Alors c’est ça le phénomène littéraire de ces dernières années? C’est ça le film qui a affolé les cinémas avec des préventes massives de billets pour les avants-premières ou les premières séances à la sortie? Un récit d’une platitude affligeante, aux situations grotesques et aux dialogues crétins. Un  9 semaines 1/2 du pauvre, dont les passages érotiques sont aussi rares qu’une oasis dans le désert et dont les moments sulfureux feraient se bidonner le Marquis de Sade, tant ils sont sages…

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Quelle drôle d’idée que d’avoir glissé le mot “nuance” dans le titre d’une oeuvre qui, justement, en manque cruellement. Cinquante nuances de Grey ne repose que sur la relation de deux personnages caricaturaux – un yuppie dominateur, macho mais séduisant, et une étudiante innocente prête à s’encanailler pour ses beaux yeux – et des situations stéréotypées, héritées de romans à l’eau de rose et de mauvais mélos hollywoodiens. Il n’y a aucune nuance là-dedans. On baigne dans les clichés dès les premières images et rien ne viendra détourner le film de sa trajectoire prévisible ou n’apportera un minimum d’ambigüité aux personnages.
Sans doute faut-il prendre en considération le titre original, ou le mot “shades” signifie plus “zones d’ombre” que “nuances”. Là, on est dans le vrai. Car le film baigne constamment dans une certaine obscurité, pour mieux cacher les corps dénudés des personnages lors des rares moments coquins de l’intrigue. Certes, en matière d’érotisme, suggérer s’avère souvent plus efficace que de montrer, mais quand même pas à ce point là! Autant vous prévenir tout de suite : celles et ceux qui s’attendent à voir un film torride en seront pour leurs frais. Cinquante nuances de Grey est plus chaste que les pires téléfilms érotiques du dimanche soir. L’érotomane n’aura à se mettre sur la rétine que trois aperçus sur des paires de miches, deux plans de tétons pointus, et quelques bisous sur les cuisses. Les seuls moments où les personnages s’envoient en l’air sont ceux où ils prennent l’avion/l’hélicoptère.
Le sadomasochiste ne sera guère plus gâté avec pour seuls plaisirs qu’une petite fessée de rien du tout (aïe), deux saucissonnages qui n’émoustilleront guère que Justin Bridoux (ouch) et, comble du sadisme, quelques coups de cravaches infligés hors champ (ouïe ouïe ouïe).

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La vraie torture, c’est surtout le film lui-même, platement filmé – malgré le beau travail du chef opérateur Seamus McGarvey, reconnaissons-lui au moins cela – et très pauvrement joué par les comédiens. Jamie Dornan est beau garçon, mais il semble ne maîtriser que deux mimiques en tout et pour tout ce qui est peu pour exprimer les cinquante facettes supposées de Christian Grey. Dakota Johnson est bien mignonne, mais elle aussi se contente de se pincer les lèvres et de faire le regard de cocker enamouré pour traduire le désir d’Anna Steele. Et on ne croit pas un instant à son personnage d’étudiante innocente, vierge et romantique, qui découvre, mi-fascinée, mi-horrifiée, l’existence du plug anal et du bondage.
Et surtout, c’est ennuyeux à mourir. Tout baigne dans une ambiance lénifiante, à peine rehaussée par une bande originale piochant dans les tubes pop du moment, de Beyoncé à Sia. Le récit se traîne mollement, oscillant entre la psychologie de bazar, la romance nunuche et l’érotisme de pacotille. On ne sera pas étonné d’apprendre que le bouquin est, à l’origine, une fan-fiction inspirée de l’univers de Twillight, autre sommet romantico-soporifique dont l’intrigue était artificiellement étirée sur plusieurs romans. Bref, en guise de film sulfureux, on a surtout droit à près de deux heures pendant lesquelles il ne se passe quasiment rien, à l’exception des atermoiements de l’héroïne et des quelques scènes pseudo-érotiques précitées, filmées… au ralenti.

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C’est tellement ennuyeux qu’on en vient à apprécier les scènes les plus ridicules de l’oeuvre,  dont les situations sont tellement énormes, dont les dialogues sont tellement téléphonés qu’elles flirtent avec le nanar pur et dur. La scène où, pour faire comprendre à Anna que dans un couple, tout est histoire de compromis, son beau-père utilise une métaphore à base de chips et de gaspacho, est un beau moment de bêtise.
Au moins, on peut rire un peu de ce spectacle consternant.
C’est peut-être pour cela que le roman original a eu du succès. Les gens ont du le prendre pour une parodie de roman à l’eau de rose, non?

