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De quoi ça parle ?

Le champ de bataille qui donne son titre au film est déjà celui où sont envoyés les soldats italiens face aux soldats allemands et austro-hongrois, durant la Première Guerre Mondiale. Une zone tout aussi meurtrière que celle, plus au nord, où allemands et français s’affrontent dans une interminable guerre de tranchées.

C’est aussi l’hôpital militaire italien où deux médecins confrontent leurs points de vue divergents. Pas sur la nécessité de soigner les blessés, bien sûr, ni sur celle de réparer les « gueules cassées » sorties des tranchées. En revanche, ils doivent aussi estimer si les blessés sont aptes à repartir au front et là ils sont visiblement sur des lignes opposées.
Sur le sujet, Giulio (Gabriel Montesi) est plutôt sur une ligne dure. Il n’a aucun respect pour les tire-au-flanc et pour les simulateurs qui sont prêts à tout pour ne pas repartir au combat. Les ordres des supérieurs sont pourtant clairs. Il y a besoin de soldats pour contrer les assauts autrichiens et toutes les forces encore vaillantes doivent être mobilisées. Alors les tricheurs n’ont que deux options : retourner au front, en première ligne, ou passer par le peloton d’exécution.
Son confrère Stefano (Alessandro Borghi) ne partage pas du tout cette idée. Il comprend parfaitement les soldats qui, après avoir connu une première fois l’enfer des tranchées et vu tomber des dizaines de compagnons d’armes sous l’effet des bombes, du froid et des maladies, n’ont pas vraiment envie d’y retourner. Alors il les aide en secret, provoquant des “maladies nosocomiales” peu préoccupantes ou des mutilations légères, suffisamment handicapantes pour qu’ils soient déclarés inaptes au service.

Le problème, c’est que cette vague de “surinfections” commence à devenir suspecte, d’autant qu’une rumeur insistante commence à circuler, indiquant qu’un membre du service aide les soldats à retourner à la vie civile. Giulio, qui n’arrive quasiment plus à renvoyer des soldats au front et subit en conséquence les pressions des autorités, enquête pour découvrir le coupable. De prime abord, il ne soupçonne pas Stefano, qui est le meilleur médecin de l’hôpital et qu’il connaît depuis l’université de médecine. Mais l’idée fait peu à peu son chemin, surtout quand arrive une nouvelle infirmière, Anna (Federica Rosellini), qui va générer une rivalité amoureuse entre les deux hommes.

Pourquoi on se fait porter pâle ?

Peut-être est-ce à cause des vapeurs d’éther et de chloroforme, ou des prémisses d’une grippe vénitienne due au choc thermique entre la canicule extérieure et la climatisation des salles tournant à plein régime, mais on sort du film un peu engourdi, pas vraiment touché par le sort des personnages ni par la situation catastrophique décrite dans le récit. Pourtant, le film devrait être poignant, du fait du contexte, ce conflit meurtrier où les gradés envoyaient les jeunes appelés se faire trucider pour d’obscures raisons géopolitiques et des gains territoriaux, et de l’aspect mélodramatique de cette histoire précise. Curieusement, le film de Gianni Amelio reste assez sec, alors que l’un des points forts du cinéaste, à son apogée, était justement d’arriver à émouvoir le spectateur sans recourir pour autant à des effets faciles (Les Enfants volés, Lamerica, Mon frère…).

La réalisation n’est pas en cause. Les mouvements de caméra sont élégants, les cadrages sont chirurgicaux. La direction de la photographie non plus. Les images de Luan Amelio Ujkaj sont sublimes, à condition de ne pas être allergique au style gris-cafardeux. Et les acteurs sont impeccables, chacun apportant à son personnage la complexité et l’ambivalence attendue. Quant au récit, il est adapté d’un roman de Carlo Patriarca, “La sfida” (1), qui a connu un certain succès chez nos voisins transalpins. Bref, d’un point de vue technique et artistique, Campo di battaglia tient la route. Et on ne peut pas dire que l’on s’ennuie, le récit ayant la délicatesse de se contenter d’une durée adéquate (1h45), suffisante pour permettre de développer l’intrigue et les personnages, mais assez courte pour ne pas laisser les spectateurs englués trop longtemps dans l’ambiance mortifère de cet hôpital militaire.
Mais, sans trop comprendre là où le bât blesse, on reste à distance, sans jamais réussir à être emporté par cette histoire.

Peut-être est-ce parce que le film, justement, arrive un peu après la bataille. On a vu des dizaines de films sur le sujet de la Grande Guerre. Alors on sait déjà que le conflit a été atroce, qu’il a occasionné des millions de morts et de blessés graves, sans compter les personnes traumatisées. On a vu des films bouleversants sur des blessés de guerre – on pense à Johnny s’en va en guerre de Dalton Trumbo ou à La Chambre des Officiers de François Dupeyron –, d’autres qui fustigeaient l’attitude des officiers, planqués pendant qu’ils envoyaient les jeunes appelés au casse-pipe – des Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick au récent Tirailleurs de Mathieu Vadepied – et bien d’autres récits se déroulant à peu près à la même période ou l’exploitant à des fins romanesques – Un long dimanche de fiançailles, Au revoir là-haut
Certes, les ravages de la grippe espagnole venus alourdir le nombre de victimes, ont moins été abordés à l’écran. Pour autant, ce n’est pas une révélation pour le spectateur qui a un minimum de connaissances sur cette période de l’histoire, qui est normalement enseignée au collège et au lycée.

Cela dit, au vu de la situation préoccupante de la planète, entre montée des mouvements anarchistes et nationalistes, pandémies, conflits larvés ou ouverts dans différentes régions du monde, crise économique latente, on peut se demander si les hommes ont bien retenu les leçons de l’histoire et ne risquent pas très prochainement d’oublier l’idée de “der des der” et remettre le couvert pour une troisième guerre mondiale. Alors, sans doute Campo di battaglia peut-il, à son humble niveau, contribuer à rappeler aux plus jeunes le côté dévastateur des conflits armés, fruit de la folie des hommes.

Mais de notre côté, nous ne sommes pas très réceptifs à cette histoire qui, a priori, ne devrait pas nous laisser un souvenir mémorable, ni faire grimper notre fièvre cinéphile.

(1) : “La Sfida” de Carlo Patriarca – éd. Rizzoli (pas de version française existante)

Contrepoints critiques :

“L’atrocité de la guerre ne nous est pas montrée directement dans ce film (…) il n’y a pas de héros absolu dans Campo di battaglia. On n’y retrouve pas non plus le romantisme et l’élément épique du cinéma de guerre. L’intrusion poétique d’Amelio dans la matière historique annule aussi la relation sentimentale qu’on peut imaginer et réduit au minimum le développement des personnages principaux, élargissant le regard pour s’intéresser au drame collectif (…) Les couloirs bondés et les masques que portent médecins et soldats deviennent des éléments fortement expressifs, car ils servent de traits d’union avec ce qu’on a connu récemment pendant la pandémie de Covid-19. C’est le cinéma qui décode l’histoire pour démultiplier sens et vérité, et qui non seulement la rend visible mais la conserve, comme l’a fait observer Jean-Luc Godard.”
(Camillo De Marco – Cineuropa)

”Amelio made some good movies in the ’90s, including The Stolen Children and Lamerica, but his latest has the whiff of a well-intentioned telefilm.”
( Jordan Mintzer – The Hollywood Reporter)

Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – copyright Claudio Iannone

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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