The lost daughter affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

Comme dans le roman d’Elena Ferrante dont le film est tiré (1), le film est construit autour de Leda (Olivia Colman), professeure universitaire qui vient passer quelques jours dans une île grecque. On ne sait pas vraiment si ce séjour correspond à des vacances ou un besoin de retraite pour étudier et écrire, mais elle est venue seule et c’est avant tout cette solitude, cet isolement que les autres perçoivent chez elle. Le fait d’être venue sur cette île libre comme l’air, sans conjoint ni enfants, laisse à penser qu’elle est potentiellement un coeur à prendre ou une femme en quête de passion éphémère.  C’est sans doute pourquoi elle se fait aborder coup sur coup par son logeur de soixante-dix ans (Ed Harris), puis par Will (Paul Mescal), le garçon de plage de vingt-cinq ans. Leda, a pile l’âge intermédiaire : 48 ans, mais la plupart de ceux qu’elle côtoie lui en donnent dix de moins. Cela la flatte, mais elle semble tenir tous ces prétendants à bonne distance. A vrai dire, elle semble un peu perdue sur cette île, comme si elle n’était pas à sa place, comme si elle souffrait d’un spleen inconnu. Là, elle trompe l’ennui en observant les autres personnes sur la plage, notamment Nina (Dakota Johnson), Elena, sa petite fille de cinq ans, et les nombreux membres de sa smala qui se comportent comme si l’île leur appartenait.

Un après-midi, Elena disparaît sur la plage. Leda s’empresse de participer aux recherches et c’est elle qui finit par retrouver la fillette, avant d’être chaleureusement remerciée par la famille et notamment par Nina, avec qui elle semble se lier d’amitié. Mais alors que l’île retrouve sa quiétude, Leda dérobe sur un coup de tête la poupée de la fillette, occasionnant beaucoup de turbulences : La gamine pique crise sur crise sans sa poupée préférée, mettant les nerfs de sa mère à rude épreuve et générant des tensions au sein de la famille de Nina. Leda observe cette agitation avec un mélange d’intérêt et de tristesse. On comprend que son geste a trait à un rapport contrarié à la maternité, des blessures mal refermées, qui nous seront dévoilées au fur et à mesure du récit.

Pourquoi on joue volontiers à la poupée ?

Essentiellement parce que c’est Olivia Colman – également coproductrice du film – qui incarne cette femme complexe, aux multiples facettes. Léna, forte de son nom à connaissance mythologique, est une brillante intellectuelle experte en littérature comparée, parlant couramment l’italien et citant sans hésiter des citations de Keats ou d’autres grands poètes britanniques. Elle fait autorité dans son domaine et ne semble prête à se laisser intimider par personne. Mais c’est aussi, par moments, une personnalité immature, une adolescente qui refuse de grandir, capable de piquer le jouet d’une fillette et de tourmenter une femme apparemment sans raison. Elle semble forte, mais est en fait minée par des blessures psychologiques profondes, des épisodes de sa vie dont elle n’est ni fière ni honteuse, mais qui semblent la condamner à la honte ou au renoncement, invariablement.
On devine ce qui a pu intéresser l’actrice dans ce beau personnage imaginé par Elena Ferrante, comme on comprend ce qui a pu pousser Maggie Gyllenhaal, actrice elle-même, à utiliser ce matériau pour sa première oeuvre en tant que réalisatrice. Dans son imposante filmographie en tant que comédienne, Gyllenhaal a souvent incarné des personnage atypiques, étranges ou tourmentés, des femmes en quête de liberté ou de rédemption. Elle a donc rapidement saisi le potentiel de ce portrait de femme, loin des conventions, qui aborde sous un angle différent le rapport à la maternité et à l’éducation des enfants, et elle a pu diriger sa consoeur avec beaucoup de précision, afin qu’elle tire le meilleur de ce rôle complexe.

On sent également que Maggie Gyllenhaal a beaucoup appris lors de ses tournages auprès de cinéastes singuliers comme Richard Kelly, Spike Jonze ou Christopher Nolan. Elle s’avère particulièrement douée pour instaurer un climat particulier, étrange et oppressant, susciter le trouble avec trois fois rien. Tout le début du film, qui évolue dans un certain malaise, une tension sourde, est parfaitement réussi, et cela doit beaucoup aux choix de la cinéaste. Le spectateur est happé par cette intrigue d’abord grâce au mystère qui entoure le personnage, donc à l’interprétation de Colman, mais aussi grâce au climat étrange induit par les cadrages, la nature des plans et les changements de rythme du montage. Dans ces moments-là, The lost daughter pourrait presque basculer dans le thriller ou le fantastique, une œuvre funèbre et douloureuse façon Donnie Darko. Ce n’est évidemment pas le cas, mais ces moments de tension servent à irriguer l’ensemble du film, en laissant redouter un dénouement funeste.
En revanche, la cinéaste rentre un peu dans le rang au fur et à mesure. Sa mise en scène se fait plus conventionnelle, plus illustrative. Elle  s’appuie trop sur la performance d’Olivia Colman et se contente sagement de la regarder évoluer. Tant que le scénario ménage un certain suspense et que le personnage garde son mystère, tout va bien. Mais à partir du moment où la cinéaste commence à lever le voile sur la jeunesse de Leda et son expérience de mère, les scènes se font un peu redondantes, trop explicatives. Le jeu d’actrice seul ne suffit plus à vraiment à redynamiser l’ensemble et le film connaît donc quelques légères baisses de régime.

Bien qu’imparfait, The Lost daughter n’en demeure pas moins un premier film solide. Espérons que Maggie Gyllenhaal persévère dans la voie de la mise en scène et puisse proposer rapidement d’autres films pour confirmer les promesses entrevues ici.

Prix potentiels ?

Olivia Colman peut postuler à une seconde Coupe Volpi de la Meilleure actrice sur le Lido, seulement trois ans après celle glanée pour The Favourite.
Pour le reste, c’est encore un peu tendre, même si Maggie Gyllenhaal pourrait légitimement prétendre à un “Lion de L’Avenir” récompensant le meilleur premier long-métrage.

Contrepoints critiques

”Impressionnée par The Lost Daughter, le premier long-métrage ultra maîtrisé de Maggie Gyllenhaal. Un portrait de mère comme on en voit trop peu au cinéma : celle qui ne s’épanouit pas dans la maternité. Olivia Colman est formidable.”
(Chloé Valmary @dove_season, sur Twitter)

“Olivia Colman shines in a fierce Ferrante adaptation”
(Kevin Maher – The Times)

”Si elle a parfois la main un peu lourde, Maggie Gyllenhaal va loin dans la nuance. On ne peut que louer une exploration si poussée de la figure maternelle jusque dans ses retranchements les plus troubles.”
(Timé Zoppé – Trois Couleurs)

(1) “ La Poupée volée” d’Elena Ferrante – coll. Folio – éd. Gallimard

Crédits photos : Images fournies par La Biennale Cinema copyright Netflix – Yannis Drakoulidis

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article[Venise 2021] “E stata la mano di Dio” de Paolo Sorrentino
Next article[Venise 2021] “Il Buco” de Michelangelo Frammartino
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY