Avec Capitalism, a love story, l’infatigable Michael Moore continue son combat contre les inégalités sociales et la misère qui sévissent dans son pays, les Etats-Unis d’Amérique, pourtant la première puissance économique mondiale.
En 1989, dans Roger & moi, son premier documentaire, il tirait déjà le signal d’alarme, montrant que pendant que certains grands patrons accumulaient les bénéfices de manière outrancière, des milliers de travailleurs se retrouvaient au chômage, victimes de plans de rationalisation et de délocalisations vers des endroits du globe où la main d’œuvre est meilleur marché. Des villes entières se retrouvaient ainsi sinistrées, vidées de leur population et frappée par une augmentation de la criminalité locale…
En 2009, le constat est encore plus pessimiste. Le marché de l’emploi est toujours aussi sinistré, le nombre de miséreux a encore augmenté, au gré des expropriations ordonnées par des créanciers peu compréhensifs et exécutées manu militari par les forces de police, sans aucun ménagement. Et pour couronner le tout, le pays doit faire face à sa plus grande crise économique depuis le krach boursier de 1929 et la grande dépression : la tourmente financière et boursière qui a frappé l’ensemble de la planète à l’automne 2008…

Comment en est-on arrivé là ? Comment un pays aussi prospère, vanté comme modèle de réussite et de liberté partout dans le monde, a pu abandonner ainsi une grande partie de ses concitoyens ? Comment a-t-on pu laisser arriver un krach boursier aussi énorme, aux conséquences désastreuses pour bien des entreprises et bien des travailleurs ?
Michael Moore a évidemment sa petite idée. Il pointe du doigt ceux qui, pour lui, sont les responsables du fiasco : une poignée de patrons fortunés, les banques, et les garants du système financier américain, c’est-à-dire les véritables détenteurs du pouvoir aux Etats-Unis. Il dénonce les dérives du système libéral au cours des trente dernières années, durant lesquelles tous les garde-fous politiques ont sauté les uns après les autres, laissant les riches devenir de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus nombreux, et empêchant les capitaux de re-circuler pour assurer la bonne santé de l’économie du pays, la création d’emplois, le financement d’infrastructures pour le bien-être du peuple.

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Le cinéaste donne quelques exemples édifiants de l’immoralité du système actuel :
Une famille dévastée par le chômage, criblée de dettes, se voit obligée d’abandonner la maison qu’elle avait toujours habitée aux banques ou à des organismes créanciers qui feront du profit en la revendant à d’autres occupants un peu mieux lotis. Suprême humiliation, elle est tellement pauvre qu’elle ne peut guère refuser d’accepter un maigre salaire desdits organismes pour nettoyer son ancienne demeure et brûler toutes les traces de sa vie passée…
Des pilotes de ligne sont payés moins cher que certains ouvriers, et sont obligés d’arrondir leurs fins de mois en faisant de petits boulots à côté, au détriment de leur sommeil ! C’est rassurant de penser que des personnes ayant la responsabilité de la vie de centaines de passagers ont l’esprit plus préoccupé par leurs problèmes d’argent que par le pilotage de leurs appareils !
Un centre de détention privé pour jeunes délinquants, fonctionnant sur contrat avec l’état, magouille avec un juge pour augmenter le nombre de condamnation et la durée des peines, et par conséquent son chiffre d’affaires !

Il dénonce aussi le scandale des « dead peasants insurances», des polices d’assurance-vie contractées par les entreprises au nom de leurs employés, qui leur feront empocher un petit pactole en cas de décès desdits individus, alors que, bien entendu, leurs familles n’en toucheront pas un cent… Le principe, déjà, étonne. Franchement, ça vous viendrait à l’idée de prendre une assurance à votre nom sur la voiture ou la maison de votre voisin ? Bien sûr que non, et de toute façon, c’est illégal. Mais quand des grosses entreprises « investissent » sur la vie de leurs salariés, ça ne choque apparemment pas grand-monde au pays de l’oncle Sam ! Imaginez un peu l’aberration du système : une entreprise rémunère très mal un employé, qui du coup, n’a pas d’autre possibilité de couverture médicale que la mutuelle proposée par son employeur – pour rappel, il n’y a pas de sécurité sociale publique aux Etats-Unis. En cas de grave problème de santé, l’employé ne sera probablement pas couvert par la mutuelle, et, faute de soins, décédera probablement dans les mois qui suivront. La famille aura à payer intégralement les éventuels frais d’hospitalisation et les obsèques. L’entreprise, elle, empochera bien plus que l’ensemble de ces frais… Financièrement parlant, c’est brillant. Mais humainement, c’est dégueulasse…
Quand le système est ainsi fait qu’un salarié rapporte plus mort que vivant à son entreprise, faut-il s’étonner de voir des employés harcelés et poussés jusqu’au suicide ? (Au fait, ils ne pratiquent pas ça, quand même, chez France Télécom ?). On se doutait bien que les entreprises n’étaient pas là pour faire dans les sentiments, mais quand même, on n’imaginait pas à quel point les stratagèmes pour s’enrichir sur le dos des autres étaient tordus… Drôle de société, pauvre monde…

