PAcifiction affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ? :

D’un Haut-Commissaire de la République, De Roller (Benoît Magimel) qui prend conscience d’un changement dans l’équilibre des forces en présence en Polynésie Française et qu’il va bientôt devoir tirer sa révérence. L’homme est installé depuis longtemps dans cette zone du Monde et entretient avec les populations des différentes îles des rapports cordiaux. C’est un fin politicien qui sait manier la langue de bois, les fausses promesses et qui sait aussi se constituer des réseaux fiables et pertinents, entretenant à coups de pots de vin et de suffrages truqués de petits édiles locaux. Aussi, quand il réalise que les représentants locaux sont en train d’être remplacés par de nouveaux, plus hostiles, il se pose quelques questions. La présence de curieux étrangers, d’origine portugaise, britannique, américaine ou chinoise, lui laisse à penser qu’une tentative de déstabilisation géopolitique est en préparation. Mais ce sont les rumeurs concernant la reprise des essais nucléaires français à Mururoa qui lui posent le plus de soucis. Les autochtones affirment avoir perçu la présence d’un sous-marin en manoeuvre dans les eaux du Pacifique. Or l’état ne l’a absolument pas informé de ce projet. Tout d’abord, il balaie cela d’un revers de la main. Le projet lui semble absurde. Cela menacerait la santé des habitants de l’archipel, et attiserait une révolte bien légitime. L’Amiral (Marc Susini) lui assure d’ailleurs que la reprise des essais nucléaires n’est pas à l’ordre du jour. Cependant, De Roller réalise qu’il y a un peu plus de marins que d’habitude, et que toute cette agitation ne présage rien de bon.

Pourquoi on n’explose pas de joie face à ce film d’Art & essai nucléaire? :

Pacifiction, c’est un peu un épisode d’OSS 117 revu façon art & essai radical, avec des plans qui semblent ignorer qu’une seconde représente la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 et donc qu’il ne faut pas trop abuser sur la quantité utilisée. C’est aussi un OSS 117 sans humour potache. Le seul truc involontairement drôle, c’est de voir Benoît Magimel, en roue libre, commenter l’action à intervalles réguliers, notamment quand il sert de directeur artistique pour un spectacle avec des danseurs locaux (est-il Haut-Commissaire ou meneur de revue?).

« Ça manque de violence. » dit-il à une danseuse pleine de plumes, prête à symboliser par son art un combat de coqs (Aloha la symbolique à 40 Francs Pacifique…).
C’est vrai… On n’est pas dans un James Bond, quand bien même le héros boit des cocktails et porte un smoking blanc. Comme, d’ailleurs, le protagoniste de Stars at noon, l’autre film d’espionnage neurasthénique de Cannes 2022. Au moins, dans le film de Claire Denis, il y avait un semblant de suspense, l’impression d’un danger imminent.
Ici, la seule tension perceptible est celle des strings des danseurs du » Paradis », la boîte de nuit où tout ce beau monde se retrouve à la nuit tombée…

Il ne se passe pas grand chose. Juste des longues séquences de dialogues sibyllins, entrecoupées de jolies images des îles et de plans sur des marins se déhanchant en boîte de nuit. Kechiche se serait-il infiltré sur le tournage, en agent trouble? En tout cas, rien d’excitant là dedans. Le seul truc un peu excité, c’est le Césium qui continue ses oscillations frénétiques…
Tout avance mollement vers la scène-clé du film, un long monologue où De Roller exprime à l’un de ses acolytes tout son désenchantement par rapport à la classe politique et aux travers de son métier. Pas de bol, le type à ses côtés ne l’écoute plus. Il pique un roupillon. Le spectateur aussi, potentiellement, après près de 2h de film et aucune avancée significative de l’intrigue…

“On y va ?” finit par demander Magimel à un autre comparse. Ben oui, si ça ne vous dérange pas trop…
Il serait temps d’appuyer un peu sur le champignon atomique, car on n’a pas que ça à faire, hein… On a d’autres films à voir, probablement plus palpitants.
Donc on y va. De Roller cherche où le sous-marin coule mais n’amasse pas mousse. Alors il retourne en boîte de nuit, où l’Amiral, en fusion comme un atome d’uranium, danse la carioca devant des types censés symboliser les grandes puissances mondiales : russe, américain, chinois…

C’est lui qui aura le mot de la fin. Sa réplique commence par “Nous avons attendu 20 ans…” . Pas loin… 2h45 qui semblent durer une éternité.

