Showing up - affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ? :

De quelques jours de la vie de Lizzie (Michelle Williams), artiste qui a toutes les peines du monde à travailler à sa prochaine exposition, qui pourrait enfin lui permettre de se faire connaître et vivre de sa passion.
Tout semble se liguer contre elle. Déjà, son ballon d’eau chaude est en panne et elle ne peut donc plus prendre de douches. Quand elle s’en plaint à sa logeuse et amie, Jo (Hong Chau), celle-ci lui rétorque qu’elle a non pas une, mais deux expositions importantes à préparer, et donc qu’elle a d’autres chats à fouetter… En parlant de chat, celui de Lizzie, un gros matou prénommé Ricky, n’a rien trouvé mieux que de lui déposer un encombrant cadeau au pied du lit : un pigeon imprudent qu’il a réussi à attraper. Lizzie doit se débarrasser du volatil, moribond, mais encore en vie, puis nettoyer les dégâts. Encore de précieuses minutes de perdues… Et ce n’est pas prêt de s’arranger puisque le lendemain, Jo lui demande de s’occuper du malheureux oiseau, qu’elle a recueilli dans son jardin…
Lizzie doit donc, en plus de la création d’une dizaine de sculptures et l’organisation de son vernissage, garder son chat à distance et veiller sur le pigeon malade. Elle doit aussi composer avec sa famille, une mère psychorigide et un peu trop distante, un père fatigué et ses amis envahissants, un frère bipolaire en pleine crise.
Comment travailler sereinement dans ces conditions? Comment faire en sorte que son exposition soit prête le jour J?

Pourquoi le public est resté de marbre (comme une statue) ? :

On exagère un peu… Il est inexact d’affirmer que les festivaliers sont restés de marbre face au nouveau film de Kelly Reichardt. Mais ce n’était pas rendre service à Showing up que de le projeter lors de la dernière journée du 75ème Festival de Cannes, après plus d’une vingtaine de films de haute tenue, portés par une mise en scène impressionnante, des scénarios complexes ou des thématiques imposantes. Le film de Kelly Reichardt détonne en effet par son aspect minimaliste et sa simplicité. Il a l’air d’une pauvre petite chose fragile au milieu de mastodontes du septième art, un pigeon mal en point entouré de grands félins. Certes, cela colle bien avec les rares enjeux du film : l’artiste perturbée pourra-t-elle se faire sa place au milieu d’autres artistes plus productifs? L’oiseau blessé pourra-t-il enfin prendre son envol? Mais il souffre clairement de la comparaison avec des oeuvres autrement plus ambitieuses formellement et thématiquement.

Une projection à Cannes Premières, par exemple, aurait été plus profitable. Thierry Frémeaux, délégué général du festival, n’a eu de cesse de présenter cette section comme un écrin pour projeter les oeuvres plus modestes d’auteurs réputés, sans la pression de la compétition. C’est exactement ce qu’il aurait fallu à ce “petit” film tout simple, dont le charme met un peu de temps à agir. Peut-être a-t-il fait ce choix parce qu’il s’est remémoré qu’il y a quatorze ans, certains lui avaient reproché d’avoir placé Wendy & Lucy, la première collaboration du duo Kelly Reichardt/Michelle Williams, dans la section Un Certain regard plutôt qu’en compétition, où il aurait rivalisé avec les meilleurs. Ah, ces festivaliers! Impossibles à satisfaire…
En même temps, Wendy & Lucy avait une dimension sociale beaucoup plus prononcée et ses enjeux étaient un peu plus prenants. Son personnage principal ne se débattait pas contre un problème de chaudière, mais tentait de partir en quête d’un travail dans une Amérique rurale économiquement sinistrée. Il est plus difficile de s’attacher à Lizzie et ses petits problèmes, comme il est plus difficile de croire à la relation fusionnelle de l’artiste avec ce pigeon mal en point qu’à celle qui unissait Wendy et sa chienne Lucy.

Le point commun entre les deux films, et leur force principale, c’est surtout la performance de Michelle Williams. L’actrice est une fois de plus impeccable dans ce rôle d’artiste torturée qui a du mal à communiquer avec les autres autrement que par ses oeuvres. Elle réussit finalement à nous faire aimer cette jeune femme bougonne, pour qui chaque interaction sociale semble une épreuve, une corvée, mais qui cache, derrière son attitude une réelle tendresse envers les autres. Grâce à elle, on prend du plaisir à regarder cette oeuvre mineure, mais sympathique, qui a aussi le mérite d’exposer l’ubac de la création artistique américaine :  modestes communautés de plasticiens qui comptent sur la solidarité de leurs membres pour progresser, individus anonymes, parfois en marge de la société, qui mettent toute leur énergie à façonner de nouvelles oeuvres, inlassablement, petites galeries essayant de faire découvrir leur talent…
On retrouve ici la volonté de Kelly Reichardt de montrer une autre facette de l’Amérique, loin des clichés, loin de ces publicités mièvres vantant l’american way of life. Pour autant, ce n’est pas non plus un portrait misérabiliste. Ses personnages sont des gens ordinaires – peut-être un peu plus doués que la moyenne en arts plastiques et un peu moins doués pour les interactions sociales – qui font face à des problèmes du quotidien et continuent à aller de l’avant.

Au final, Showing up ressemble beaucoup à la pièce maîtresse de l’exposition de Lizzie. C’est une petite pièce artisanale, très fragile, d’un aspect assez classique mais possédant un certain charme qui tient à ses couleurs singulières et un joli jeu d’ombres et lumières. Elle ne sera jamais considérée comme un chef d’oeuvre cinématographique, mais décorera avec goût notre mémoire de cinéphile.

Palmomètre :

On ne tablait sur aucun prix, si ce n’est, éventuellement pour Michelle Williams. Le film est effectivement reparti bredouille de la Croisette. Mais il a été exposé, ce qui était sans doute son ambition principale.

Contrepoints critiques :

”Showing Up semble par moment ne rien raconter de spécial, mais il montre que tous ces anti-événements bâtissent jour après jour nos vies, nos personnalité, nos communautés, nos liens. C’est moins un microscope tourné sur des détails qu’une fenêtre laissée béante vers l’extérieur, une invitation bienveillante à réinventer la rapport avec notre environnement humain. Le résultat possède une grâce subtile qui n’appartient décidément qu’à Kelly Reichardt.”
(Grégory Coutaut – Le Polyester)

“Kelly Reichardt Sculpts Dull & Aimless ‘Showing Up’”
(Alex Billington – First showing)

”Toute la grammaire classique de Sundance y est, avec ce qu’il faut de drame, de comédie et de mélancolie pour séduire les aficionados de Reichardt. Pour les autres, c’est sans surprise et un peu sans saveur.”
(@RouxAlexis3 sur Twitter)

Crédits photos : Allyson Riggs/Courtesy of A24 – image fournie par le Festival de Cannes

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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