– Infinity 8 (Tomes 4 & 5) / Density (Tome 1), de Trondheim & Co –

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En ce début d’année, je vous invitais chaleureusement à embarquer à bord l’Infinity 8, nouveau projet de Lewis Trondheim associé au grand Olivier Vatine, où les deux lascars s’entourent de toute une bande de prestigieux scénaristes et dessinateurs afin de rendre hommage aux bédés SF des années 90… tout en s’amusant allègrement avec les codes du genre !

Alors forcément, on retrouve l’héroïne à la poitrine opulente et aux vêtements – disons – peu couvrants, les doubles pages à la sauce « space-opéra-qui-en-met-plein-la-vue », et bien sûr un scénar’ de base à l’humour aussi fun et premier degré que décomplexé. Pour autant, comme d’habitude avec le père Trondheim, il faut savoir lire un minimum entre les lignes pour savourer la vraie valeur de cette expérience. Déjà, le principe de base : le capitaine de l’Infinity 8 possédant le pouvoir de remonter le temps de 8 heures et de rejouer 8 fois la boucle à des protagonistes ne gardant aucun souvenirs des phases précédentes ; c’est donc 8 approches totalement différentes de la même histoire que nous aurons l’occasion de découvrir au fil des 8 tomes qui constitueront la série. Sauf que, contrairement aux personnages, nous, lecteurs, nous garderons dans un coin de la tête les info’ récoltées avant chaque nouveau « reboot » du capitaine, tissant ainsi petit à petit la trame globale de l’intrigue principale, réalisant alors l’ampleur de ce que le duo nous a réellement concocté.

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Autre point d’intérêt se révélant au fil des opus : si Vatine reste le Grand Créateur de cet univers en en dictant les grandes lignes visuelles, et que Lewis règne sur la « continuité dialoguée » offrant une solide cohérence à l’ensemble, chaque « invité » saura apporter sa touche personnelle à son album, lui offrant ainsi une personnalité propre et originale. Et si les premiers tomes posaient les bases de ce vaste projet sans que l’on puisse forcément déceler ce qui venait de tel ou tel auteur, on le discernera plus aisément dans les suivants : le côté politique de Kris – auteur « Futuro’ » par excellence – sur sa « Guérilla Symbolique », la touche disco-funky seventies kitch et colorée qu’y apporte Martin Trystram, l’amour pour la série B suintant de l’invasion zombie orchestrée par Davy Mourier et Lorenzo de Felici, et les petits clins d’œil perso’ qui s’ajoutent finalement au cahier des charges de leurs successeurs, comme le gourou largement inspiré de Jodorowski qui rejoint ce vieux dragueur lourdeau de lieutenant incarné par l’inénarrable Killofer depuis les premières pages de l’aventure !

Au vu de la tournure que prend cet alléchant et monstrueux projet, c’est donc avec grande impatience que nous attendons la suite de cette enquête au long cours !

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Enquête au long cours et monstrueux projet, donc, qui n’empêche pourtant pas notre increvable Lewis de s’atteler à d’autre petites expériences en parallèle, et notamment de continuer sa balade vers la BD de genre en allant tranquillement marcher sur les plates-bandes de ses collègues d’outre-Atlantique.
Après ceux de la science-fiction, c’est en effet les codes du comics US qu’il emprunte pour mieux se les approprier dans le premier tome d’une trilogie éditée sous le label « Comics Fabric » de Delcourt : Density.

Tous les ingrédients sont là : les grands espaces américains, les grandes mégapoles américaines, de l’action à l’américaine avec des explosions à l’américaine, et bien sûr, l’élément principal du comics mainstream américain : les superpouvoirs, l’héroïne pouvant à loisir moduler sa densité corporelle pour se rendre aussi légère que l’air ou aussi solide que la pierre !

Et non content d’user scénaristiquement des figures imposées, Trondheim confie la réalisation graphique de son histoire au duo Stan & Vince – épaulés par Walter à la mise en couleur – pour un résultat des plus bluffants : le trait vif, le découpage dynamique ; on pourrait croire les pages de Density tout droit sorties d’une production Marvel… mais avec ce petit arrière-gout bien de chez nous, quand-même : faut pas déconner !

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Car si ça ressemble à du comics, que ça a le goût du comics, l’odeur du comics, c’est au final un peu plus que du simple comics de base ! Loin de n’être qu’une énième itération super-héroïque, ce premier tome de Density est bel et bien un album d’auteur(s) ; tant au niveau du dessin – où l’on sent une sorte de sensibilité, un soin du détail, du petit truc en plus – que du scénario : l’héroïne-malgré-elle, qui se prend sur le coin du bec un-grand-pouvoir-impliquant-de-grandes-responsabilités alors qu’elle n’avait rien demandé rappelle forcément le donjonesque Herbert ou encore Ralph Azham, héros trondheimiens par excellence ; le frangin, geek franchouillard et un brin couard, n’est pas loin d’être la version humaine du pote Richard des aventures lapinesques ; et bien sûr, les dialogues – véritable marque de fabrique de Lewis – sont aussi cyniques que drôles, aussi faussement premier degré que putain de bien ciselés !

A l’heure où Trondheim se permet un joli pied de nez en ressuscitant son personnage iconique de Lapinot dans un album « 48cc » édité par l’Association (!!!), quel plaisir de voir que le bonhomme ne tourne pas en rond sur lui-même – ruminant et ressassant ses vieilles marottes – et continue au contraire d’explorer de nouveaux terrains tout en s’amusant encore et toujours avec ce génial média que lui comme nous chérissons tant : la Bande Dessinée !
Merci Lewis…

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* Infinity 8, Guérilla Symbolique (tome 4), de Lewis Trondheim, Kris & Martin Trystram (ed. Rue de Sèvres).
* Infinity 8, Le jour de l’Apocalypse (tome 5), de Lewis Trondheim, Davy Mourier & Lorenzo De Felici (ed. Rue de Sèvres).
* Density (tome 1/3), de Lewis Trondheim, Stan & Vince (ed. Delcourt).

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