Cette année, plus que jamais, le festival s’intéresse aux thèmes de la politique et à l’exercice du pouvoir.
Après le Pape de Nanni Moretti, qui doutait d’être à la hauteur de sa mission et des responsabilités qui pesaient sur lui, après les échanges à la fois complices et rivaux du duo Président/Premier Ministre du Pater d’Alain Cavalier, après la comédie du pouvoir de Xavier Durringer et La Conquête de l’Elysée par Nicolas Sarkozy, après toutes les conversations autour de l’affaire DSK, un nouveau long-métrage de la sélection s’intéresse au rôle d’un ministre et aux pressions qui pèsent sur lui : L’Exercice de l’Etat, second film de Pierre Schoeller, présenté dans la section Un Certain Regard.
Le cinéaste y suit quelques jours de l’existence de Bertrand Saint-Jean (Olivier gourmet), un homme politique occupant le poste de Ministre des transports.
On le voit se rendre, en pleine nuit, sur le lieu d’un dramatique accident de car ayant fait plusieurs victimes, essentiellement des enfants. Il s’agit d’occuper le terrain médiatique, de soigner une image de proximité avec le peuple et ses souffrances. Puis, on l’écoute répondre aux questions des journalistes sur ce drame, puis sur des questions d’ordre plus générale, concernant l’avenir des chemins de fer publics. Un peu pris au dépourvu, le ministre affirme qu’il est hors de question de privatiser les gares. Mais cette position est contraire à ce qui a été décidé en haut lieu et l’homme doit prendre une décision cruciale pour la suite de sa carrière : être fidèle à ses convictions et à la promesse publique de ne pas être le ministre de la privatisation de la SNCF ou bien ravaler son orgueil et mener à bien une réforme totalement impopulaire pour éventuellement gagner en influence au sein du gouvernement…
Bien aidé par ses acteurs, dont un Olivier Gourmet impeccable, Pierre Schoeller montre les arcanes du pouvoir. Le ministre est un homme ambitieux, prêt à tout pour réussir, y compris à se compromettre, à renier sa parole, ou à se débarrasser fort peu élégamment des concurrents, mais ce n’est pas une caricature de politicien sans scrupules.
Saint-Jean est constamment tiraillé entre ses convictions, ses rêves de société plus juste, plus au service du peuple et les pressions exercées sur lui par ses conseillers, ses rivaux, et les dirigeants au-dessus de lui, comme il est écartelé entre une vie de famille impossible à gérer et un emploi du temps surchargé.
A ses côtés, on trouve des hommes et des femmes de l’ombre : un directeur de cabinet qui sert de véritable tête pensante, mais qui reste cantonné à un rôle de faire-valoir (Michel Blanc), une conseillère en communication efficace (Zabou Breitman), qui seront les premiers sacrifiés en cas de problème. De simples fusibles, tout comme le ministre…
Le réalisateur s’intéresse à tous ces personnages avec le même soin, insistant un peu plus sur le contrepoint parfait de Saint-Jean, un chauffeur stagiaire d’une cinquantaine d’années, issu d’un milieu populaire. Un de ces anonymes qui composent le peuple et qui attendent des politiciens qu’ils s’intéressent à leurs problèmes quotidiens…
L’Exercice de l’Etat est un film sensible et intelligent, qui décrit avec humanité un monde politique déshumanisé, justement, et sans pitié.
Remarquez, le Japon médiéval, avec ses codes d’honneur et sa hiérarchie sociale très structurée, avait apparemment les mêmes problèmes éthiques. Vaut-il mieux respecter les protocoles et les codes moraux ou bien faire preuve d’humanité, de compassion, de solidarité?
Ce questionnement est au coeur d’Ichimei (Hara –Kiri : mort d’un samouraï), le nouveau film de Takashi Miike. Il met en scène Hanshirô, un Ronin dont le clan s’est fait massacrer, qui vient réclamer au seigneur Kageyu le droit de se faire hara-kiri dans la cour de son domaine, conformément au code d’honneur du samouraï.
Le seigneur accepte, mais, flairant la demande factice, prétexte à implorer la pitié des puissants, tient à lui raconter le sort tragique qui fut réservé à un jeune guerrier venu demander la même faveur, quelques mois auparavant. Il ignore que ce dernier et Hanshirô se connaissaient très bien…
Avec le déjanté Takashi Miike aux commandes, et une présentation du film en 3D, on s’attendait à un film spectaculaire et riche en effets sanguinolents. Mais finalement, non, pas vraiment. Comme 13 assassins, Ichimei est le remake d’un film de samouraï des années 1960, et est une oeuvre épurée, très zen, refusant de verser dans le sensationnalisme, bref, à des années-lumières des premiers films du cinéaste nippon.
