Bilan :

Ca y est, le 63ème festival international du film de Cannes est terminé. Les récompenses ont été décernées. Tim Burton et son jury ont quitté la Croisette après un ultime dîner de gala au Majestic, les stars sont parties, les festivaliers aussi. La ville reprend son rythme habituel, paisible, tranquille. rien à voir avec la frénésie des quinze derniers jours. Les seuls endroits où on note une certaine effervescence sont la gare SNCF, d’où les festivaliers franciliens rentrent chez eux, les plages et le palais des festivals, où l’on démonte tous les stands et lieux provisoires du festival.

Croisette

L’heure est maintenant au bilan. Et celui-ci est mitigé…
On pressentait, à l’annonce de la sélection, un festival 2010 assez austère et peu enthousiasmant. Cela s’est hélas vérifié.
Des auteurs confirmés ont déçu (Kitano avec Outrage, ), livré des films mineurs (Woody Allen avec You will meet a tall dark stranger, Ken Loach avec Route Irish) ou divisé (Iñarritu avec Biutiful, Mike Leigh avec Another year…).
Les jeunes pousses n’ont pas encore la carrure pour décrocher la palme d’or. On pense à Sergeï Loznitsa (My Joy) ou Kornel Mundruczo (Un garçon fragile) dont les films à la mise en scène maîtrisée sont plombés par des choix narratifs audacieux, mais hasardeux.
Bien sûr, on ne peut pas dire que le niveau était mauvais non plus. La plupart des films présentés proposent de beaux moments de cinéma, mais globalement cela manquait par trop d’émotion. Une lacune qu’ont su combler, de notre point de vue, Biutiful ou Des hommes et des Dieux, par exemple.
Mais il a manqué, cette année, le ou les films “coup de coeur”, ceux qui s’imposent instantanément comme des évidences pour l’attribution d’une Palme d’or, comme Le temps qu’il reste ou Enter the void  l’an passé, ou des Mulholland drive, In the mood for love,…   

Uncle Boonmee - 2

Finalement, il est assez logique et mérité que le jury ait choisi de primer le film qui sortait du lot, tant d’un point de vue du style que de l’originalité.
Pourtant, le choix est courageux, car il est clair qu’Oncle Boonmee qui se rappelle de ses vies antérieures n’est pas du tout le genre de film capable de toucher le grand public. Il s’agit d’une oeuvre au rythme lent, qui sort vite des sentiers battus pour nous entraîner dans un trip fantastique entre vie et mort, en compagnie des fantômes et des créatures étranges qui hantent les forêts thaïlandaises. Beaucoup risquent de se perdre en cours de route… Pourtant, il s’agit assurément du film le plus “grand public” d’Apichatpong Weerasethakul, celui où il fait le plus d’efforts pour s’approcher d’une narration conventionnelle. Débarrassé de certains tics de mise en scène agaçants qui plombaient, de mon point de vue, ses oeuvres précédentes (plans fixes silencieux étirés jusqu’à l’ennui, propos abscons délibérément inaccessibles aux non-initiés…), le cinéaste franchit assurément un palier dans sa carrière. Il a su évoluer sans renier pour autant son style et son univers, et la palme d’or vient assez justement saluer cette belle maturité…  
 
Du côté des sections parallèles, il y a eu pas mal de surprises.
Un Certain Regard, considéré comme l’antichambre de la sélection officielle a proposé quelques beaux films qui auraient mérité d’entrer dans la compétition, comme Carancho de Pablo Trapero ou Le secret de Chanda d’Oliver Schmitz.
Cette section s’affirme année après année comme l’une des plus intéressantes du festival, proposant un panorama assez ample des cinématographies internationales, avec des oeuvres moins ambitieuses que les ténors de la compétition, mais souvent tout aussi réussies, sinon plus… Cela dit, il y avait aussi du moins bon et des déceptions, comme Chatroom de Hideo Nakata…

