Argentina 1985 affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Du procès de la junte militaire qui a gouverné l’Argentine de 1976 à 1983, période où bon nombre de citoyens ont été enlevés et torturés par les autorités, afin de faire régner la terreur et asseoir le pouvoir de la dictature en place.
On suit les efforts d’un petit procureur, Julio Strassera (Ricardo Darin, comme toujours épatant), qui, avec l’aide d’un groupe de jeunes juristes inexpérimentés, se voit confier la lourde charge de prouver l’implication des principaux gradés dans cette politique de terreur, dont Jorge Rafael Videla, qui a orchestré la prise de pouvoir par la junte militaire et a gouverné pendant près de quatre ans le pays.
Ils décident de regrouper les témoignages venant de l’ensemble du pays, pour démontrer l’existence d’un système massif, que les dirigeants ne pouvaient ignorer. Contre toute attente, des milliers de témoignages affluent, qu’ils vont devoir traiter dans les délais, sans moyens ni aide extérieure, et en subissant les pressions de groupuscules fascistes proche des dirigeants déchus.


Pourquoi on plaide en faveur du film ?

Avec un tel sujet, on pouvait s’attendre à une oeuvre glaçante, comme Garage Olimpo ou les films sur d’autres dictatures d’Amérique Latine ayant exercé la même politique de terreur. Et surprise, si le film contient bien des témoignages assez effrayants sur les exactions commises par les milices proches du pouvoir sur des civils innocents, il adopte plutôt la structure d’un thriller judiciaire classique, avec ce qu’il faut de moments de tension et de plaidoiries flamboyantes, et recèle plusieurs touches d’humour assez bienvenues, qui viennent ponctuer le récit et aider le spectateur à s’attacher aux personnages.

Car, plus qu’un film sur la dictature argentine, dont les crimes ont été dénoncés dans plusieurs oeuvres cinématographiques ou littéraires, le film de Santiago Mitre s’intéresse surtout à ce groupe de juristes qui, alors que personne n’aurait misé un peso sur eux, ont réussi à marquer l’histoire en étant les premiers, en Amérique du Sud, à faire reconnaître des dictateurs coupables pour les vagues de disparitions, de tortures et de meurtres commis sur des civils.
Au début, Julio Stassera est un petit procureur sans envergure, qui déteste l’exposition médiatique et refuse de s’impliquer dans des dossiers risquant de mettre en péril sa femme ou ses enfants. Il renâcle donc à s’occuper de ce lourd  dossier, conscient qu’il ne pourra pas compter sur ses autres collègues procureurs, la plupart partageant les idées fascistes des militaires sur le banc des accusés et les autres étant désormais trop vieux pour s’attaquer à une tâche aussi ample. Mais il réalise peu à peu que son instruction est le seul espoir de rendre justice aux milliers de victimes qui ont subi les humiliations et les tortures, sans parler des “disparus”, qui y ont sans doute laissé leur peau. Alors, il fait fi des menaces de mort et des tentatives de déstabilisation des avocats adverses, sort de sa coquille et mène son enquête avec conviction, bien aidé par sa bande de jeunes loups du barreau ultra-motivés à l’idée de faire chuter les dictateurs.
Jusqu’à son grand final, une plaidoirie implacable et flamboyante, dont l’issue est connue.

Ce type de personnage anonyme qui se mue en héros est pain béni pour Ricardo Darin, acteur expérimenté, capable de jouer aussi bien un héros charismatique que Monsieur Tout-le-monde. Ici, il peut jouer sur tous les registres (drame, comédie, thriller) et incarner un personnage qui évolue et se bonifie au fil des minutes. C’est donc sur lui, et sa performance d’acteur admirable, que le film repose essentiellement.

La réalisation de Santiago Mitre, sobre, mais efficace, fait le reste. On trouvera juste dommage que le cinéaste ne fasse pas preuve de plus d’audace, car il en a les capacités. Il le démontre par moments avec de belles idées de mise en scène, comme cette séquence où, dans le même mouvement de caméra, il montre l’expéditeur et le destinataire de la lettre officielle demandant l’ouverture du procès.

Argentina 1985 n’est pas un grand film, mais un solide film de festival, qui saura plaire autant à un public cinéphile qu’à un public plus populaire. Il permet aussi de rappeler les crimes commis par la junte militaire ces années-là, et veiller à ce que de nouveaux dictateurs ne reproduisent plus jamais ce schéma criminel de grande ampleur.


Pronostics pour le palmarès ?

Ricardo Darin est un outsider potentiel pour le prix d’interprétation masculine, mais le film de Santiago Mitre a peu de chances de se retrouver au palmarès, au vu du niveau de la compétition jusque-là, et alors que de solides clients restent à venir.


Contrepoints critiques ?

”Santiago Mitre’s fact-based procedural drama about the prosecution of Argentina’s military junta doesn’t reinvent any genre wheels, but it’s rousing in all the right places.”
( Variety)

“Cleverly infused with nuanced humour, the movie earns its bits of rhetoric in the end but never feels heavy. Mitre only borders the court drama and deals with history in an entertaining way. Huge response from the crowd. Darin-Lanzani dream team!”
(@rotovisor sur Twitter)

Credits photos : ©Amazon Studios-La Unión de los Ríos-Kenya Films-Infinity Hill-Ph Lina Etchesuri

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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