“C’est sympa à cet âge-là… C’est après qu’ils vous chient sur les bottes”…
Oh, elle n’est pas contente, Babou ! Elle en veut terriblement à sa fille unique, cette ingrate qui après lui avoir collé aux basques pendant l’enfance et l’adolescence, prend aujourd’hui ses distances… Non seulement la fifille la délaisse pour sortir avec un jeune crétin du genre bourgeois coincé – tout ce qu’elle abhorre – mais en plus, elle a décidé de l’épouser… Pire, elle a fait comprendre à sa génitrice que le mieux, ce serait qu’elle ne vienne pas au mariage, afin de ne pas lui faire honte…

Bon d’accord, elle est au chômage, mais ce n’est pas de sa faute si ses employeurs potentiels sont soit des pervers avérés, soit des rabat-joie peu compréhensifs… Hors de question de mettre les pieds là-dedans…
Et surtout, elle est un peu excentrique, cette quinquagénaire qui s’habille comme une ado et se maquille “comme une pute”. Ce n’est pas de la provocation, non… Juste un besoin vital de liberté, de légèreté et d’insouciance. Babou a voyagé toute sa vie, visité de multiples pays, enchaîné de multiples petits boulots et des amants de passage…

Et elle rêve encore de nouveaux horizons, comme ce Brésil qui la fascine tant, et dont sont originaires toutes ces musiques sur lesquelles elle se trémousserait jusqu’au bout de la nuit… Elle se verrait bien sur les plages de sable fin de Rio de Janeiro…

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Mais c’est finalement sur les plages de sable fin… d’Ostende, en Belgique, qu’elle va atterrir. Babou a sa fierté. Sa fille chérie se marie, et, qu’elle soit invitée ou non à la noce, elle entend bien participer aux frais, ou de lui offrir un beau cadeau de mariage. Mais pour cela, il faut renflouer les caisses… Alors Babou accepte un emploi auprès d’une société de vente en multi-propriété, qui tente d’implanter le concept dans le Nord de l’Europe. Le boulot n’est pas très valorisant, et rémunéré au résultat. Il s’agit de rabattre les acheteurs potentiels jusqu’à la résidence pour que les vendeurs confirmés se chargent de les convaincre de la bonne affaire : vue imprenable, climat revigorant, tout confort…

Il faut déjà s’en convaincre soi-même avant de convaincre les autres. Alors vendeurs et rabatteurs sont logés sur place, dans des appartements étroits – qu’ils sont de surcroît obligés de partager – et peu fonctionnels (un lavabo avec le robinet d’eau froide et un autre avec le robinet d’eau chaude, pourquoi pas… Mais si on veut de l’eau tiède ?). Et puis, le climat est rude : deux semaines de beau temps par an, des températures n’excédant pas 20°C en été…
Bref, Ostende n’est pas le Brésil, et le job, ce n’est pas le Pérou…

Néanmoins, Babou s’accroche. Elle s’est promis de changer, de tout faire pour que ça fonctionne, cette fois… Et contre toute attente, les résultats ne se font pas attendre. Elle s’attire très vite l’admiration de ses supérieurs et la jalousie de ses collègues…
Serait-elle enfin parvenue à l’âge “adulte”, à cinquante ans passés ? Aurait-elle trouvé sur les côtes de la mer du Nord cet équilibre qu’elle semblait rechercher ?
Va-t-elle poser ses bagages pour de bon, démarrer in fine une carrière professionnelle et céder aux avance de ce flamand qui s’est entiché d’elle ? Ou bien va-t-elle céder une fois de plus à ses envies d’aventures et d’ailleurs, tout plaquer pour tout recommencer – au Brésil, pourquoi pas… ?

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A vous de le découvrir ! Car nous vous recommandons chaudement d’aller voir en salle Copacabana, cette jolie comédie qui a enchanté les spectateurs lors de sa diffusion au dernier festival de Cannes, à la Semaine de la critique.
Cela vous permettra d’échapper à la canicule tout en passant un agréable moment…

Le cinéaste Marc Fitoussi a su affiner son style et gommer les quelques menus défauts qui encombraient son premier long-métrage, La vie d’artiste.
Ce film, qui dressait portrait de trois personnages décalés tentant de vivre de leurs talents artistiques, réels ou supposés, souffrait en effet de baisses de rythme imputable à sa construction chorale, mais aussi de l’incapacité du cinéaste à entremêler parfaitement comédie pure et charge sociale caustique…    
Ici, il a intelligemment recentré son récit sur un personnage unique et a réussi à trouver le parfait équilibre entre fantaisie et regard incisif sur la société en général, et le monde du travail en particulier.
Mieux, cette opposition est au coeur du film. Babou, personnage haut en couleurs, fascinante – et un peu agaçante – de par sa liberté et son insouciance, est plongée dans un univers qui à l’opposé de sa personnalité.

