Oh Canada affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parte ?

De Leonard Fife (Richard Gere), un cinéaste documentariste en phase terminale d’un cancer incurable qui, sentant sa fin proche, accepte de donner une ultime interview à ses anciens disciple. Mais il tient à imposer ses conditions, à savoir pouvoir développer librement le récit de son existence et dévoiler certains secrets qu’il n’avait jamais révélés auparavant. Il insiste aussi pour que sa compagne Emma (Uma Thurman) soit présente pour entendre l’intégralité de ses confidences.

Pourquoi on reste à la frontière?

On ne va pas se mentir, Oh, Canada ne sera probablement pas le film le plus joyeux du Festival de Cannes 2024. Cest une oeuvre funèbre, hantée par la mort. Au départ, il  y a un roman, “Foregone”, écrit en 2021 par le romancier Russell Banks qui se savait déjà atteint d’un cancer et “not the good kind”, comme le décrit son personnage, Leonard Fife. Son ami Paul Schrader, qui avait déjà porté à l’écran l’un de ses romans (Affliction), a décidé d’adapter le texte pour le cinéma à un moment où il était lui-même gravement malade (probablement une forme aiguë de COVID-19) et se pensait en fin de vie. De ce fait, il y a beaucoup des deux hommes dans le personnage principal, documentariste renommé portant sur sa vie un regard critique et sincère.

Fife, qui s’est fait connaître pour ses oeuvres engagées, portées par une quête permanente de vérité, estime que sa célébrité repose sur un mensonge. Il est admiré pour avoir renié sa nationalité américaine et s’être exilé au Canada pour protester contre la Guerre du Vietnam. De là, il a pu tourner bon nombre de documentaires engagés, politiques et humanistes. Mais la réalité est peut-être plus triviale, et en rapport avec sa vie privée. C’est aussi pour cela qu’il tient à ce que son épouse assiste à sa confession. Pour lui dévoiler ses secrets plus intimes, ses regrets et ses remords.
Le documentariste ne répond pas aux questions de ses deux anciens disciples, mais se met à raconter sa vie. Il commence par évoquer l’existence qu’il aurait pu mener. On comprend qu’il a d’abord brièvement été marié à Alicia, une jeune femme de bonne famille, avec qui il a eu un fils. Le couple envisageait de s’installer dans un coin tranquille des Etats-Unis, où Leonard pourrait mener une carrière d’enseignant tout en essayant d’accomplir son rêve, devenir écrivain. Quand le père de la jeune femme lui a proposé un plan de carrière différent, en reprenant la direction d’une de ses sociétés, Leonard a finalement pris peur et tout plaqué. Il parle des autres femmes qu’il a fréquentées, des différents projets qu’il a entrepris, de sa carrière avortée en tant qu’écrivain et de sa réussite en tant que cinéaste. Mais au fil du récit et des interruptions du tournage, on ne sait pas trop si ses souvenirs sont précis ou flous, s’il ne mélange pas les époques ou s’il ne prend pas quelques libertés avec les faits. Cette impression d’incertitude est soutenue, à l’écran, par la présence, tantôt de l’acteur incarnant le jeune Leonard (Jacob Elordi), tantôt de Richard Gere. Et par Uma Thurman jouant le même personnage jeune et plus âgé.
Pour autant, le résultat semble dresser un portrait assez fidèle, assez juste, du personnage : un aventurier, séducteur impénitent, ayant du mal à se poser quelque part, mais que l’âge et la maladie ont assagi. Aujourd’hui, il est conscient de la place d’Emma dans sa vie – même s’il ne peut s’empêcher de charmer la jeune assistante du réalisateur.

Ce portrait est habilement mené, grâce à la mise en scène très précise de Schrader, sans fioritures, et à son montage élaboré, fragmenté comme la mémoire du personnage. Le cinéaste réussit le pari de transposer sur grand écran le style très littéraire de Russell Banks et de respecter l’essence de l’oeuvre originale, où le personnage et l’auteur regardaient la mort avec sérénité, sans pathos.

Mais c’est peut-être là aussi la limite de l’exercice, car combinant le style assez brut de Banks, la mise en scène froide de Schrader et un récit volontairement anti-mélodramatique, on obtient une oeuvre un peu sèche, où l’émotion n’affleure pas comme elle le devrait. On peut aussi trouver l’intrigue, finalement assez pauvre en révélations croustillantes et secrets tortueux, un peu ennuyeuse.

On reste donc un peu à la frontière, partagés entre l’envie de d’aimer le film, qui porte clairement la patte de Paul Schrader, ce ton singulier qui caractérise ses dernières oeuvres et qui rend un hommage sincère à Russell Banks, et celle de succomber aux bâillements qui ne tardent pas à nous assaillir, à mi-parcours.

Contrepoints critiques :

”Schrader mixes styles and approaches for his most experimental film in years, but the drama about an ailing filmmaker starring Richard Gere and Jacob Elordi as that same person gets too often lost in its own ambition”
(Ryan Lattanzio – Indie wire)

“Signe du temps qui passe, la solitude existentielle des âmes schraderiennes est de plus en plus hantée par la mort. Le tic-tac de l’horloge avance, et s’accompagne d’une tentative de salut, magnifiquement travaillée dans la dernière trilogie du réalisateur. Oh, Canada s’inscrit dans cette continuité, tout en amenant Schrader à renouveler (un peu) une formule qui commençait à s’essouffler.”
(Antoine Desrues – Ecran Large)


Crédits photos : © Oh Canada LLC –ARP – Image fournie par le Festival de Cannes

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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