D’habitude, le Festival de Cannes est coupé du monde extérieur. Pendant la quinzaine, on évolue dans une bulle où l’on ne parle que de cinéma, de réalisateurs, d’acteurs, de scénarios…
Mais cette année, tout le monde parle de politique, de scandales, de faits divers. Bien sûr, l’affaire DSK est au coeur des débats. Le grand favori de la présidentielle française est-il victime d’une machination ou est-il un dangereux maniaque sexuel incapable de résister à ses pulsions libidineuses? En tous cas, il est “dans de beaux draps”…
Les discussions traitent beaucoup de politique, de morale, de droits des femmes et tournent parfois au vinaigre… Même le sympathique vendeur de journaux devant le palais adapte son petit laïus commercial : “Libé-Libé, demandez Libé : Spécial festival Strauss-Kahn”. Très drôle… Un peu moins pour l’intéressé, certes…
D’ailleurs, tout le monde l’accable, le pauvre DSK. Et surtout les organisateurs du festival qui ont pris un malin plaisir à programmer en parfaite synchronisation avec l’affaire des films comme Code blue et son pervers sexuel violent et dangereux, ou Martha Marcy May Marlene et son gourou violeur, et aujourd’hui, en compétition officielle, L’Apollonide, souvenirs de la maison close

L'Apollonide - 2

Un beau bordel que le film de Bertrand Bonello, qui traite une fois de plus de ses thèmes de prédilection : la représentation des corps à l’écran et les relations humaines vues par le prisme de la sexualité. Pour corser un peu l’affaire, il a choisi de le faire par le biais d’un film d’époque, en costumes, qui nous plonge à la fin du XIXème siècle et au tout début du XXème siècle, dans les chambres d’une maison close, juste avant leur interdiction. 
Le cinéaste défend l’idée d’un retour à cette forme contrôlée de prostitution pour éviter que ne se développe l’exploitation sexuelle de mineures le long des boulevards périphériques sans éluder les problèmes liés à ce type d’établissement – dépendance financière des filles, risque de tomber sur des clients psychopathes, etc…
C’est un film intéressant, mais hélas un peu trop long, qui manque d’un peu de piment ou de soufre. Restent les actrices, magnifiques: Hafsia Herzi, Jasmine Trinca, Adèle Haenel, Céline Sallette, Alice Barnole – une vraie révélation – et Noémie Lvovsky en mère-maquerelle.
Ca a quand même plus d’allure qu’une femme de chambre new-yorkaise, non?

Tree of life - 2

Bon revenons à des choses un peu moins triviales et parlons un peu des arbres. Oui, des arbres. Vous savez, les trucs en bois avec des feuilles au bout…   
C’est aujourd’hui qu’avait lieu la projection d’un des films les plus attendus de ce festival : The Tree of life. Autant dire que le public a répondu massivement présent à l’événement, causant un beau remue-ménage à la séance de presse du matin (2 salles complètes, soit plus de 3000 places, pas mal pour une séance matinale).
Mais les spectateurs sont globalement sortis déçus, voire carrément furibards…
Il faut dire que le film de Terrence Malick est une oeuvre difficile d’accès, qui commence par une tragédie familiale – la mort d’un enfant – évoquée de façon très lente, lancinante, quasi mystique avant de bifurquer vers une reconstitution du big-bang et des premiers temps de la vie, avec même des créatures préhistoriques et de reprendre le cheminement d’une douloureuse histoire familiale.
Personnellement, si comme tout le monde j’ai dû m’accrocher aux branches – c’est le cas de le dire… – j’ai aimé l’élégance de la mise en scène et la richesse du contenu, qui mêle drame intimiste et réflexion universelle sur la notion de culpabilité et celles de bien et de mal, d’éducation et d’apprentissage. Les personnages sont bien plus complexes qu’ils n’en ont l’air, tout comme l’intrigue, qui laisse une petite liberté d’interprétation au spectateur. Même si c’est radical et difficile, c’est assurément du grand cinéma, mais qui ne s’adresse pas à tout le monde.
Certains ont détesté cette “oeuvre boursouflée” – disons plutôt ambitieuse et  ample – “incompréhensible”, disons plutôt complexe à appréhender, qui évoque beaucoup le Kubrick de 2001, l’odyssée de l’espace – ou “véhiculant un message scientologue” – Ah? disons plutôt pleine de mysticisme et de foi, belle comme un requiem…
Bref, moi j’ai aimé et je défends le film, mais je le déconseille aux cinéphiles non-avertis… Reste à voir si le jury a été sensible à ce long trip psycho-métaphysique.
Une palme pour un arbre ?