Bon, nous n’avons pas lu le livre – et on ne risque pas de le faire maintenant – mais apparemment, si l’on en croit la jeune spectatrice qui commentait l’action derrière nous pendant la projection, comparant les version papier et ciné, l’adaptation est très fidèle. Conclusion, le roman d’origine est aussi nul que le film.
Donc, pourquoi cet engouement? Qu’est-ce qui peut bien fasciner à ce point dans cette histoire?
On peut comprendre que ce récit érotique soft puisse vaguement émoustiller les adolescent(e)s cherchant à braver les interdits. Comme, en leur temps, des oeuvres comme 9 semaines et demi – dont Cinquante nuances de Grey repompe totalement la scène du jeu érotique avec le glaçon – Fantasmes, L’Orchidée Sauvage, Le Diable au corps ou les films de David Hamilton. Mais le phénomène touche aussi d’autres tranches d’âge, qui sont sûrement au courant de l’existence d’internet, où il est facile de trouver des vidéos érotiques SM autrement plus sulfureuses que ce que propose ce film. Il doit donc y avoir un sens caché à cette bluette romantico-masochiste…

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On pourrait être tenté d’y voir une allégorie de la Femme s’élevant contre la domination masculine, affirmant sa volonté de reprendre le contrôle de son corps et de ses désirs et de ne plus être un jouet sexuel entre les mains de l’Homme.
Le hic, c’est que le personnage d’Anna Steele est justement l’archétype de la parfaite cruche, qui craque pour l’odieux macho plutôt que pour le gentil garçon timide qui lui court après, qui se laisse embobiner par les boniments et les cadeaux, alors que n’importe quel être humain doté d’un minimum de jugeote comprend illico que le brave Christian Grey ressemble plus à un tueur en série qu’à un Prince charmant. Difficile de considérer, dans ces conditions, que le roman tente de rendre justice à la gent féminine, qui méritait meilleure représentante que cette ravissante idiote…
Et surtout, le roman a eu deux suites, qui viennent apparemment mettre à mal cette vision féministe de l’oeuvre…

On pourrait y voir, tout simplement, une ode à la différence, avec la description d’un univers de fantasmes et de plaisirs totalement différent, hors normes. Mais pour cela, il aurait fallu faire de Christian Grey un type normal. Ici, ce sont des traumas d’enfance qui expliquent sa sexualité “déviante” et ses penchants sadiques. Et tout de suite, c’est beaucoup moins intéressant.

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L’idée la plus séduisante, c’est de faire de cette intrigue une allégorie de la lutte des classes. D’un côté, le riche capitaine d’industrie dominateur, qui ne vit que pour satisfaire ses pulsions de possession et d’asservissement. De l’autre, la fille modeste, qui se laisse corrompre par l’argent, les cadeaux, la promesse d’une vie de luxe, en échange de sa soumission totale. Le dénouement peut alors être vu comme un appel à la révolte contre l’oppresseur, contre le pouvoir de l’argent, contre la domination de la bourgeoisie.
Mais le film est trop maladroit pour que l’on adhère à cette théorie là. Et de toute façon, dénoncer le pouvoir de l’argent dans ce qui n’est rien d’autre qu’une vile exploitation commerciale d’un succès de libraire, ce n’est pas très sérieux… D’autant qu’il est probable que les deux suites potentielles ne manqueront pas d’être mises en chantier si ce film a du succès.

Bref, on a beau prendre l’oeuvre dans tous les sens, on ne comprend pas l’engouement du public autour de ce récit totalement insipide, alors que d’autres longs-métrages autrement plus intéressants sortent en salle chaque semaine et que des livres autrement plus passionnants sont publiés à chaque rentrée littéraire… Vous savez ce qu’il vous reste à faire. Ne perdez pas votre temps et votre argent…

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50 nuances de GreyCinquante nuances de Grey
Fifty shades of Grey

Réalisatrice : Sam Taylor-Johnson
Avec : Dakota Johnson, Jamie Dornan, Jennifer Ehle, Eloise Mumford, Marcia Gay Harden, Luke Grimes
Origine : Etats-Unis
Genre : nanar pour spectateurs masochistes
Durée : 2h05
date de sortie France : 11/02/2015
Note :
Contrepoint critique : Metro

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1 COMMENT

  1. Excellent. J’aime ta manière de tenter de trouver du bon dans cette pseudo-oeuvre et de t’en faire ainsi l’avocat du diable.

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