La société immobilière dans laquelle elle est embauchée est semblable à l’immeuble qu’elle est supposée vendre. Imposante, grise et austère en façade, vide et froide à l’intérieur. Les couloirs vides ne sont animés que par les gueulantes de la chef des ventes (Aure Atika, impeccable en garce autoritaire) vis-à-vis des ouvriers, des vendeuses ou des rabatteuses, ou les messes basses d’employées aigries et jalouses de la réussite de Babou. Personne ne semble vraiment heureux d’être là, mais il faut bien vivre, alors ce métier-là ou un autre…
La description de ce microcosme professionnel et de l’ambiance délétère qui y règne est sans aucun doute l’aspect le plus réussi du film : promesses d’embauche non-tenues, exploitation des employés, techniques de vente destinées à abuser de la crédulité des acheteurs, obligation de résultats et inégalités dans l’obtention des primes,…  Frustrations et rancoeurs, manque d’humanité flagrant…
Non, franchement, ça ne donne pas envie de travailler là-dedans. Comme dans la vraie vie, quoi…

Copacabana - 2

Face à cette “horreur économique”, Babou fait figure d’héroïne révolutionnaire.
Elle fait sûrement partie de ces soixante-huitards qui ont conservé intacts leurs rêves de liberté. Une sorte de baba-cool après l’heure, mais qui sait s’énerver si on lui marche sur les pieds.
Hors de question de respecter les conventions ou le système, de rentrer dans un moule. C’est peut-être pour cela qu’elle se garde bien de toute relation de couple. Et tant pis pour ses prétendants (Luis Régo en vieux chômeur tranquille ou Jurgen Delnaet en pêcheur de crevettes, tous deux transis d’amour…) qui font les frais de son attitude.
Certains la diraient égocentrique. Elle l’est un peu, évidemment, mais elle est aussi capable de beaucoup d’altruisme : quand elle aide sa collègue la plus antipathique à remonter ses statistiques ou qu’elle aide son futur-gendre à se rabibocher avec sa fille, elle le fait par pure gentillesse… 
Ou par compassion quand elle décide de laisser deux SDF affamés et bleus de froid dormir dans une des nombreuses chambres inoccupées de la résidence.
Evidemment, ce geste humaniste risquerait d’être assez mal vu par ses patrons – le capitalisme n’a que faire de la philanthropie et de la charité…
Mais mieux vaut risquer de perdre son emploi que de perdre son âme.
C’est elle qui a raison et elle fait bien de nous rappeler cette évidence : on ne laisse pas des gens mourir dehors comme des chiens…

Ceci finit par nous la rendre profondément sympathique, cette femme que l’on trouvait d’abord un peu ridicule, avec ses fringues colorées et son maquillage outrancier, son amour étouffant pour sa fille et son attitude limite désagréable avec les gens qui l’aiment.
Et quand elle prend la décision de jouer sa vie sur un coup de tête, on espère très fort qu’elle puisse s’en sortir, pour nous redonner foi en la vie, en l’homme et en cette bonne étoile qui parfois, donne un coup de pouce aux gens les plus humbles…

Copacabana - 3

Oui, on l’aime, cette Babou, et on aime que ce soit Isabelle Huppert qui l’incarne, avec son jeu d’actrice si particulier, toujours sur le fil, ce mélange inquiétant de sévérité, de folie et d’extravagance.
Elle est ici extrêmement attachante, drôle et touchante. Une icône de liberté et d’éternelle adolescence…
On s’amuse de voir sa fille si coincée, si sage, si mature. Comme si le rapport parental était inversé… Les scènes entre Babou et sa fille sont absolument savoureuses, des joutes verbales parfaitement huilées. Elles le sont d’autant plus quand on sait que c’est la propre fille d’Isabelle Huppert qui  incarne la jeune femme… Elle aussi est impeccable dans son rôle…

Porté par des acteurs magnifiques, des répliques souvent drôles et finement ciselées et un scénario intelligent à la fois léger et profond, qui donne la pêche sans sombrer dans la guimauve et l’émotion facile, ce voyage vers Copacabana est des plus agréables. Voilà une des excellentes surprises cinématographiques de l’été.
Allez le voir, donc. Et ne vous étonnez pas si vous sortez de là avec le sourire aux lèvres et un air de bossa nova dans la tête…

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Copacabana Copacabana
Copacabana

Réalisateur : Marc Fitoussi
Avec : Isabelle Huppert, Lolita Chammah, Aure Atika, Jurgen Delnaet, Luis Rego, Chantal Banlier
Origine : France
Genre : le festin de Babou
Durée : 1h47
Date de sortie France : 07/07/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Critikat

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4 COMMENTS

  1. Mise en scène médiocre. Souvent champs contre champs pour les scènes entre personnages. Scénario invraisemblable sauvé par les acteurs. Pour une fois pas pas la peine de coucher pour être actrice : suffit d’avoir une mère connue…

  2. Bref, vous n’avez pas aimé… Dommage pour vous !
    Loin de moi l’envie de discuter des goûts et des couleurs de chacun, mais je me permets tout de même trois commentaires sur votre commentaire :
    1) Vous avez tout faux pour Lolita Chammah : elle connaissait déjà le cinéaste Marc Fitoussi pour avoir joué dans son précédent film et c’est sans doute par son intermédiaire qu’Isabelle Huppert a eu vent du projet. Et la jeune femme a déjà une filmographie assez fournie, sans avoir eu recours à la notoriété de sa mère…
    2) Scénario invraisemblable ? Sûrement… Comme dans de nombreux films de fiction. C’est aussi ce qui fait le charme du cinéma, non?
    3) Cela m’amuse de lire tous ces commentaires offensifs sur l’emploi du champ-contrechamp. On ne va quand même pas interdire cette technique de découpage cinématographique incontournable… De nombreux classiques du cinéma s’appuient sur le champ-contrechamp sans que cela gêne qui que ce soit… Et, personnellement, je préfère ça à ces mode qui consistent à réaliser des mouvements de caméra alambiqués mais qui s’avèrent totalement vains d’un point de vue narratif ou qui manquent de sens, ou les tournages caméra à l’épaule bâclés qui filent le mal de mer au spectateur… Ici, le champ-contrechamp sert à montrer le clivage entre la mère et la fille, l’impossibilité qu’elles ont à communiquer. Donc, cela n’a rien de choquant…

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