le quattro volte
  
Côté Quinzaine des réalisateurs, c’était l’année du changement, avec l’arrivée de Frédéric Boyer à la tête du comité de sélection, en remplacement d’Olivier Père parti diriger le festival de Locarno. Le nouvel homme fort de la manifestation a visiblement cherché à imposer son style, avec la programmation la plus barrée de ce 63ème festival, pour le meilleur et pour le pire. Apparemment, cela a payé puisque la caméra d’or a été remportée par un des poulains de la Quinzaine, Michael Rowe.
Du cinéma de genre, mais lorgnant vers le cinéma d’auteur… Des oeuvres atypiques, privilégiant un rythme contemplatif… Et beaucoup de “films-concepts” qui ne tiennent que par leur idée de départ, audacieuse. exemple : réaliser un film d’horreur en un plan-séquence unique de 75 minutes, réaliser un film sur la nativité et les rois mages en noir et blanc, avec uniquement des acteurs trisomiques, réaliser un film sans paroles ni musique, centré juste sur un chien et un troupeau de chèvres,…
Le concept de la sélection lui-même est bon, mais il faudrait pouvoir dégotter des oeuvres un peu plus abouties, car le résultat était assez inégal…

Toujours dirigée par le sympathique Jean-Christophe Berjon, La Semaine de la critique a aussi proposé une sélection atypique, en jouant la carte de la comédie, avec des oeuvres apparemment très appréciées comme Le nom des gens, Copacabana, The sound of noise ou Rubber, l’histoire d’un pneu… serial-killer !
Mais les autres genres étaient aussi représentés : l’horreur gore avec Bedevilled, le film de guerre avec Armadillo, la chronique familiale avec Sandcastle ou Bi, dung so !
Et toujours l’accent mis sur la recherche de jeunes talents. La Caméra d’or leur a échappé cette année, mais nul doute que cette constance dans la mise en avant de réalisateurs prometteurs finira par payer… 

Niveau des thèmes abordés, on a retrouvé les sujets universels et éternels du deuil et de l’acceptation de la mort. C’est le sujet principal de la Palme d’or, du film de clôture (L’arbre), de Biutiful et de bien d’autres films des différentes sélections (Two gates of sleep, Le Secret de Chanda, …) 
On notera aussi quelques oeuvres traitant du suicide adolescent (ben oui : deuil, mort, suicide… Ce n’était pas un festival trop épuisant pour les zygomatiques…) : Chatroom, Des filles en noir. Et quand ils n’essaient pas d’attenter à leurs jours, ils  commettent des actes criminels (Poetry, Chongqing blues). Ah, je vous jure… Faites des gosses !

Avec de telles bases, il a beaucoup été question de foi – et de crise de foi – au cours du festival. Dans Des hommes et des Dieux, bien sûr, mais aussi dans Un poison violent.

Les conflits récents, en Irak, en Afghanistan, au Darfour, étaient également fortement évoqués. Le scandale des armes de destruction massive est au coeur de Fair Game. Ken Loach parle des exactions commises par les jeunes soldats britanniques à l’encontre du peuple irakien et la façon avec laquelle la hiérarchie tente de les dissimuler. Même problématique dans Tout va bien se passer de Kristoffer Boe.
Armadillo parle la guerre d’Afghanistan et de la dépendance à l’adrénaline des jeunes soldats envoyés sur le terrain.
Un homme qui crie évoque la guerre civile au Tchad, entre gouvernement et factions rebelles, avec les conséquences sur le mode de vie des habitants.

Evidemment, le festival est le reflet de l’actualité et des préoccupations de la planète. Le thème de la migration est au coeur de nombres d’oeuvres, entre les travailleurs clandestins de Biutiful ou de La Nostra Vita, la jeune malaise qui tente de partir pour le Japon dans Tiger Factory, le combat de la mère russe dans Illégal
La crise économique est abordée de façon plus ou moins frontale dans Cleveland contre Wall Street, Wall Street 2 : l’argent ne dort jamais ou inside job
Mais d’autres événements historiques un peu plus anciens ont aussi été abordés, comme la fin de la dictature argentine, au début des années 1980 (L’oeil invisible), l’indépendance de Singapour (Sandcastle), celle de l’Algérie (Hors la loi)… 

rebecca H - 2

Le cinéma et le métier d’acteur sont aussi des grands thèmes fréquemment abordés. Dans Shit year, Ellen Barkin incarne une actrice paumée, en pleine dépression après son choix d’arrêter sa carrière. Dans Rebecca H. (Returns to the dogs) Géraldine Pailhas joue son propre rôle dans une curieuse mise en abîme, une drôle d’expérimentation de Lodge Kerrigan. Et dans Un garçon fragile – le projet Frankenstein, un cinéaste désireux de façonner totalement un acteur non-professionnel selon ses désirs le transforme en une sorte de “monstre” psychopathe…

Un nouveau thème était à l’honneur cette année : le cyber-espace et les univers virtuels, les nouveaux modes de communication et les nouveaux média.
Les forums de discussions via internet et téléphones mobiles sont au coeur de Chatroom. Les jeux vidéo et le “2ème monde” servent de trame à L’autre monde et R U there ?