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Après ces cas concrets révoltants, symboliques du pouvoir de l’argent et du manque de considération des plus fortunés vis-à-vis des plus démunis, Michael Moore revient à ce qui constitue, à ses yeux, les origines du mal : la victoire de Ronald Reagan et des Républicains à l’élection présidentielle de 1980.
Le président sortant, James Carter, présenté avec humour comme un « rabat-joie », n’a pas su garder la confiance d’un électorat qui lui reprochait son relatif échec dans la « crise des otages » iraniens et la promesse d’une politique économique très austère. C’est donc son rival, l’ancien acteur Ronald Reagan, qui s’est emparé du pouvoir, grâce à une campagne électorale offensive, financée en grande partie par les dons « généreux » de grands groupes d’investisseurs, comme Merril Lynch. L’ancien président de celle-ci, Donald Regan, fut d’ailleurs nommé secrétaire d’état aux finances, et c’est lui qui est à l’origine des baisses d’impôts drastiques sur les grandes fortunes et sur les charges patronales, le taux d’imposition étant tombé de 90% à seulement 25% après le vote de cette loi ! Un sacré bouclier fiscal ! Puis il fut chef de cabinet du président Reagan, jouant quasiment le rôle d’un premier ministre – on peut constater son autorité dans une autre séquence, surprenante, où il donne sèchement des ordres à son Président ! – avant d’être mêlé au scandale de l’Irangate.
Conséquence de cette alliance entre les conservateurs et les groupes financiers : entreprises américaines, traders, banques et investisseurs ont pu profiter des années 1980 pour engranger de véritables fortunes, sans se soucier de l’état des finances publiques et des bouleversements occasionnés sur le marché de l’emploi…
Et encore, Moore, lassé de taper sur la famille Bush, ne nous rappelle pas que George Bush Sr fut vice-président de Reagan avant d’être lui-même élu au poste suprême, puis que son fils lui succéda douze ans plus tard, avec une campagne financée par Enron, une entreprise mêlée à un important scandale de fraude fiscale qui a impliquée des membres de la société… Merril Lynch (eh oui, le monde est petit, surtout vu du haut des gratte-ciels américains…)

Elu en 1992, le président démocrate Bill Clinton aurait pu essayer d’inverser la tendance et limiter le pouvoir du lobby des investisseurs, mais le ver était déjà dans le fruit. Ses conseillers financiers, comme le secrétaire d’état au trésor Robert Rubin, venaient tous de grands groupes comme la banque Goldman Sachs. Une tradition qui se perpétue puisque Henry Paulson, qui occupa le même poste chez Georges W.Bush, fut aussi président de Goldman-Sachs et qu’il fut le grand instigateur du plan de sauvetage des banques lors du naufrage de l’automne 2008… Certes, les liens entre le pouvoir et le monde de la finance ne sont pas nouveau, et existent dans bien des pays, mais on peut quand même s’interroger sur la pertinence de faire défendre les intérêts publics par des hommes dont le seul but était autrefois d’écraser toute concurrence et d’empocher le maximum de profits !

