61846-LAHI__HAYOP__GENUS_PAN__-_Official_still__22_[Orizzonti]

De quoi ça parle ?

De trois mineurs Philippins qui, une fois la saison terminée, prennent un chemin de traverse compliqué pour rentrer chez eux. A mesure qu’ils avancent dans la jungle, ils sont victimes d’hallucinations – ou des démons qui peuplent les forêts des Philippines. Les langues se délient, les comportements se font plus agressifs. Les relations des trois hommes deviennent  tendues… Dans cet environnement sauvage, il suffirait d’un rien pour que l’homme retrouve ses instincts animaux primaires. A moins qu’il n’ait jamais été qu’un grand singe, guère différent de son cousin le chimpanzé (“Genus Pan”, dans la classification des animaux, correspond à la famille des chimpanzés et des bonobos). Comme lui, l’être humain est capable de vivre en société, mais il peut aussi se montrer agressif, obsessionnel, violent, possessif, envieux, narcissique et égoïste. Evidemment, certains spécimens sont pires que d’autres, mais tous les êtres humains portent en eux une part de sauvagerie.

Pourquoi on grimpe aux arbres, à défaut de rideaux?

Déjà parce que pour une fois, Lav Diaz a fait “court”. Rappelons ses faits d’armes : 3h46 pour The Woman who left, Lion d’Or 2016, qui semblait durer dix plombes, 3h54 pour La Saison du Diable, sa tragédie musicale sur la dictature, 4h39 pour Halte, son film d’anticipation politique, 8h05 pour A Lullaby to the sorrowful mystery, sa fresque historique primée à Berlin,  9h06 pour Death in the land of Encantos,… Ici, ça dure juste 2h30!  Bon, c’est relatif, hein, parce qu’il faut quand même la tenir cette durée, surtout la première partie du film, qui consiste à suivre l’errance des trois hommes dans la jungle, comme s’ils étaient revenus à leur état originel, dans leur habitat primitif. Pour certains spectateurs, peu habitués au cinéma contemplatif et à une narration aussi frugale, ce sera assurément une souffrance. Il est vrai que le cinéaste Philippin aurait encore gagné à travailler un peu plus longtemps à la table de montage, mais ici, hormis quelques longueurs, le cinéaste reste focalisé sur son intrigue principale et son idée première : montrer que l’homme est avant tout un animal sauvage.

Ensuite parce que Genus Pan est une oeuvre absolument sublime.  Chaque plan est composé comme une toile de maître et nous propose une leçon de mise en scène, avec des cadrages ultra-précis, des jeux de lumières somptueux, une image en noir et blanc hyper-cinématographique, une belle exploitation de l’espace et de la profondeur de champ. La nouveauté, pour le cinéma de Lav Diaz, c’est le choix d’une ambiance majoritairement lumineuse et diurne, contrairement à ses derniers films, qui baignaient essentiellement dans des ambiances sombres et nocturnes. Comme si le cinéaste, après un cycle consacré à la description d’un pays à l’avenir très sombre, sans espoir, où les citoyens sont opprimés, souhaitait donner une nouvelle ampleur à son oeuvre, en montrant au grand jour la nature profonde, primale, de l’être humain.
Le fond reste bien sûr très politique. Ses personnages sont certes faillibles et imparfaits, mais ils ne sont aucunement aidés par le contexte dans lequel ils évoluent, fait de misère et d’exploitation honteuse du travail des plus démunis, forme d’esclavagisme moderne. Ce qu’ils gagnent dans leurs jobs sous-payés est ensuite récupéré sous formes de taxes par les puissants. Et ce qui leur reste, le peu mis de côté, attise la convoitise d’autres types sans emploi et plus miséreux. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays qui reste soumis encore et toujours à la dictature militaire et aux pressions de puissances étrangères?

Enfin, parce que Lav Diaz nous a manqué. Cela peut paraître excessif, car le cinéaste Philippin est très prolifique et sort un film voire deux longs-métrages par an – il en a déjà deux en post-production actuellement! –  mais après un interminable confinement, un été privé de sorties, sauf de sombres blagues que l’on ose à peine qualifier de films, c’est un vrai bonheur que de constater qu’il est toujours présent, prêt à continuer son combat et à nous offrir des films-fleuves qui sont de vraies déclarations d’amour au Cinéma, au vrai! Il est fidèle à ses valeurs, sa vision du cinéma, et s’occupe de presque tout sur les tournages. Ici, il est auteur, metteur en scène, chef-opérateur et monteur! Il fait tout cela avec un talent fou, même si pour le montage, un ou deux coups de ciseaux en plus auraient été bénéfiques. Et sa passion est hautement communicative.

Autres avis sur le film

”Genus Pan est une élégie d’une inoubliable beauté”
(Grégory Couteau – Le Polyester)

”Make Lav not war”
(@theprinceling sur Twitter)

”Many may call themselves a filmmaker but only a few can be called a MASTER”
(@Bedbusbath sur Twitter)

REVIEW OVERVIEW
Note :
SHARE
Previous article[Venise 2020] “Lasciami andare” de Stefano Mordini
Next article[Cannes 2020] “Antoinette dans les Cévennes” de Caroline Vignal
Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

LEAVE A REPLY