Décidément, depuis deux ou trois ans, la mode est aux films “carcéraux”… Et le moins que l’on puisse dire c’est que cela inspire les cinéastes.
Bon d’accord, le mois dernier, Dog pound, plongée dans l’enfer d’un centre de détention pour jeunes garçons plus que turbulents, ne nous a guère enthousiasmés…
Mais il y a deux ans, Leonera de Pablo Trapero et surtout Hunger de Steve McQueen enthousiasmaient les cinéphiles. L’an passé, Bronson nous rappelait le talent de Nicolas Winding Refn. Et pendant que, chez nous, Un prophète triomphait aux César, nos voisins espagnols donnaient huit Goya à Cellule 211 de Daniel Monzon, qui sort aujourd’hui sur nos écrans, après un an d’attente…

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Pour éviter tout de suite le jeu inévitable des comparaisons entre ces deux films multi-primés, précisions tout de suite qu’ils ne jouent pas dans la même cour, et ne nourrissent absolument pas les mêmes ambitions. Audiard se servait de la prison comme un décor dans lequel son personnage principal s’endurcissait et s’émancipait, se servant de son incarcération comme d’un tremplin social. Accessoirement, il greffait sur ce film ses thématiques récurrentes sur la filiation et la réussite individuelle.
Monzon, lui, signe avant tout un film d’exploitation pur et dur, décomplexé, un thriller efficace qui exploite parfaitement les codes du genre et le décor pour nous entraîner dans une action haletante de bout en bout

La première scène, très âpre, donne immédiatement le ton – Ca va être noir et désespéré : Un vieux détenu rendu à moitié fou par les conditions de détention s’ouvre les veines avec une lame qu’il s’est lui-même fabriquée. Peu de temps après, un jeune homme prénommé Juan vient faire un tour dans les locaux, histoire de se familiariser avec cet environnement impressionnant à la veille de sa prise de fonction, en tant que nouveau gardien…
Pas de chance, il tombe en  plein milieu d’une émeute violente. Heurté à la tête, il est abandonné dans une cellule par ses nouveaux collègues (sympa!) qui s’empressent de déguerpir avant que les choses ne tournent trop au vinaigre.
Juan est pris au piège… Si les détenus, surexcités, apprennent qu’il est gardien, il risque de se faire tabasser à mort. Et s’il passe pour un simple civil, il servira d’otage aux prisonniers… A peine plus enviable… Non, sa seule chance de s’en sortir tout en se rendant utile est de se faire passer pour un nouveau détenu.
Malin, bon comédien et plein de sang-froid, il parvient non seulement à abuser les insurgés, mais également à gagner la confiance de Malamadre, leur  leader charismatique…

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Il obtient ainsi un sursis, mais il n’est pas tiré d’affaire pour autant… Déjà parce que son imposture pourrait être dévoilée d’une façon ou d’une autre, avec les conséquences fatales que cela suppose. Ensuite parce qu’il comprend assez vite que la confrontation entre les détenus et les autorités risque fort de virer au bain de sang, et que se retrouver au coeur des débats n’est pas vraiment une bonne idée…

Les rebelles n’ont en effet plus rien à perdre. Ils sont à bout de nerfs, usés par des conditions de détention de plus en plus rudes (locaux vétustes, brutalité du personnel, utilisation abusive des quartiers d’isolement…), qui n’ont jamais été remises en question malgré les promesses faites à l’issue d’autres tentatives d’émeutes. Et comme les plus dangereux d’entre eux, comme Malamadre, n’ont aucun espoir de remise de peine et de libération anticipée, ils sont prêts à tout pour se faire entendre…
De plus, ils détiennent cette fois trois prisonniers un peu particuliers, des terroristes basques membres de l’ETA, dont le sort inquiète beaucoup le gouvernement et qu’ils entendent bien utiliser comme monnaie d’échange.

De l’autre côté, les autorités se retrouvent dans une situation délicate. L’émeute violente de la prison étant surmédiatisée, elle donne des idées aux détenus des autres centres pénitentiaires et si elles ne font rien, la rébellion va s’étendre comme une gangrène. Mais si elles interviennent pour mettre fin à l’émeute, cela risque de coûter la vie aux trois précieux otages et provoquer une recrudescence des attentats de l’organisation séparatiste basque… Cruel dilemme, qui induit aussi une certaine nervosité du côté des unités d’intervention…