Au choix, on peut crier au génie et à la Palme d’Or, si on aime le cinéma hautement contemplatif et totalement abstrait, où au nanar radioactif. On penche plutôt vers la seconde option, car cela fait un bon moment qu’Albert Serra se fiche des spectateurs, avec ses dispositifs d’un ennui mortel, sans enjeux narratifs, sans autre idée, de mise en scène, de film en film que l’étirement du plan jusqu’à la rupture. L’avantage, c’est que quand on n’attend rien de bon d’un film, on ne peut pas être déçu… Ici, même si on trouve toujours le style de Serra parfaitement horripilant, il faut admettre que son nouveau film possède un côté hypnotique assez fascinant, qui colle bien au propos de l’oeuvre.

Il faut aussi reconnaître que, sur le papier, Pacifiction semblait être une très belle idée de scénario. On comprend l’intention du réalisateur qui était de réaliser un film mystérieux sur les arcanes du pouvoir, opposant le rythme indolent et la douceur des îles polynésiennes, magnifiquement photographiées par Artur Tort, aux coulisses de la politique locale, entre magouilles, corruption et élections truquées. Dès le premier plan, scindant l’image avec sur la partie supérieure des volcans sur fond de soleil couchant, et sur la partie basse, des conteneurs métallique industriels, il y a bien l’idée d’un clivage idéologique.
L’idée-force est de suggérer ce qui se joue “en sous-marin” alors que tout est très calme sur les îles, d’exprimer par touches discrètes ce qui menace de créer quelques remous dans le Pacifique. L’autre belle idée est de créer une ambiance crépusculaire pour dépeindre la fin d’une ère et l’avènement d’une nouvelle, tout aussi trouble, et de vivre tout ceci par le biais du personnage fatigué de Benoît Magimel. Certains souligneront tout cela pour défendre le film et le porter aux nues. De notre côté, on ne peut s’empêcher de penser qu’en faisant plus court, plus subtil et en essayant d’insuffler ne serait-ce qu’un peu de tension à l’intrigue, le résultat aurait été bien plus explosif…

Palmomètre :

Certains lui prédisent la Palme d’Or et un prix d’interprétation pour Magimel. On ne souhaite ni l’un ni l’autre. Eventuellement un Prix du Jury pour saluer le côté hors normes du film. Mais l’originalité ne suffit pas à faire de bons films…

Contrepoints critiques :

Pacifiction est l’Apocalypse Now d’aujourd’hui. Si le nucléaire a remplacé le napalm et le spectacle de l’absurdité de la parole politique a supplanté celui de la guerre, les films de Serra et de Coppola partagent un horizon conradien (la dissolution du colonisateur à la surface d’un paradis perdu) et une image nimbée d’une sublime lumière crépusculaire.“
(Bruno Deruisseau – Les Inrockuptibles)

”Thriller paranoïaque expérimental, où rien n’advient vraiment, mais où tout semble sans cesse au bord de l’explosion ou de l’embrasement, Pacification montre une Polynésie française inédite, certes somptueuse, mais surtout inquiétante et ténébreuse.”
(Louis Guichard – Télérama)

”’Je devrais peut-être arrêter mon métier car je comprends plus rien’ dit le personnage de Benoit Magimel dans Pacifiction et ça résume assez bien mon état face à ce film soporifique. Chaque minute écoulée semblait être une année chien.”
(@ Marg_oh sur Twitter)

“Énorme barre de rire nerveux devant Pacifiction, délire stone et parano où Albert Serra filme la banalité des échanges humains au coeur d’un paradis isolé et abandonné par l’État français, lointain démisionnaire aux desseins incompatibles avec les locaux.”
(@A_Janowiak sur Twitter)

Crédits photos : Copyright Les Films du Losange – Images fournies par le Festival de Cannes

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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