Xavier (Bouli Lanners) est psychanalyste. Il s’occupe des têtes et des problèmes existentiels…
Alice (Isabelle Huppert) est prostituée. Elle s’occupe des corps et des fantasmes sexuels…
Tous deux, à leur façon, soulagent leurs clients de leurs maux, de leurs tensions et, au passage, de quelques billets qui leur permettent de s’acheter de beaux objets dont ils n’ont pas vraiment besoin…
A force de s’occuper des problèmes des autres, ils ne pensent plus vraiment à eux… Xavier, blindé contre le malheur humain, a perdu toute notion de désir – autre que matériel – et de sentiment. Alice angoisse de vieillir, de ne plus être encore suffisamment séduisante pour faire ce métier, et dans le même temps, elle aspire à autre chose…
Autant dire que leur rencontre était assez inévitable…

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Sur cette trame scénaristique, Jeanne Labrune et son coscénariste Richard Debuisne ont imaginé une de ces comédies sophistiquées dont ils ont le secret, très écrite, très construite, et en même temps très ludique et espiègle, amusante mais douce-amère, badine et profonde…
Les personnages, qui symbolisent l’intellect et le sexe, auraient pu être caricaturaux, mais ils ne le sont pas du tout. Grâce aux acteurs, déjà, tous deux impeccables. Grâce aussi à la subtilité avec laquelle la cinéaste parvient à les décrire. Xavier et Alice affichent leur mal-être, leur coup de blues existentiel, mais ils n’ont pas réellement plus de problèmes que la moyenne. Ils sont même plutôt bien lotis par rapport à leurs semblables ou au reste de la population… Ils sont chacun indépendants et gagnent très correctement leur vie…
C’est plutôt la société qui est malade, semblent dire les auteurs. Elle est rude, violente, axée autour de l’argent, de la possession, de la domination. Il faut surpasser l’autre, l’écraser, le contrôler pour se sentir exister… Xavier cherche à imiter un de ses confrères, modèle de réussite sociale, sans se rendre compte que le type est totalement imbuvable, hautain, prétentieux, matérialiste et égocentrique. Alice nourrit un complexe d’infériorité par rapport aux gens “ordinaires”, qui exercent des métiers plus respectables qu’elle. Et pourtant, elle est diplômée, connaît parfaitement l’histoire de l’art, est cultivée et raffinée… Elle pourrait tout à fait travailler dans une galerie, ou chez un antiquaire… Leurs complexes et leurs ambitions sont assez absurdes, “sans queue ni tête”…

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C”est un troisième personnage, Pierre (Richard Debuisne lui-même), qui va débloquer la situation du psychanalyste et de la prostituée. Lui est psychiatre, il guérit la folie plutôt que les petites névroses, et s’occupe de patients qui ont bien plus besoin d’affection et d’attention qu’Alice et Xavier.
Mais ce n’est pas par ses compétences professionnelles que le bonhomme, sorte d’ange gardien providentiel, va remettre les deux personnages sur les bons rails.
Plutôt par sa générosité, sa bonté profonde… et un ange, justement. Un ange en bois sculpté par un artiste d’on ne sait quelle époque, pièce de collection pour amateurs fortunés. C’est à l’occasion de la vente aux enchères de cet objet que Pierre et Xavier se rencontrent. Le premier s’est adjugé l’angelot, que convoitait le second, qui a dû se rabattre, bon gré mal gré, sur une autre sculpture. Mais, beau joueur, il lui propose en final d’échanger les objets, car pour lui, seul comptait l’acte d’acheter une des pièces proposées, mise en vente au profit d’une association… Xavier est sidéré de rencontrer quelqu’un doté de cette amabilité et surtout, aussi peu concerné par les considérations matérielles et l’instinct de propriété. Du coup, il fait immédiatement et pleinement confiance au bonhomme, à qui il adressera plus tard Alice, en quête d’un psy…