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Le quartier de haute sécurité a donc tout d’une poudrière que la moindre étincelle menace de faire exploser : le groupe d’intervention est prêt à intervenir si quoi que ce soit arrive à un des otages, et la vie de ceux-ci est liée à la capacité de Malamadre et ses hommes à garder leur calme. Vu le tempérament sanguin de ces types-là, c’est loin d’être gagné, d’autant qu’à l’intérieur, les détenus en profitent pour régler leurs comptes et à défendre leurs intérêts personnels et qu’à l’extérieur, les CRS ont la main lourde vis-à-vis des proches des prisonniers.
Au milieu de ce merdier, Juan fait ce qu’il peut… Il doit garder son secret tout en oeuvrant pour que la situation ne dégénère pas et que l’intervention des forces de police se fasse en douceur. Et il doit se débrouiller seul, car le gouvernement se moque comme d’une guigne de ce gardien de prison trop zélé qui n’avait rien à faire ici ce jour-là… Un peu comme John McClane dans la série des Die Hard

Sauf que Juan n’a rien d’un action-hero…
C’est juste un type ordinaire qui essaie de sauver sa peau en milieu hostile et qui, plongé dans cet enfer, laisse entrevoir des aspects inattendus de sa personnalité.
Son évolution obéit plus aux règles du polar bien noir qu’à celles du blockbuster d’action hollywoodien.
Et le scénario, après avoir exploité plus qu’honorablement le potentiel de ce huis-clos carcéral – comment se faire passer pour un détenu ? comment gagner la confiance de Malamadre ? comment communiquer avec l’extérieur ? comment désamorcer les situations les plus périlleuses sans trop attirer l’attention ? – et maintenu la tension entourant les négociations entre matons et détenus, bifurque intelligemment vers d’autres horizons, par la grâce d’une chaîne d’événements imprévus. Minuscules grains de sable venant gripper les rouages de la belle mécanique narrative et l’emballant vers un dénouement intense et poignant…

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Fort de ce scénario bien écrit (par  Daniel Monzon peut se concentrer sur sa mise en scène, sobre, nerveuse, d’une efficacité redoutable et sur la direction d’acteurs.
Car si Cellule 211 est un film réussi, il le doit avant tout à ses acteurs, tous remarquables, autant par leur présence physique que par la justesse de leur jeu.

Il y a d’abord l’excellent Luis Tosar, dont le physique viril et le charisme conviennent à merveille au personnage de Malamadre. Il évolue bien loin des clichés du genre. proposant un personnage plus nuancé qu’il n’y paraît de prime abord, crédible aussi bien en dur à cuire capable d’imposer le respect à ses camarades de cellule qu’en figure sacrificielle prête à donner sa vie pour ses convictions et son honneur…
L’acteur n’a pas volé sa récompense de meilleur acteur aux Goya…
Il est bien entouré par des “trognes” de toute première grandeur, à commencer par Carlos Bardem (le frère de Javier), qui campe un impressionnant caïd latino, fourbe et malin, Vicente Romero, convaincant bras droit de Malamadre, Luis Zahera, impeccable en brute épaisse basse du casque ou Antonio Resines, également très bien en maton sadique qui a la matraque qui le démange…

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Face à eux, le quasi-débutant Alberto Ammann impressionne par son aisance et sa belle présence à l’écran. Nul doute qu’on reparlera de lui très prochainement. Sa performance lui ouvre grand les portes du cinéma espagnol et plus si affinités avec Hollywood…
Manuel Moron, Fernando Soto et Marta Etura, autres acteurs espagnols de premier plan, viennent compléter ce casting sans fausse note. C’est suffisamment rare pour être souligné…

… et cela prouve bien que Cellule 211 a été concocté avec l’envie de présenter un travail soigné au spectateur.
Le film de Daniel Monzon est la démonstration de ce que devrait être le cinéma dit “de genre” : efficace et haletant, cohérent et intelligent…
Seul bémol : les flashbacks sentimentaux entre le “héros” et sa femme sont superflus et entraînent le film sur les sentiers du mauvais mélo.
Mais fort heureusement, ils ne sont pas légion…
Alors si vous avez envie d’une bonne dose de sensations fortes et que la noirceur ne vous dérange pas trop, vous pouvez tenter de vous enfermer, durant près de deux heures, avec ces “charmants” pensionnaires. Effet garanti…

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Celda 211

Réalisateur : Daniel Monzon
Avec : Luis Tosar, Alberto Ammann,  Carlos Bardem, Antonio Resines, Manuel Moron, Marta Etura
Origine : Espagne
Genre : film carcéral brut de brutes
Durée : 1h50
Date de sortie France : 04/08/2010

Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Télérama
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