Surtout quand, en parallèle, la misère augmente, le taux de chômage atteint des sommets, toute l’économie s’effondre, à l’image de l’industrie automobile. Le cinéaste cite évidemment en exemple sa ville natale : Flint, Michigan. Autrefois ville prospère grâce à l’activité fournie par General motors, était déjà en net déclin à la fin des années 1980, quand Moore avait tourné Roger & moi. Elle est aujourd’hui une ville sinistrée, qui a perdu presque 25000 habitants en dix ans et dont plus de 25% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Un gâchis… Un constat d’échec patent…

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Pour continuer d’engranger les profits sur le dos des habitants les plus pauvres, les banques ont commis l’erreur de s’attaquer à la seule chose qu’il leur restait : leur maison. Elles leur ont accordé des prêts à la consommation en les garantissant par l’hypothèque de leurs maisons. Ces prêts, appelés « subprimes » se sont avérés toxiques pour toutes les parties. Trois millions de foyer ont été incapables de les rembourser et ont donc perdu leur logement, leur ultime bien matériel. Les banques n’ont pas récupéré l’argent prêté et se sont retrouvées avec des milliers de maisons vides sur les bras, et vu les difficultés financières de l’ensemble de la population, n’ont pas réussi à les revendre. C’est ce qui a provoqué la faillite de la banque Lehman Brothers, une onde de choc qui s’est ensuite propagée à l’ensemble du système boursier. Et il n’est même pas certain que les principaux fautifs de ce fiasco économique en aient tiré des leçons…

Que faire alors, sinon espérer un changement, si ce n’est un miracle ?
L’élection de Barack Obama a fait renaître l’espoir chez de nombreux américains. Peut-il changer les choses ? Michael Moore, qui l’a soutenu pendant la campagne, un peu par défaut, aimerait y croire, mais il rappelle aussi que la campagne d’Obama a été financée par des grands groupes d’investisseurs, ceux-là même qu’il pourfend dans son documentaire, et qu’il n’a pas hésité à voter le plan de sauvetage des banques américaines par les fonds publics, sans aucune contrepartie. Pour le cinéaste, il s’agit d’un arrangement scandaleux, car alors que les banques et les groupes financiers ont ainsi pu se tirer sans trop de dommages de la tourmente économique (dont elles sont les principales responsables), au point de verser de nouveau des primes faramineuses à leurs traders, les citoyens qui ont financé par leurs impôts cette relance se voient encore refuser des prêts et risquent à tout moment saisies et expulsions…

La solution est peut-être ailleurs, dans une véritable révolution populaire, qui remettrait les citoyens américains au cœur du processus démocratique. Le film invite à la rébellion contre les lois les plus absurdes, contre les aberrations du système. Michael Moore exhorte ses compatriotes, notamment les plus jeunes, à prendre le relais de son action provocatrice, pour dénoncer inlassablement les dérives d’une société de moins en moins juste et pour faire changer les choses de façon collective.

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Certains spectateurs vont hurler au film de propagande déguisé en faux-documentaire, enrager devant le manque de contrepoints proposés par Moore, parler de manipulation des images, dénoncer le total parti-pris du cinéaste. Ils n’auront pas tout à fait tort. Même si son travail s’appuie sur des enquêtes assez fouillées – les faits dénoncés sont on ne peut plus réels ! – Michael Moore est moins un documentariste qu’un pamphlétaire engagé qui cherche avant tout à rallier à sa cause ses spectateurs en utilisant les mêmes armes de propagande que le camp adverse. Alors oui, il joue la carte de l’émotion en insistant un peu trop lourdement sur les larmes des victimes… Oui, il met le public dans sa poche avec son humour potache, notamment quand il entoure les bâtiments des grandes banques américaines avec un ruban de policier délimitant une scène de crime… Oui, il ne montre que ce qui l’arrange et, avec son art consommé du montage, il s’amuse à ridiculiser une nouvelle fois son ennemi juré, Georges W. Bush… Mais il propose ainsi au spectateur américain une alternative totale aux informations distribuées par les chaînes de télévision, qui appartiennent essentiellement, comme chacun le sait, à de puissants groupes médiatiques gravitant autour des places financières et des hautes sphères du pouvoir, donc peu enclines à montrer certaines vérités qui dérangent…