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Les personnages se croisent donc, et l’ange sculpté, lui, passe de mains en mains… Xavier l’offre à Alice pour la remercier de lui avoir remis les idées en place, en le rudoyant et en lui balançant au visage ses quatre vérités… Il finit par ouvrir les yeux et réaliser que l’argent ne fait pas le bonheur, qu’il est en train de devenir comme ce confrère totalement cynique et égotiste, hermétique à la souffrance de ses patients. Comme celui-ci, qui désinfecte l’air ambiant après le passage de ses patients, Xavier se lave soigneusement les mains après chaque rendez-vous, de manière presque compulsive. Peut-être pour se purifier d’avoir été en contact avec l’argent de ses honoraires, qui lui brûle les doigts, qui lui souille l’âme…
En donnant l’ange à Alice, il se débarrasse symboliquement de son besoin de posséder, de sa cupidité, de son attirance malsaine pour les choses matérielles. Il effectue un acte généreux, gratuit et se libère, au propre comme au figuré, d’un poids…

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Alice, elle, donnera l’ange à Pierre, pour le remercier de lui avoir redonné confiance en elle et lui avoir permis de retrouver sa dignité, bouclant ainsi la boucle…
Son problème, c’est qu’elle a tellement l’habitude de jouer des rôles avec ses clients qu’elle a perdu de vue sa propre identité.
Comme elle a un peu honte de son métier, elle se protège en mettant au point des petites mises en scènes dans lesquelles elle peut jouer un rôle, devenir quelqu’un d’autre… Et même au quotidien, elle se ment à elle-même en incarnant une pseudo- bourgeoise qui se créé un intérieur coquet avec pleins de beaux objets… A quoi bon tout ce cirque? Cela vaut-il la peine de risquer sa vie avec des clients de plus en plus tordus – ayant eux aussi des problèmes avec la violence et le besoin de dominer ?
Au fond d’elle, elle voudrait être reconnue, aimée pour ce qu’elle est vraiment, pour son esprit plutôt que pour son corps. Xavier va lui aussi la secouer un peu, en lui faisant comprendre qu’elle est trop élégante, trop raffinée pour rester enfermée dans son métier de prostituée… Et c’est un des patients de Pierre, un handicapé mental ayant de grandes difficultés de communication, qui va réussir à lui apporter l’écoute et la compassion dont elle avait besoin…
En donnant l’ange à Pierre, elle accepte de laisser derrière elle, en quelque sorte, son côté enfantin. Ce qui équivaut à abandonner ce métier – dans lequel il lui arrivait fréquemment de jouer les Lolita pour clients pervers – et d’accepter de laisser l’enfance derrière elle, donc d’accepter son âge, se résigner à vieillir…
Elle aussi se débarrasse de ses boulets…
D’ailleurs, quand elle reçoit l’ange, elle se rend compte de l’aberration que constituait la démarche d’acheter tous ces beaux objets un peu vains, qui ne parviennent pas à la rendre vraiment heureuse…

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En fait, alors que l’on pensait que le film allait tourner autour de la lutte entre le corps et l’esprit, il joue plutôt sur l’opposition entre l’être et l’avoir, démontrant pleinement que la vraie richesse ne se trouve pas dans les coffres-forts et les luxueux appartement, mais au fond de nous-mêmes…
Le siège du bonheur ne réside ni dans l’intellect, ni dans le sexe, mais bien dans le coeur. Il faut réussir à s’aimer soi-même, à aimer les autres, à donner et à recevoir de la tendresse, de l’amour… Comme disait Souchon, nous sommes une “foule sentimentale attirée par les étoiles, les voiles, que des choses pas commerciales…

Sans queue ni tête n’est justement pas un film “commercial”, mais une oeuvre subtile, fragile et délicate qui mérite le détour, pour la finesse de son écriture, l’élégance discrète de sa mise en scène et le jeu très juste de ses acteurs…
A découvrir, donc…

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Sans queue ni tête Sans queue ni tête
Sans queue ni tête

Réalisatrice : Jeanne Labrune
Avec : Isabelle Huppert,  Bouli Lanners, Richard Debuisne, Sabila Moussadeck, Valérie Dréville
Origine : France, Belgique
Genre : éloge du coeur
Durée : 1h35
Date de sortie France : 29/09/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Ouest-France
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