Quant aux lunettes 3D, elles n’apportent rien du tout, si ce n’est un peu de profondeur à l’image et une aide pour piquer du nez plus vite face à l’ennui suscité.Car oui, Ichimei s’avère par moments assez soporifique. Le film est trop long et on en devine très vite les tenants et les aboutissants, même si on a pas vu le film original.
Oh bien sûr, l’histoire est intéressante, elle pose donc des questions sur le pouvoir et la façon la plus judicieuse de l’exercer. Y-a-t-il plus d’honneur à faire respecter vaille que vaille des codes sociaux archaïques ou à aider son prochain dans la détresse? Y-a-t-il plus de gloire à vaincre un homme seul avec une armée ou à mourir en héros, en combattant et en donnant une leçon aux opposants?
Mais le film est trop lent et ne lésine pas sur la dose de pathos et de mélodrame bien sordide. Et pour le spectaculaire, on repassera, hormis l’impressionnante scène de hara-kiri du jeune soldat, avec un simple poignard en bambou… Aïe…
Chez Miike, on s’ouvre le bide à l’arme blanche. Chez Almodovar, Antonio Banderas incarne un chirurgien ayant réussi à synthétiser une peau artificielle permettant de reconstituer complètement l’épiderme d’un grand brûlé, par exemple, et qui n’hésite pas à tester le produit sur son cobaye humain, une jeune femme qu’il séquestre depuis des années… Mais les choses vont changer avec l’irruption d’un truand à la recherche d’une planque… et d’un nouveau visage.
La Piel que habito est l’adaptation du roman “Mygale”, du regretté Thierry Jonquet. Almodovar en a gardé la trame principale, a édulcoré les passages les plus obscurs, les plus sordides, et l’a surtout adapté à son style si particulier. Ce drame criminel ressemble autant au roman dont il s’inspire qu’à un de ces purs mélodrames charnels et tortueux dont le cinéaste ibérique a le secret. La mise en scène est élégante, s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur les décors, les couleurs et les formes (le rouge, le blanc, les globules…), les mouvements de caméra très travaillés et une direction d’acteurs sans faille. Outre Banderas, glacial en excité du bistouri, Almodovar retrouve une de ses actrices-fétiches Marisa Paredes , et offre à Elena Anaya un rôle à la mesure de son talent. La jeune actrice n’a jamais été aussi belle et émouvante que dans ce film-là…
Alors, Almodovar pourrait-il enfin gagner la palme d’or avec ce nouveau long-métrage? Pourquoi pas, même si, de mon point de vue, le film manque un peu trop de profondeur pour mériter la récompense suprême… En tout cas, l’ami Pedro était attendu au tournant et n’a pas déçu le public, venu en nombre pour assister aux projections…
Dans un autre registre, le sud-coréen Hong Sang-soo a lui aussi son public de fans fidèles, qu’il déçoit rarement, vu qu’il est connu pour raconter toujours et encore la même histoire de film en film, faisant très légèrement varier la construction scénaristique.
Chez Hong Sang-soo, c’est simple : le personnage central est toujours un cinéaste (ou un étudiant en cinéma, ou un professeur de cinéma) et est toujours embringué dans une histoire de triangle amoureux à la Jules et Jim, faisant intervenir une belle jeune femme et un vieux copain artiste (ou écrivain, ou acteur…). Et tout ce beau monde passe son temps à table à manger ou à picoler jusqu’à l’ivresse…
Vérifions le principe sur son nouveau film, The day he arrives : le héros est un cinéaste qui n’a plus tourné depuis des années et qui vit en donnant des cours de cinéma (Checked!). De passage dans sa ville natale, il retrouve un vieux copain (mais pas un artiste – bon OK, Not Checked…) et après une séance de beuverie (Checked!), décide de retrouver un autre copain acteur (Ben voilà : Checked!). A ce trio s’ajoute une femme, intello brillante, amie du copain n°1 qui tombe sous le charme du cinéaste. Mais le goujat la délaisse, tout comme il délaisse une ex-fiancée trop docile et une prof de cinéma qu’il croise souvent dans le voisinage. Il craque, lui, pour la belle patronne du bar..
