, Frère Christian parle d’une sourate avec le chef du groupe islamiste – preuve de leur ouverture à la culture religieuse du pays dans lequel ils vivaient…
Non, ce monastère n’avait rien d’une de ces antiques missions qui cherchaient à évangéliser par la force les autochtones. Il était au service de la population, participait à son bien-être en mettant en avant la fraternité, la charité chrétienne.

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Bien sûr, cela n’a pas empêché la situation de tourner au drame, à la barbarie, et le film n’élude pas le côté tragique de la chose.
Mais, contrairement à d’autres qui se seraient vautrés dans la stigmatisation bête et méchante de la religion musulmane, Xavier Beauvois ne cherche pas à pointer du doigt un coupable, ni à opposer frontalement les confessions.
Déjà, il refuse le sensationnalisme en choisissant de ne rien montrer de la mise à mort des moines enlevés. Ensuite, sachant que la version officielle du drame – l’assassinat des moines par un groupe du GIA – a été mise en doute (3), il ne prétend pas résoudre l’énigme de cet assassinat, mais propose plusieurs pistes de réflexion.
Il suggère notamment que les moines pourraient avoir été assassinés non pas par des intégristes, mais par les services secrets algériens, suite à une bavure, pour jeter le discrédit sur les factions islamistes ou tout simplement parce que les moines refusaient de quitter la zone, contrairement aux “recommandations” de l’armée…
Mais en fait, il importe peu à Xavier Beauvois de savoir qui est vraiment responsable de cette tragédie. Ce qui compte, c’est de bien montrer que la religion n’est pas le véritable enjeu de ce drame, pas plus que de tous les malheurs du Monde. C’est juste un prétexte permettant à des hommes de s’assurer une prise de pouvoir, un ascendant sur leurs semblables…
Le titre fait bien cette distinction. D’un côté, il y a les dieux, entités abstraites, invisibles et silencieuses, immortelles et immuables, auxquelles on croit ou non. De l’autre, les hommes, êtres imparfaits, faillibles, capables du pire – ces assassinats barbares – ou du meilleur.
Comme cette décision prise par les moines de rester auprès de la population locale, rudement touchée par cette guerre fratricide, et ce en toute connaissance des risques encourus… Un acte de générosité, de compassion, de courage. Une résistance à la barbarie,  à la fois dérisoire et immense, qui redonne foi en l’espèce humaine…

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Ô, frères, pardonnez-nous l’offense d’avoir douté de vous. Nous pensions nous ennuyer profondément à la vision de ce film de Xavier Beauvois. C’est tout le contraire qui s’est produit. Un miracle ? Non, le fruit du travail de toute une équipe – réalisateur, acteurs, techniciens – visible à l’écran…
En même temps qu’un hommage émouvant aux moines martyrs de Tibhirine, Des hommes et des dieux est un beau film sur l’engagement et la foi, centré avant tout sur l’humain et la notion de fraternité. Son discours mettant en exergue la tolérance et l’harmonie entre les peuples saura toucher plus d’un spectateur, qu’il soit croyant ou athée… Une prouesse qui impose… le silence…

(1) : Les moines ont été enlevés la nuit du 26 au 27 mars 1996 et ont été décapités le 21 mai de la même année, en plein pendant la Guerre civile algérienne (1991-2002).
(2) : GIA = Groupe Islamiste Armé, mouvement visant à renverser le gouvernement algérien et à instaurer un régime religieux intégriste dans le pays.
(3) : Sur le sujet, lire cet
article du Figaro du 28/08/10

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Des hommes et des dieux Des hommes et des dieux
Des hommes et des dieux

Réalisateur : Xavier Beauvois
Avec : Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin
Origine : France
Genre : touché par la grâce
Durée : 1h58
Date de sortie France : 08/09/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Télérama (avis contre)
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