Black flies affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

Des nuits agitées de deux ambulanciers au service des pompiers de New York et de la difficulté à ne pas se laisser submerger par les ténèbres quand on est constamment confronté à la misère, la violence et la bêtise humaine.
Le premier, Ollie Cross (Tye Sheridan) est un “rookie”. Il s’est engagé comme ambulancier le temps de passer le concours de médecine. Il a une vision idéaliste et un peu naïve du métier et ne tarde pas à en découvrir tous les aspects les plus sombres : entre les patients qui refusent les soins, la pression de l’entourage, les zones d’intervention dangereuses et, in fine, un nombre de victimes sauvées proche du néant, le bilan n’est pas glorieux… Son partenaire, Gene Rutkovsky (Sean Penn) est beaucoup plus expérimenté et les évènements extérieurs semblent glisser sur lui sans jamais l’atteindre. Mais peut-être n’est-ce qu’une façon de cacher sa lassitude, après des années de travail dans des conditions difficiles, à se briser le dos, à sacrifier sa vie personnelle, pour ne recevoir en échange que des marques d’ingratitudes, des insultes et des crachats.

Pourquoi on a besoin du défibrillateur ?

Black flies est tiré du roman “911”. L’auteur, Shannon Burke, a été ambulancier à Harlem, comme ses protagonistes, avant de devenir écrivain, et s’est servi de son expérience pour écrire un texte très bien documenté, qui permet une immersion réaliste au coeur des interventions des services d’urgence. Jean-Stéphane Sauvaire prend le parti de proposer la même chose au spectateur, en suivant de très près les protagonistes au coeur de la tourmente. Dès les premières minutes, on est dans l’ambiance. Lumières rouges et bleues des ambulances, bruits de sirènes, coups de feu, brouhahas entremêlant cris et insultes. Ollie est un peu sonné au moment de sa première intervention. il faut dire que pour un baptême du feu, il y a du boulot. Une fusillade entre gangs rivaux. Un type est blessé au pied et se tord de douleur, mais on lui demande de le laisser de côté pour s’occuper d’autres blessés plus sérieux. La victime la plus amochée s’est pris plusieurs balles dans le buffet. Il a un pneumothorax qui l’empêche de respirer et le coeur qui peut lâcher à tout moment. Les deux ambulanciers font ce qu’ils peuvent pour maintenir le bonhomme en vie, le temps d’arriver à l’hôpital.
La séquence est impressionnante et nous plonge directement dans le grand bain. La suite est du même calibre. Les ambulanciers ont des interventions plus “légères”, comme l’évacuation d’une SDF après un malaise dans un lavomatique, mais la plupart du temps, ce sont des transferts qui se terminent mal : personnes âgées en fin de vie, drogués en pleine overdose, victimes de chiens de combat… Parfois, les ambulanciers doivent évoluer en milieu hostile, sous les menaces verbales ou physiques.
Le film alterne les séquences mouvementées et des moments de pause assez planants, qui restituent l’état de fatigue des urgentistes et le blues qui les envahit peu à peu. Pour le côté immersif, rien à redire, c’est une franche réussite.

Le récit aborde aussi des questions plus dérangeantes, sur l’éthique du métier. La plupart des patients qui transitent par l’ambulance sont des marginaux, des truands, des drogués, des parasites pour la société. Certains des urgentistes, blasés par les nuits de service éprouvantes, les longues heures passées à tenter de sauver des criminels, des salauds, sans jamais aucune reconnaissance de la part des autorités, se demandent s’il ne vaudrait pas mieux refuser les soins et garder l’énergie pour des patients qui le méritent. Autant le dire tout de suite, ce n’est pas du cinéma agréable, gentil et propre sur lui. C’est du cinéma sale, percutant, dérangeant, qui véhicule une vision du monde pessimiste. On n’attendait pas autre chose de la part de Jean-Stéphane Sauvaire, qui à chaque film, nous plonge dans des univers sordides : les quartiers de Medellin (Carlitos Medellin), des pays d’Afrique en guerre où règnent les enfants soldats (Johnny Mad Dog) ou une prison thaïlandaise (Une prière avant l’aube). Cette fois-ci, ce sont les bas-fonds de New York qui servent d’arrière-plan à l’intrigue, loin des beaux quartiers de Manhattan. Le cadre incite à faire le rapprochement avec l’excellent A tombeau ouvert de Martin Scorsese, qui nous entraînait lui aussi dans le quotidien d’un ambulancier newyorkais dépressif. On se gardera bien de comparer la mise en scène de Sauvaire avec celle de Scorsese, mais elle réussit à nous tenir en haleine du début à la fin, bien aidée par le travail des deux comédiens principaux, impeccables, que ce soit Tye Sheridan en jeune urgentiste humble et droit, peu à peu ébranlé par les situations vécues ou Sean Penn, parfait dans ce rôle de vétéran à bout de course.

Contrepoints critiques :

”Pour son arrivée en compétition, Jean-Stéphane Sauvaire signe un uppercut d’une violence folle, avec Sean Penn et Tye Sheridan.”
(Antoine Desrues – Ecran Large)

Mouches à merde – Deux urgentistes ­sillonnent les bas-fonds de Brooklyn au secours de ­junkies et prolos ingrats dans un film réac et ­tâcheronné, avec un Sean Penn plus cabot que jamais.”
(Didier Péron – Libération)

Crédits photos : Copyright FilmNation Entertainment

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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