Los Angeles, 1962.
George Falconer, professeur d’université d’origine britannique, est en pleine dépression depuis que son compagnon, Jim, est décédé dans un accident de voiture. Il a d’autant plus de mal à faire son deuil que la famille, embarrassée, n’a pas souhaité sa présence aux funérailles.
Très solitaire et constamment enfermé dans sa morosité, il envisage de se suicider. Mais le jour où il se décide à passer à l’acte, il croise plusieurs personnes qui vont l’amener à envisager une autre vie, sans Jim…

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Curieux film que ce A single man, le premier long-métrage du célèbre styliste Tom Ford (1), dans lequel s’affrontent constamment les éléments et les univers : le passé et le présent (le futur étant ici inconcevable), la froideur de George et la chaleur humaine qui émane des autres protagonistes, croisés en chemin, la vie et la mort…
Le personnage principal porte en lui-même cette dualité, à la fois enseignant très strict, très « classique », probablement éduqué dans le respect des conventions petit-bourgeois et du puritanisme anglican, et homosexuel assumé, ce qui n’était pas forcément quelque chose de très bien vu dans l’Amérique des années 1960, où se déroule le film.

La mise en scène montre le combat de ces tendances contradictoires, opposant éclairages bleutés et lumières chaudes, cadrages statiques et mouvements de caméra sensuels, dans l’esprit des films de Wong Kar-Wai. Elle définit aussi un univers mental relativement clos, l’évolution de tonalité du film, de grisâtre insaturé à plus coloré, accompagnant le changement d’humeur du personnage, et le motif récurrent des yeux – sublime plan devant une affiche géante de Psychose – symbolise le regard que le personnage est en train de porter sur sa propre existence.

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Tom Ford en fait peut-être un peu trop par moment, lorsqu’il se laisse griser par sa propre virtuosité et que les artifices de mise en scène deviennent alors trop voyants, étouffant un peu l’émotion. Mais quelle finesse ! Quelle élégance !

On pourrait penser que cela est tout à fait normal, venant d’un artiste issu du monde de la mode et du luxe, mais la mise en scène n’a pas grand-chose en commun avec le stylisme. Tom Ford a sûrement travaillé dur pour assimiler les subtilités du langage cinématographique et du montage et les exprimer avec autant d’aisance. Rares sont les jeunes cinéastes qui affichent un style aussi pur et fluide dès leur première réalisation et Ford a d’autant plus de mérite qu’il était attendu au tournant par certains, qui ne voyaient dans cette ambition cinématographique qu’une simple lubie égotiste.

Le cinéaste américain – car oui, on peut désormais lui attribuer ce titre à part entière – réussit, par sa mise en scène subtile, à se réapproprier le roman de Christopher Isherwood dont il est tiré (2) tout en lui conservant, évidemment, son aspect universel.
La sensation d’incommensurable solitude qui habite le personnage, l’impression que le temps est subitement déréglé, entremêlant souvenirs et présent, la douleur à effectuer des petites tâches du quotidien, routinières, sans la personne que l’on chérissait plus que tout,… Ces sentiments sont susceptibles de toucher n’importe quel spectateur ayant déjà subi la perte d’un être cher.
On se laisse donc facilement porter par ce flot d’images et de sons, qui nous emmène vers nos propres souvenirs, nos propres blessures.

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Mais si A single man est une réussite, il le doit aussi beaucoup à ses interprètes, Colin Firth en tête.
L’acteur britannique est formidable de sobriété et de pudeur dans ce rôle pas si facile à jouer. Il possédait bien sûr la distinction qui sied parfaitement au personnage, cette élégance que l’on avait pu admirer dans bon nombre de comédies romantiques où il avait la vedette. Il rappelle ici qu’il sait aussi jouer de façon très nuancée, tout en intériorité, dans des registres très différents. Son prix d’interprétation au Festival de Venise, l’an passé, n’a absolument rien de scandaleux…
Face à lui, on retrouve Nicholas Hoult (le jeune acteur de Pour un garçon, qui a bien grandi…) et la grande Julianne Moore.
La discussion entre George et Charley, son personnage, est d’ailleurs l’une des plus belles scènes du film, à la fois mélancolique et pleine de complicité. C’est l’une des étincelles qui permet au personnage central de comprendre la valeur de l’instant présent et le côté dérisoire de l’être humain.

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Soyons francs, ce bel objet filmique ne fera probablement pas l’unanimité au sein du public. Certains le trouveront sans doute trop lent et trop esthétisant. Mais cela n’empêche pas A single man d’être assurément une œuvre intelligente, cohérente et maîtrisée, qui marque l’émergence d’un vrai cinéaste. Un futur grand ? L’avenir nous le dira. En tout cas, on attend désormais son prochain film avec impatience…

(1) : Tom Ford a notamment travaillé pour Gucci et Yves Saint-Laurent avant de créer sa propre marque de vêtements et de cosmétiques.
(2) : «Un homme au singulier » de C.Isherwood – coll. Points/romans – éd. Seuil

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A single man

Réalisateur : Tom Ford
Avec : Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult, Jon Kortajanera, Ginnifer Goodwin, Matthew Goode
Origine : Etats-Unis
Genre : veillée funèbre
Durée : 1h40
Date de sortie France : 24/02/2010

Note pour ce film : ●●●●●

contrepoint critique chez : Télérama

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1 COMMENT

  1. J’ai beaucoup aimé aussi, et j’ai trouvé le film très fort sur le plan émotionnel, la douleur du deuil est très bien retranscrite.

    Je ne sais pas ce que Tom Ford fera par la suite, mais ce premier essai est vraiment intéressant.

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