les bonnes étoiles[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ? :

Une nuit, sous une pluie battante, So-young (Ji-eun Lee)  abandonne son nourrisson dans une « boîte à bébés » de Busan. Le lendemain, prise de remords, elle revient le chercher, mais le personnel de l’association n’en trouve pas trace dans les registres d’admission, ni sur les vidéos de surveillance. Et pour cause, l’un des employés, Dong-soo (Gang Dong-won) a intercepté le nouveau-né et l’a confié aux bons soins de son associé, Sang-hyun (Song Kang-ho).
Les deux hommes sont impliqués dans un trafic de bébés. Quand ils repèrent un nourrisson déposé sans nom ou numéro de téléphone, ils misent sur le fait que la mère ne reviendra jamais le chercher. C’est statistique, seule une femme sur quarante effectue cette démarche. Comme des milliers de couples ont les pires difficultés pour adopter, ils vendent de temps à autre un enfant en dehors de toute légalité, pour se faire quelques billets. Pas de chance, So-young revient. Mais Sang-hyun et Dong-soo, conscients que la jeune femme connaît des moments difficiles, lui proposent de partager le montant de la vente du bébé avec elle. Ensemble, ils partent sur les routes de Corée du Sud, en quête d’un couple prêt à adopter enfant. Ils ignorent qu’ils sont suivis par deux enquêtrices, Soo-jin (Doona Bae) et Lee (Joo-young Lee) qui attendent de pouvoir les prendre en flagrant délit.

Pourquoi on adopte le nouveau bébé d’Hirokazu Kore-Eda ? :

À lire le résumé du scénario, on pourrait se dire que Les Bonnes étoiles est un film sordide et que ses personnages sont tous des salauds. Mais, comme les pieds nickelés de Une affaire de famille, les protagonistes de cette sombre histoire dévoilent peu à peu leur vraie nature, plus généreuse et sympathique, surtout quand le trio est rejoint par un petit orphelin malicieux. Ensemble, ils jouent à former une famille en vacances, et la tonalité du film évolue plutôt vers la comédie. On se prend à rêver d’une fin heureuse pour ce road-movie plein d’humanité, où des paumés magnifiques réussissent, peut-être pour la première fois de leur existence, à panser leurs blessures. Sang-hyun, petit escroc sans envergure, réalise qu’il a peut-être l’étoffe d’un homme de bien, et qu’il ferait un père de famille tout à fait correct, si cela n’est pas trop tard. Dong-soo, qui a souffert de l’abandon maternel, comprend, à travers l’histoire de So-young, qu’elle n’a peut-être pas eu le choix. Enfin, la jeune femme se dit, elle, qu’elle a encore cette liberté de déterminer quel est le meilleur destin pour son bébé.
La grande force de Hirokazu Kore-Eda c’est de savoir esquisser rapidement ses personnages en saisissant leurs bons côtés comme les mauvais et de les rendre terriblement attachants. Même les seconds rôles ont l’opportunité d’exister, en une ou deux scènes. Il ne lui suffit que d’une scène pour rendre sympathique la pourtant très psychorigide Soo-jin. Lorsque résonne la chanson “Wise up” d’Aimee Mann dans l’autoradio, la policière se rappelle des émotions qu’elle avait ressenties en voyant l’une des plus belles scènes de Magnolia, de Paul Thomas Anderson (et nous donc!) et est prise d’une irrépressible envie d’appeler son compagnon, laissé derrière elle le temps d’accomplir sa mission. Cette femme a donc un coeur, et une certaine humanité… La scène, elle, est absolument sublime.

Elle justifie presque à elle seule cet arc narratif assez superflu, comme beaucoup des péripéties de ce film. Cette fois-ci, l’auteur du très subtil et épuré Still walking, a la main un peu lourde sur le scénario, qui rajoute des couches de récit inutiles, menaçant de rompre l’harmonie du film et le faire basculer dans le mauvais mélodrame. Le récit progresse un peu comme un funambule à qui l’on ajouterait du poids ou des obstacles pendant qu’il avance sur le fil, pas à pas. Mais l’équilibriste Kore-Eda parvient à garder le cap et éviter la plupart des écueils. Mieux, il parvient, comme toujours, à nous submerger d’émotion, même quand on ne s’y attend pas.

Deux scènes sont particulièrement émouvantes, en plus d’être de beaux moments de cinéma :
Déjà, celle où So-young comprend, après plusieurs rencontres infructueuses, qu’elle a enfin trouvé un couple qui pourra s’occuper dignement de son fils. C’est pour elle un soulagement, mais aussi une déchirure, surtout quand les parents adoptifs posent pour condition qu’elle renonce à revoir l’enfant. Kore-Eda filme la jeune femme comme si elle disparaissait complètement, comme si elle se fondait en silence dans le décor, comme si cet abandon l’amputait de la quasi totalité de sa chair.
Ensuite, il y a ce moment où les personnages se remercient d’être nés, sans quoi ils n’auraient jamais vécus tous ces moments de joie ensemble. Tous réalisent, à ce moment précis, qu’ils ne sont finalement pas des ratés, des misérables, et qu’ils se sont tous apporté, pendant ces quelques jours ensemble, un peu de bonheur et de foi en un avenir plus radieux.
On a envie, nous aussi, de dire merci à Kore-Eda. Merci d’être né sous une aussi bonne étoile, qui lui a donné le talent de cinéaste. Merci pour tous ces films magnifiques qui nous touchent en plein cœur.

Palmomètre :

Le film aurait pu prétendre à un prix majeur, mais son scénario est un peu moins fin que celui de Une affaire de famille, Palme d’Or en 2018. Finalement, le prix d’interprétation masculine donné à Song Kang-ho permet d’avoir le film au palmarès et de récompenser l’acteur coréen, reparti plusieurs fois bredouille de la Croisette alors qu’il faisait partie des favoris.

Contrepoints critiques :

”Par pitié que quelqu’un retire son passeport à Hirokazu Kore-eda. En vadrouille depuis sa palme pour Une affaire de famille en 2018, le Japonais a égaré son cinéma.”
(Marius Chapuis – Libération)

”Le cinéaste n’atteint pas la subtilité et la sensibilité d’Une affaire de famille. Son Baby-blues ne réussit jamais à nous surprendre [et s’accompagne] d’un discours trop moralisateur”
(Citizen Kane – Ecran Noir)

”Les Bonnes Étoiles : Leçon de scénario (again) de maître Kore-Eda au sommet de son art, acteurs parfaits, larmes toujours sur le point de couler. Peut-être moins fort qu’Une affaire de famille et encore… “
(@yannickvely sur Twitter)

Crédits photos : Copyright Metropolitan FilmExport Images fournies par le Festival de Cannes

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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