Busong - 2

L’arbre de Terrence Malick n’était pas le seul à pousser sur la Croisette aujourd’hui. Un autre arbre de vie est présent dans Busong le premier film palawanais de l’histoire du cinéma, proposé dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Polonais? Nan : Palawanais. L’île de Palawan est une île de l’archipel des Philippines peuplée d’indigènes qui perpétuent d’ancestrales croyances et un mode de vie en harmonie avec la nature. La trame principale du film de Auraeus Solito est l’histoire d’une femme souffrant de graves blessures aux pieds, qui part se faire guérir par un chaman palawanais. Au cours du périple, elle rencontre différentes personnes qui lui racontent leurs histoires personnelles, une femme qui a perdu son mari, un pêcheur qui a perdu son bateau et un homme en quête de ses racines. 
Ce dispositif permet au cinéaste de parler des différents fléaux qui frappent l’île de Palawan. La domination des blancs, qui les empêchent de pêcher sur le littoral, la pollution liée à l’exploitation des mines de nickel, la déforestation…
Il s’agit d’un beau film, où la relation entre l’homme et la nature est magnifiée, à l’instar de cette superbe scène où la blessée est guérie par des… papillons qui sortent de ses plaies. Politique, écologique et magique… Une belle découverte à mettre au crédit de Frédéric Boyer et son équipe.

Impardonnables - 2

Découvert dans cette même section avec son tout premier film, Paulina s’en va, André Téchiné y est revenu pour montrer son nouveau long-métrage, Impardonnables.
Cette adaptation du roman éponyme de Philippe Djian est plutôt réussie, car le cinéaste réussit un curieux amalgame entre des genres radicalement différents – comédie romantique, mélodrame, thriller – et y greffe surtout ses propres obsessions, parvenant à faire des personnages du roman des cousins éloignés des paumés magnifiques qui peuplaient ses oeuvres précédentes, êtres ayant des difficultés à exprimer leurs sentiments et à accepter l’idée du bonheur.
Il peut ici s’appuyer sur des acteurs impeccables : André Dussolier et Carole Bouquet, complexes, charnels, émouvants…

Et maintenant on va ou - 2

Enfin, une autre artiste révélée il y a quelques années à la Quinzaine des Réalisateurs a enchanté la scène du théâtre Debussy avec son nouveau film, Et maintenant, on va où?. Nadine Labaki, après avoir enthousiasmé le public avec son excellent Caramel, a mis son humour, sa tendresse, son regard plein d’humanité et de sagesse, au service d’une comédie dramatique sur les tensions communautaires qui ont ravagé son pays, le Liban, et continuent sporadiquement d’y semer le trouble.
L’intrigue se passe dans un petit village dont la population est divisé entre deux communautés, une catholique et l’autre musulmane, qui vivent en bonne intelligence l’une avec l’autre. Mais quand des heurts éclatent dans une ville voisine, les tensions se réveillent et les relations se dégradent rapidement. Les femmes du village, brisées par la perte de maris, de pères, de fils, refusent cette escalade de la violence et mettent tout en oeuvre pour empêcher les hommes de se battre entre eux, quitte à employer des moyens surprenants.
Il s’agit d’un film drôle, très drôle même, avec des répliques percutantes et irrésistibles…
Il s’agit aussi d’un film émouvant, très émouvant même, avec des scènes poignantes.
Il s’agit d’un film féministe, qui invite les femmes du Moyen Orient, avec leur sensibilité, leur approche plus réfléchie des problèmes, à oeuvrer collectivement pour trouver des solutions aux problèmes frappant cette région du globe, et essayer d’offrir une vie meilleure à leurs enfants. 
Il s’agit d’un film merveilleux, enchanté, en chanté, même, avec quelques superbes passages musicaux et notamment la remarquable séquence introductive, ballet de femmes unies par la même souffrance, le même deuil d’un proche parent…
Il s’agit d’un très bon film qui a été applaudi comme il se doit par le public venu le découvrir     

Autre film présenté dans la section Un certain regard, Hors Satan, le nouveau Bruno Dumont qui, comme a son habitude a divisé, enchantant ses supporters et agaçant prodigieusement ses détracteurs. Je ne l’ai pas encore vu, donc impossible de trancher cette controverse… 

My little princess - 2

Pendant ce temps, La Semaine de la critique a soufflé ses cinquante bougies avec la présentation d’un autre film de femme, celui d’Eva Ionesco : My little princess avec Isabelle Huppert, une habituée de la section…
Et, pour trancher, un film australien sur les méfaits d’un serial-killer, Snowtown. Pas terrible, d’après la rumeur cannoise.

Enfin, Laetitia Casta était présente sur la Côte d’Azur pour défendre The Island, du cinéaste bulgare Kamen Kalev, de retour à la Quinzaine après le remarqué Eastern plays
Que de femmes, que de femmes, mes amis… Heureusement que DSK n’est pas là… Hum, désolé… En plus, il y a quand même la présomption d’innocence à respecter, ce qui est loin d’être le  cas dans la presse sur ce coup-là… Enfin… vivement la projection de La Conquête, pour que ça tape un peu plus à droite, histoire de respecter l’équilibre entre les partis politiques…

A demain pour de nouvelles chroniques cannoises.

 
Cannes 2011 affiche 2

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