FrantzFrantz, titre du nouveau long-métrage de François Ozon, pourrait être le nom d’un pays réunissant à la fois la France et l’Allemagne ou plutôt celui d’un “no man’s land” puisqu’il s’agit du prénom d’un jeune allemand décédé dans les tranchées de la Marne, pendant la Première Guerre Mondiale. Triste fin pour un jeune homme pacifiste et profondément francophile, puisqu’il étudiait à Paris avant que la guerre n’éclate. Peu de temps après l’armistice, Anna, sa fiancée (Paula Beer) vient pleurer sur sa tombe. Elle réalise que quelqu’un vient juste d’y déposer un bouquet de roses blanches. L’inconnu (Pierre Niney) se prénomme Adrien. Il a fait le déplacement depuis la France pour se venir se recueillir sur la tombe de Frantz. Heureuse de pouvoir rencontrer un ami de son défunt amant, Hannah invite Adrien à rendre visite aux parents de Frantz, pour leur raconter comment il a connu Frantz et évoquer des souvenirs de leur vie parisienne. Bien que mal à l’aise, Adrien s’exécute. Il leur parle des leçons de violon qu’il donnait au jeune allemand, de leurs folles virées nocturnes, de leurs visites de musées. Au gré des visites, il apporte du réconfort aux proches du disparu, met un peu de vie et de couleur dans cette maison endeuillée.
Mais si Anna et les parents de Frantz se portent de mieux en mieux à son contact, Adrien, lui, semble de plus en plus mal à l’aise, souffrant de vertiges et de crises d’angoisse. On devine en lui des zones d’ombre, de profonds tourments existentiels. Quelle était la nature exacte de sa relation avec Frantz? Pourquoi est-il si bouleversé par la mort du jeune allemand?
L’hostilité des autres  villageois n’arrange rien. Pour beaucoup, Adrien symbolise l’ennemi. Il est donc responsable de la mort de leurs fils, de leurs frères, de leurs amants, victimes de ce conflit meurtrier que fut la Guerre 1914/1918. Il cristallise toutes les rancoeurs, toute la haine, toute la honte du peuple vaincu, qui se montre de plus en plus hostile à son encontre…

L’intrigue reprend en grande partie la trame de Broken Lullaby d’Ernst Lubitsch, qui posait, dès 1932, les bases d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne. François Ozon a sensiblement modifié l’intrigue en y ajoutant une deuxième partie, qui se déroule cette fois en France. Quelques mois après le départ d’Adrien, Anna part à sa recherche, en France et se heurte à son tour à l’hostilité des français, eux aussi pleins de rancoeur contre les allemands.  Il faudra du temps, une seconde guerre mondiale et l’amorce du projet de communauté européenne, pour que les deux camps parviennent enfin à coexister.
Mais la paix est une chose fragile. Comme le film le montre, il est toujours plus facile de blâmer les autres que de se remettre soi-même en question, il est plus facile de haïr que de pardonner. Le film de François Ozon est une ode à l’amitié franco-allemande, qui doit être le ciment de l’Union Européenne. Il rappelle aussi que les idées nationalistes et les tentations de repli communautaire n’ont rien apporté de bon au “vieux continent”, ce qui en cette période troublée où les idées d’extrême droite ont le vent en poupe, un peu partout en Europe, est une initiative salutaire.

Cependant, avant d’être un film subtilement politique, Frantz est un très beau mélodrame historique, portée par des comédiens remarquables. Pierre Niney évolue dans son registre de prédilection et n’a aucun mal à restituer le trouble de son personnage, jeune homme fragile et sensible hanté par les horreurs de la guerre. Mais on retiendra surtout la performance de Paula Beer, actrice allemande jusque là inconnue en France, dans le rôle d’Anna, personnage féminin fort, capable de supporter le poids du deuil, du pardon et d’un double mensonge salutaire.  Difficile de ne pas être bouleversés par leur histoire d’amour impossible et par l’étincelle d’espoir qu’elle fait naître dans la grisaille.
La mise en scène de François Ozon, toute en pudeur et en délicatesse, sublime ces performances d’acteurs. Le cinéaste français a remplacé la fugue et l’audace de ses débuts par une grande maîtrise, une maturité qui lui permet de signer des plans d’une précision chirurgicale, des mouvements de caméra au timing parfait et de structurer son récit à la perfection.
A condition que le jury ne soit pas réfractaire à l’idée de primer une oeuvre de facture classique, Frantz pourrait très bien glaner une ou deux récompenses  lors de la soirée de clôture de la 73ème Mostra de Venise, notamment le Prix d’interprétation féminine pour Paula Beer.

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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