Un couple affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Des tourments de Sophia Tolstoï, l’épouse de l’écrivain russe Léon Tolstoï, qui souffre de leur mariage insatisfaisant, leurs querelles incessantes et des longues et fréquentes absences de l’écrivain.


Pourquoi on trouve que le film n’est guère épais ?

Le dispositif du film est des plus minimalistes. Frederick Wiseman filme la comédienne Nathalie Boutefeu lire des extraits du journal intime de Sophia et des lettres qu’elle écrivait à son mari quand, pour une raison ou une autre (besoin de solitude, crise existentielle, scène de ménage…), il prenait la poudre d’escampette et la laissait seule dans leur grande maison à la campagne, en charge de leur progéniture de plus en plus nombreuse au fil des années. Il alterne des plans rapprochés de l’actrice s’adressant directement à la caméra, des plans plus lointains, où le personnage semble un peu perdu, isolé dans ce jardin qui lui sert de prison dorée, et des plans d’arbres, de fleurs ou de paysages de nature, pour marquer quelques pauses dans la lecture. C’est tout.

Il n’y a aucune volonté de mettre en perspective ces lettres avec l’évolution de l’oeuvre de l’écrivain, qui a pourtant écrit ses textes les plus puissants durant les premières années de son mariage. Il n’y a pas plus de tentative d’expliciter le contexte particulier de cette union improbable : Léon Tolstoï ne souhaitait pas particulièrement se marier. Il appréciait sa solitude et de sa quiétude et pouvait trouver hors du mariage la possibilité de satisfaire des besoins charnels. Mais il a fait la rencontre de Sophia, est tombé sous son charme et l’a épousée. Pendant un temps, ils ont vécu des moments heureux, mais ce bonheur conjugal, construit sur de mauvaises bases, n’a pas résisté à l’épreuve du quotidien et l’usure du temps. Et le fait que Tolsoï, à la fin de sa vie, ait souhaité se détacher du matériel pour mener une vie plus ascétique, plus spirituelle, n’a pas amélioré les choses, bien au contraire. Non, tout ceci n’est que très peu abordé, même si cela aurait pu constituer un sujet passionnant.

Le film est exclusivement centré autour du ressenti de Sophia. C’est par le changement de tonalité de sa voix que l’on comprend, au gré des extraits lus, l’évolution de la relation du couple. C’est son ressenti et sa vision du couple que le duo Wiseman/Boutefeu nous invite à partager. Au début, Sophia est une femme amoureuse, prête à tout accepter. Elle essaie d’être constructive. Bien qu’elle souffre de ses querelles avec Léon, culpabilise un peu de ne pas être à la hauteur de ses attentes, elle garde espoir que la relation s’améliore.Elle sait qu’ils sont unis par des liens profonds et que leur complicité est plus forte que leurs motifs de dispute. C’est une époque où Sophia a accès aux écrits de son mari. Elle est sa première lectrice et peut le conseiller sur certains points.
Mais au fil des lettres, on comprend qu’elle est de plus en plus tenue à l’écart du travail de l’écrivain, comme si elle avait perdu son statut de “muse”, comme si le lien de confiance était rompu. Sophia devient plus amère. Elle réalise que le lien spirituel et intellectuel qu’elle pensait avoir avec son mari n’existe pas vraiment. Elle se dit qu’elle n’a été pour lui qu’une sorte de “repos du guerrier”, un objet charnel qu’il pouvait besogner entre chaque roman, avant de retrouver sa solitude.

Cela fonctionne assez bien car Nathalie Boutefeu met suffisamment de souffle et d’intensité dans son interprétation pour que l’on suive avec intérêt le récit de bout en bout. Mais cela n’empêche pas l’ennui de s’installer par moments, à cause du côté redondant des lettres et du peu de variations apportées à la mise en scène. Il est heureux que le film soit si court (1h03), très loin de la durée-fleuve habituelle des documentaires du cinéaste, même si, en même temps, on reste un peu sur notre faim, frustrés du manque d’ampleur du projet.

On ose le dire, le film n’est guère épais. C’est un exercice de style intéressant, mais le placer en compétition officielle, au milieu d’oeuvres aussi imposantes que TAR ou Bardo n’était peut-être pas le meilleur service à lui rendre. Un couple n’en demeure pas moins un vrai film de festival d’Art & Essai, développant un point de vue d’auteur radical, en tout cas en dehors des codes classiques de l’industrie cinématographique.

Pronostics pour le palmarès

On ne voit pas le film au palmarès. Eventuellement, la performance de Nathalie Boutefeu, très impliquée dans l’ensemble du projet, pourrait lui permettre d’obtenir le prix d’interprétation si le jury jugeait superflu de récompenser une actrice aussi reconnue que Cate Blanchett et préférait primer une actrice moins connue.


Contrepoints critiques

“En se frottant à l’intime de cette relation singulière, Wiseman documente une institution, celle du mariage, et en ausculte d’une façon puissamment contemporaine les partages comme les assujettissements.”
(Raphaëlle Pireyre – Trois Couleurs)

”Visuellement splendide et d’une force indéniable, Un couple n’en demeure pas moins un film d’accès difficile pour tous à cause de sa radicalité « théâtrale » fondée sur le monologue. Il faut accepter de s’abandonner complètement pour apprécier cette œuvre entremêlant douceur du cadre et violence du propos.”
(Fabien Lemercier – Cineuropa)

Crédits photos : Images fournies par la Biennale Cinema

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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