Ash is the purest white affproD’après le dictionnaire, “Eternel”, signifie “sans début ni fin”. Un peu comme la relation entre Qiao (Zhao Tao) et Bing (Liao Fan), un petit chef de la pègre de Datong, dont nous suivons l’évolution sur près de vingt ans. Elle ne commence pas vraiment, puisque si ces deux êtres semblent irrésistiblement attirés l’un par l’autre, ils ne parviennent jamais vraiment à envisager une vie commune, à cause de leurs modes de vie, de leur évolution, de leurs choix. Et elle ne finira jamais vraiment, même une fois l’amour dissipé, la passion consommée, en cendres. Car les cendres de corps brûlés à haute température, comme l’évoque Qiao à un moment du film, correspondent à une forme de pureté absolue.

Le premier chapitre du film, situé au début des années 2000, nous fait découvrir les personnages. Bing est un petit gangster respecté, qui vit selon les codes d’honneur et de loyauté de la pègre et évite de recourir inutilement à la violence. C’est sans doute cela qui plaît à Qiao, que l’on trouve toujours à ses côtés. Mais les choses sont en train de changer. De nouveaux gangs veulent prendre le pouvoir et s’attaquer à Bing. Un soir, ils tombent dans une embuscade. Pour sauver Bing, tabassé à mort par de jeunes truands, Qiao se sert de l’arme à feu de son amant. Elle est arrêtée pour port d’arme illicite et, comme elle n’a pas voulu incriminer Bing, est condamnée à une longue peine de prison.

La seconde partie se déroule au début des années 2010. Qiao sort de prison et tente de retrouver Bing. Mais en dix ans, la Chine a profondément changé. Les ex-gangsters sont devenus des chefs d’entreprise bien implantés, des requins de l’immobilier profitant de la fermeture des usines et des mines, un peu partout dans le pays. Bing a troqué son blouson noir contre un col blanc, et laissé derrière lui la modeste Qiao pour une femme plus conforme à son nouveau standing. On lui fait passer ce message, mais elle veut qu’il lui dise en face. Ils finissent par se retrouver pour un beau face-à-face, où les silences sont plus éloquents que les mots et où la vérité se dévoile sur les visages des deux anciens amants.

Le dernier tiers, plus contemporain, marque de nouvelles retrouvailles entre Qiao et Bing, sur le terrain de leur rencontre, à Datong. Il revient dans sa région natale. Elle s’y est installée depuis longtemps. Le temps a fait son oeuvre et les chances de voir leur amour refleurir sont minces, même si une certaine tendresse les unit toujours…

Cette histoire d’amour impossible, étirée sur près de vingt ans, sert surtout au cinéaste à opposer deux visions différentes de la Chine, comme dans la plupart de ses films.
Bing représente les mutations auxquelles le pays a été soumis au cours des deux dernières décennies, avec ce que cela suppose de positif – plus de liberté, moins de pouvoir pour les petits chefs, plus d’ouverture sur le monde – et de négatif – une société plus individualiste, laissant les plus humbles sur le bord de la route. Qiao, elle, reste fidèle à ses valeurs tout au long du récit. Elle symbolise l’âme de la Chine éternelle, le respect des traditions, de la famille, et la solidarité entre membres de la communauté. Autant de vertus qui ont été malmenées depuis un siècle, mais qui sont toujours là, plus pures que jamais, prêtes à renaître de leurs cendres.

Même si on peut trouver Les Eternels un peu moins puissant que Au-delà des montagnes, présenté à Cannes il y a deux ans, il n’en demeure pas moins un film sublime, plein d’amertume et de nostalgie. Jia Zhang-Ke compose quelques scènes magistrales, mises en scène à la perfection, et offre aux deux acteurs principaux l’opportunité de montrer toutes les facettes de leur talent. Sa présence au palmarès n’aurait rien de honteux.

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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