et pourtant, il avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus… Cette fois, il n’y a pas de triangle amoureux, cette fois, ou alors, sous une forme différente, car les relations entre les différents personnages sont ambigües et pas clairement définies. Il poursuit le virage amorcé par son Ha ha ha, primé dans la section Un Certain Regard l’an passé, et propose une nouvelle variation ironique et un brin cruelle sur les relations hommes-femmes, les affres de la création, les hasards et coïncidences, la difficulté à s’engager pour un adulte immature…, s’appuyant sur un scénario joliment ciselé et bien équilibré. Cela pourrait être totalement brillant, mais quelques menus défauts viennent modérer mon enthousiasme. The day he arrives possède les mêmes scories que des films comme Conte de cinéma ou La Femme est l’avenir de l’homme : il est un peu trop court, donnant l’impression de manquer de fond, et, après une construction minutieuse et rigoureuse de chaque scène, s’achève de manière trop plate, insatisfaisante par rapport à l’oeuvre elle-même…
Mais attention, hein, ça reste quand même une proposition de cinéma atypique et audacieuse au sein de la production asiatique contemporaine. Je n’étais pas fan du cinéaste coréen, je l’avoue, mais son style est aujourd’hui plus ouvert, plus chaleureux et c’est un vrai plaisir que de regarder ses films. Cela dit, les voir manger et boire non-stop (ou presque) quand on a zappé le petit-déjeuner et le déjeuner pour voir les films peut aussi avoir quelques conséquences fâcheuses…
Autre cinéaste qui sait bien construire un scénario : Jean-Jacques Jauffret.
La preuve avec Après le sud, son premier film présenté à la Quinzaine, qui se structure autour des destins croisés de quatre personnages ayant subi une blessure, une humiliation, un coup de stress…
L’écriture est assez fine, la mise en scène est d’une sobriété et d’une humilité exemplaires, et réussit à faire monter la tension tout au long du film, jusqu’au drame, inéluctable… Alors tant pis, si le film laisse parfois un peu froid et est plombé par quelques menus défauts techniques, Après le sud révèle le talent d’un cinéaste qu’il conviendra de suivre avec attention au cours des prochaines années…
Toujours à la Quinzaine, il y a avait aussi la présentation de Atmen, très bien paraît-il…, et Sur la planche, le film de la marocaine Leïla Kitani. Un film noir qui suit le destin de jeunes filles forcées de voler et de trafiquer des objets pour survivre et espérer ainsi une vie meilleure. J’avoue avoir lutté contre le sommeil pendant la projection de ce film, que je n’ai du coup pas pu véritablement apprécier à sa juste valeur. Néanmoins, le sujet est intéressant, tout comme l’interprétation des jeunes actrices du film.
On aurait bien aimé, d’ailleurs qu’elles soient toutes là pour défendre le film, mais d’obscures raisons administratives ont empêché deux d’entre elles de débarquer à l’aéroport de Nice comme prévu initialement. Un cafouillage incompréhensible vu qu’elles étaient en règle et qu’elles étaient officiellement invitées par le festival… Mais des douaniers trop zélés ont dû encore frapper… Si ça se trouve, c’est un coup de Dany Boon. Il aurait bien voulu que Rien à déclarer soit sélectionné à Cannes et doit crier au scandale parce que les comédies populaires sont dédaignées par les organisateurs…
Justement, ce ne sont pas de franches comédies qui ont été primées à la Semaine de la critique, lors de sa cérémonie de clôture : Take Shelter est doublement primé (Grand prix et prix de la SACD), tout comme Les Acacias (prix de la jeune critique et prix ACID/CAS). une mention a été accordée au film Snowtown.
En guise de film de clôture, les festivaliers patients ont pu découvrir Pourquoi tu pleures, un premier film signé Katia Lewkovicz avec en vedette Benjamin Biolay, Emmanuelle Devos et… Valérie Donzelli. La boucle est bouclée, après la présentation du film de la demoiselle en ouverture, La Guerre est déclarée…
Demain, clôture de la Quinzaine des réalisateurs et fermeture progressive des différents stands du marché du film. Ca sent la fin de festival, tout ça. Et heureusement, car on commence à fatiguer, avec des programmes aussi chargés…
A demain, donc, pour de nouvelles chroniques cannoises.