Pour le reste, du très classique : l’amour, la famille, les relations hommes-femmes, les rapports de classe… Sujets éternels, inépuisables…

Voilà pour le compte-rendu assez succinct de ce 63ème festival de Cannes, qui est loin d’être un grand cru et dont la programmation ne restera pas dans les annales…
Mais bon, c’était quand même une folle quinzaine dont on est ressorti, comme chaque année, avec des images plein la tête et l’impression agréable d’avoir fait plusieurs fois le tour de la planète en quelques jours… Alors, vivement le 64ème festival…

Biutiful - 2

Notes de la rédaction :

●●●●  Biutiful d’A.G.Iñarritu (Mexique), Oncle Boonmee qui se rappelle de ses vies antérieures d’A.Weerasethakul (Thaïlande)
●●●  Another year de M.Leigh (Royaume-Uni), L’arbre de J.Bertucelli (France), Copie conforme d’A.Kiarostami (Iran), Des hommes et des Dieux de X.Beauvois (France), The housemaid de Im Sang-soo (Corée du Sud), Poetry  de Lee chang-dong (Corée du Sud), Tournée de M.Amalric (France), You will meet a tall dark stranger de W.Allen (Etats-Unis), Kaboom de G.Araki (Etats-Unis), Carancho de P.Trapero (Argentine), Le Secret de Chanda de O.Schmitz (Afrique du Sud), Sandcastle de Boo Junfeng (Singapour), The sound of noise de O.Simmonsson & J.S.Nilsson (Suède), Des filles en noir de J.P.Civeyrac (France), Le Quattro volte de M.Frammartino (Italie), Shit year de C.Archer (Etats-Unis), Tout va bien se passer de C.Boe (Danemark), Vasco de S.Laudenbach (France) (CM), Love patate de G.Cuvelier (France) (CM)
●●●●○○  Soleil trompeur 2 : l’exode de N.Mikhalkov (Russie), Hors la loi  de R.Bouchareb, Mon bonheur  de S.Loznitsa, La nostra vita de M.Placido (Italie), La princesse de Montpensier de B.Tavernier (France), Chongqin blues de X.Wang (Chine), Un garçon fragile – le projet Frankenstein de K.Mundruzco (Hongrie), Un homme qui crie de M.Saleh Haroun (Tchad), Tamara Drewe de S.Frears (Royaume-Uni), Mardi, après Noël de R.Muntean (Roumanie), Octobre de D. & D.Vega (Pérou), Rebecca H (returns to the dogs) de L.Kerrigan (Etats-Unis/France), Bi, n’aies pas peur de Phan Dang Di (Vietnam), Pieds nus sur les limaces de F.Berthaud (France), Cleveland contre Wall Street de J.S.Bron (Suisse), Illégal de O.Masset-Depasse (Belgique), L’oeil invisible de D.Lerman (Argentine), Somos lo que hay de J.M.Grau (Mexique), The tiger factory de Woo Ming Jin (Malaisie), Le vagabond de A.Sivan (Israël), Vous êtes tous des capitaines de O.Laxe (Espagne), Stones in exile de S.Kijak (Royaume-uni), Cautare de I.Piturescu (Roumanie), La mariée n’est pas qu’une marchande de frites de F.Costes (France) (CM-Talents Cannes), Dream on  de C.Lioud (France) (CM-Talents cannes)
 
●●●○○ Robin des bois de R.Scott (Royaume-Uni/Etats-Unis), Fair game de D.Liman (Etats-Unis), L’autre monde de G.Marchand (France), R U there  de D.Verbeek (Pays-Bas), Bedevilled de Jang Cheol So (Corée du Sud), Deeper than yesterday de A.Kleiman (Australie) (CM)
●●○○ Outrage de T.Kitano (Japon), Wall Street 2 : l’argent ne dort jamais d’O.Stone (Etats-Unis), Chatroom de H.Nakata (Japon), A alegria de M.Meliande & F.Braganca (Brésil), La Casa Muda de G.Hernandez (Uruguay), Petit bébé Jésus de Flandr de G.Van den Berghe (Belgique) 

Cannes 2010 bandeau

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

4 COMMENTS

  1. 5 étoiles pour Oncle Bonmee ? Influencé par le choix du jury ? 😀
    J’aimerais bien savoir pourquoi tout le monde trouve ce film génial quand même, parce que je ne l’ai pas du tout compris ?