En fait, ce qui dérange le plus ses détracteurs, c’est son positionnement politique assumé, incompatible, selon eux, avec l’objectivité que doit avoir un journaliste. (Là, il y a de quoi se marrer doucement, car tous les journalistes, et surtout ceux experts en politiques, ont leurs chouchous et leur lèchent les bottes pendant les interviews). Ben oui, Michael Moore est un activiste gauchiste assumé. Il ne s’en cache pas. Un infâme rouge, un communiste diront certains… Il en joue avec un certain art de la provocation, en utilisant par exemple une version jazzy de l’Internationale en guise de générique de fin !
Mais là, le principe est le même. Si Michael Moore propose à ses concitoyens de se pencher de manière un peu plus attentive sur les idées marxistes et les systèmes socialistes, c’est que tous ces concepts économiques ont été diabolisés pendant des années par les politiciens, les financiers, les média et toute une frange conservatrice de la population. Bien sûr, la guerre froide est passée par là, jouant sur le clivage philosophique et économique profond entre les deux blocs est/ouest, et la dérive totalitariste des pays liés à l’URSS n’a rien arrangé, mais cette peur des idéaux communistes a été entretenue depuis longtemps aux Etats-Unis. En fait, on a même fini par croire sur parole deux idées reçues. Déjà, que le système capitaliste était défendu par le Christianisme. Ensuite que la nation américaine était fondée sur le principe de l’économie capitaliste et que tout autre système serait une totale aberration.

Alors le cinéaste nous prouve le contraire. En recueillant tout d’abord les témoignages de prêtres qui affirment que le Christ serait probablement un farouche opposant de ce système économique injuste exploitant les plus faibles. Puis en s’appuyant sur le référent essentiel : la constitution. Il a bien vérifié, les mots « capitalisme », « libre échange », « économie de marché » ou « profit » n’y figurent pas. En revanche, il y a trouvé un ensemble de règles de vie en société fondées sur le bon sens, l’équité, la justice, et l’idée d’une nation administrée par le peuple pour le peuple, dans l’intérêt général. Le préambule commence d’ailleurs par « We, the people of United States of America…» (Nous, les citoyens des Etats-Unis…).
Tout est là, dans cette notion de collectivité. Peu importe, finalement, le système économique choisi. Capitalisme ou communisme, les deux se défendent sur le papier, du moment qu’ils ne sont soumis à aucune dérive. Ce qui compte, c’est le bien-être du peuple. Et, dans tout pays démocratique, cela passe forcément par un système d’imposition équitable où les sommes collectées sont utilisées pour la réalisation d’infrastructures collectives (écoles, hôpitaux, routes et moyens de transports,…) et l’octroi de services publiques. Oui, même aux Etats-Unis, symbole du capitalisme et de la privatisation de l’économie…
Pour bien enfoncer le clou, Michael Moore a mis la main sur un discours du président Franklin Roosevelt (peu suspect d’appartenir à une obédience communiste), daté de 1945, où l’homme qui mit en place le New Deal annonçait son intention d’inscrire dans la constitution des articles garantissant à chaque américain le droit à un emploi, à un niveau de vie minimum, une couverture sociale, un accès aux soins médicaux, le tout garanti par l’état.
Roosevelt est décédé avant de mener ce projet à bien et que ses successeurs ont bien vite enterré ces propositions peu avantageuses pour les citoyens les plus riches et les plus influents… Ca donne à réfléchir… Où en serait-on aujourd’hui s’il avait eu le temps d’aller au bout de sa démarche ? Connaîtrions-nous les mêmes catastrophes humaines, économiques et écologiques ?

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Mais il est trop tard pour regretter les actes manqués. Ce qui compte, c’est ce qu’il convient de faire aujourd’hui, pour tendre vers davantage de justice sociale et de répartition des richesses, même au sein d’un système libéral. Sinon, les Etats-Unis d’Amérique, et toutes les nations occidentales qui les prennent pour modèle risquent bien de connaître le même déclin que l’Empire Romain, où les puissants, aveuglés par leur propre richesse, s’étaient totalement coupés du peuple.
Capitalism : a love story n’apporte pas vraiment de solutions – même s’il présente quelques initiatives intéressantes, comme cette entreprise autogérée par ses employés – mais Michael Moore a le mérite d’aider les spectateurs à ouvrir les yeux sur les limites de la société capitaliste et les pousse à réagir, à s’investir dans la vie politique du pays, à retrouver l’envie de se battre non pour soi-même, mais pour la collectivité.
Ce qui, par sa forme parfois maladroite, ressemble parfois à un brûlot politique anti-capitaliste, est surtout une œuvre d’utilité publique, qui pousse à réfléchir et à réagir. Remettre le citoyen, la collectivité et la démocratie au cœur du débat ? Yes we can !

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capitalism, a love story

Capitalism : a love story
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Réalisateur : Michael Moore
Avec : Michael Moore
Origine : Etats-Unis
Genre : money, money, money…
Durée : 2h06
Date de sortie France : 25/11/2009

Note pour ce film : ˜˜˜˜˜

contrepoint critique chez : –

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