    Je te trouve un peu dur pour Outrage de Kitano, parce que même si c’est un film qui n’a pas vraiment sa place en compétition officielle à Cannes, c’est tout de même un bon divertissement.

  2. Pour Kitano : qui aime bien châtie bien… Autant j’ai adoré « Achille & la tortue », autant « Outrage » ressemble à une grosse blague…
    Je comprends qu’il ait besoin d’argent pour réaliser des projets plus personnels, mais là, c’est de la simple exploitation commerciale, une intrigue paresseuse, des scènes de violence gratuite. Le coup de la torture avec les baguettes, il l’a déjà fait dans « Aniki mon frère », qui n’était déjà pas son meilleur film. C’était probablement le film le plus faible d’une sélection déjà pas exceptionnelle, d’où ma sévérité. Maintenant, il s’agit de notations « à chaud ». Il est assez fréquent que je nuance mon jugement lors de la sortie du film, une fois que j’ai pris le temps de « digérer » l’oeuvre.
    Et bien sûr, un film « mineur » de Kitano, comme un film « mineur » de Loach, Allen, Leigh and co. reste supérieur, d’un point de vue artistique, au travail des tâcherons hollywoodiens…

    Pour « Oncle Boonmee », je maintiens et j’assume ma note. Je n’ai pas attendu la décision du jury pour me forger mon opinion (cf. le compte-rendu quotidien). Je n’ai jamais été un grand fan d’Apichatpong Weerasethakul, et j’avais même trouvé « Blissfully yours » et « Tropical malady » à mourir d’ennui. Ici, il semble avoir fait l’effort de rendre son film plus accessible au public sans toutefois perdre ce qui fait son originalité ni son style. Cela reste très lent, très difficile d’accès et il faut être en forme pour apprécier les subtilités du film. Comme l’a dit fort à propos, et non sans humour, Benoît de « Laterna Magica » : « Il faut s’accrocher aux branches »
    Si tu veux tout savoir, je n’ai pas été particulièrement touché par le film en lui-même, par l’histoire ou les personnages. Et le style de Weerasethakul ne correspond pas à mon idéal cinématographique (dans le registre du film peu accessible et complexe, je préfère David Lynch, et de loin…)
    Cependant, je ne peux que m’incliner devant les qualités artistiques de l’oeuvre et sa profonde originalité. C’était le film le plus surprenant de la compétition, le plus abouti esthétiquement parlant et celui qui sortait du lot – qu’on l’apprécie ou non, c’est un fait – par rapport aux autres oeuvres…
    Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est « génial », mais c’est assurément un film intéressant, un tournant dans la carrière d’un cinéaste parvenu à maturité.
    Pour ce qui est de la compréhension de l’oeuvre, chacun a pu se forger sa propre opinion. La trame globale est assez limpide : un vieil homme mourant parvient à accepter l’idée de la mort grâce à l’apparition de « ses » fantômes : celui de sa femme, celui de son fils. Il est question de retour à la nature, de fusion avec les éléments, de réincarnation.
    La fin contemporaine du film est plus sujette à débat, et mériterait probablement une seconde vision pour éclaircir un peu les choses.
    C’est le propre des grands films : il ne livrent pas forcément toutes les clés de compréhension à la première vision. Ils laissent juste la sensation d’avoir vu une oeuvre différente, importante. Et supportent souvent différentes analyses. C’est le cas de celui-ci…
    Si tu veux ma vision des choses, il y a probablement dans le film une évocation de l’agitation politique que connaît la Thaïlande, et des nombreux bouleversements qu’elle a connu dans la deuxième moitié du XXème siècle. Je pense que je reverrai le film une seconde fois avant d’en rédiger la critique et je me renseignerai un peu plus sur l’histoire de la Thaïlande, que je ne maîtrise pas…
    On en reparlera au moment de sa sortie… En attendant, la Palme d’or n’a rien de scandaleux, même si d’autres films plus classiques auraient aussi pu y prétendre…

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