– Interview de Nicolas Otero (Le roman de Boddah) –

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En cette rentrée, un ouvrage se pose là du haut de ses 150 pages : Le roman de Boddah , comment j’ai tué Kurt Cobain, de Nicolas Otero.
Plus qu’une simple biographie imagée, Nicolas adapte le roman d’Héloïse Guay de Bellissen, à travers sa relation fusionnelle avec Courtney, et surtout avec le fameux Boddah.
Nicolas réussit à retranscrire toute la fragilité de ce génie qui a rejoint « les maudits de la 27eme année », sa vie sur le fil du rasoir, le chaos qui l’habite. Ce récit est mis en perspective par un trait d’une pureté déconcertante.
Celui qui aime les graviers et ne tient pas l’alcool bio, l’œil vif ou presque se livre lors d’une interview malouine :

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Vinz : Nicolas, on se retrouve 3 ans après notre première Interview au Quai des Bulles (click), et on peut dire que tu n’as pas chômé depuis. Je te rencontre aujourd’hui pour la sortie du très salué et réussi Roman de Boddah.
Comment es-tu arrivé sur ce projet, et comment, à l’inverse de ce que tu faisais jusque-là, t’es-tu retrouvé seul aux commandes ?

Nicolas Otéro : L’envie, je l’avais depuis longtemps, après je n’avais pas le courage, il m’a donc fallu pas mal de temps pour me dire que j’en étais capable, et en plus, je n’avais pas la matière. Mais bizarrement, tout est parti d’un rêve sur Boddah, dans une période assez sombre ; rêve qui m’a poursuivi pendant 15 jours, avec des images qui ne partaient pas. Ce rêve ne se terminait par un entrebâillement de porte de placard, et moi j’assistais à ça, je tombais nez à nez avec une chevelure blonde ensanglanté au sol. Je suis tombé par hasard sur Héloïse, je savais qu’elle était en train d’écrire le bouquin et tout c’est éclairé pour moi : je savais que c’était cette histoire que je voulais raconter.
Je l’ai contactée par téléphone alors que le bouquin n’était pas terminé pour lui dire que je voulais adapter le livre sur lequel elle bossait. Je lui ai dit que, bien sûr, je ne l’avais pas lu (car pas terminé et donc pas sorti) mais que par contre je l’avais rêvé. C’était une demande un peu farfelue, mais elle avait un côté suffisamment rock pour l’accepter ! On s’est rencontrés par la suite sur Paris pour voir comment on pouvait imaginer la chose, elle a pu constater que ça me brulait de l’intérieur de faire ce bouquin.
Au départ, je voulais le faire avec elle, par peur de me lancer en solo, mais elle était déjà sur l’écriture de son prochain roman, donc ça n’a pas pu se faire. Mais j’ai eu le soutien de Glénat derrière pour me lancer seul dans cette aventure, donc j’y suis allé !

V. : Il y a-t-il une grande différence d’approche au niveau du travail que ce soit quand on adapte un roman ou que ce soit pour un récit structuré comme peut l’être Uchronie(s) ?

N.O. : Bah oui, déjà il y a eu plus de boulot, car il a fallu casser la structure, redialoguer… mais j’ai kiffé le faire !
Pour toutes mes productions précédentes, on me donnait le scénario clef en main, donc quelque part j’étais un « bon élève », je me mettais au service du texte. Là, le fait d’être tout seul aux manettes, je me suis dit : « fais toi plaisir, raconte l’histoire que tu veux raconter, et de la façon dont tu as envie de le faire ». Ça faisait suffisamment longtemps que j’en avais envie pour que je me lance à l’eau. De toute façon le bouquin était tellement bien, il me parlait tellement parfaitement, que suis parti sur ce projet d’une traite : les 150 pages, je les ai faites en 8 mois ! C’était un accouchement, presque…

V. : Tu avais totale liberté sur l’adaptation ou il fallait coller au plus près au texte déjà existant ?

N.O. : Je n’étais obligé de rien, Fayard m’a juste demandé de fournir un semblant de synopsis et les premières pages, car moi je savais où je voulais aller une fois que j’avais déstructuré le bouquin. Eux, voulaient avoir confirmation que je ne trahirais pas l’esprit de l’auteur. J’ai donc envoyé des planches, et j’ai eu un retour plutôt emballé, donc je me suis dit que c’était parti. J’ai voulu mettre les choses au point avec les gens de chez Glénat en leur disant que les mecs venant de la littérature n’aveint rien à dire sur mon dessin car ils ne connaissaient pas le job. Sinon, si c’est pour être pollué au moment de la réalisation du bouquin, ce n’était pas le jeu.

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V. : Sur le sujet même, sans dévoiler ton âge canonique, tu as du prendre en plein fouet la vague grunge : quelle était ta vision de Nirvana et Kurt ? Quelle facette de son histoire t’as donné envie d’adapter le roman ?

N.O. : Le sujet me ramenait à une période que j’adorais, j’ai vu Nirvana en concert, c’était la période 16/20 ans, j’étais déjà parti de chez les parents, j’avais déjà ma vie rock & roll à l’époque… donc, le sujet m’a remémoré plein de souvenirs de potes, de concerts, de clips qu’on avait vu, de sons pris dans la gueule, d’attitudes… mode cheveux crades !
Pour moi ce sont des mecs qui ont fait de la musique sans concession et qui disaient à l’industrie du disque : « Que ça vous plaise ou non, nous on est là et on le fait », et moi, c’est ce que j’ai voulu retranscrire dans le bouquin : cette énergie, cette envie.

V. : L’adaptation a-t-elle changé ton point de vue sur Kurt ?

N.O. : Pas vraiment : je n’ai jamais été le fan ultime, je n’avais pas les posters, les t-shirts, donc le prisme n’était pas déformé entre l’image que j’avais de lui et ce que l’adaptation me donnait à voir. Ce que j’aimais dans le livre – et l’angle sous lequel j’ai voulu raconté l’histoire – était une putain d’histoire d’amour, bien racontée, intense, dramatique… qui était aussi belle que glauque et violente. Il y avait toute une palette de sentiments. On le dit dans le bouquin : c’était le miroir cassé l’un de l’autre. Ils étaient complémentaires : elle, hyper masculine, puissante, dominatrice, lui, viril mais en même temps avec ce côté féminin, hyper fragile. Ils étaient faits pour se rencontrer.
J’ai redécouvert de petites anecdotes que j’avais oubliées, comme leur live à « Nulle part ailleurs ». J’avais été marqué par leur passage en France, c’est la seule fois où on les a vu arriver en costard / cravate, on aurait dit des VRP. Ils étaient super beaux, mais avec un son crade en plus. L’anecdote du plafond en plus, c’est authentique (NDLR : le plafond du studio s’est effondré pendant leur représentation) !

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V. : Ton ami imaginaire n’a pas été jaloux que tu dessines celui d’un autre ? Vous avez des projets ensemble ?

N.O. : Il est toujours là… mais il me demande que tu fermes ta gueule sur ce sujet !
V : Houlà, je n’insiste donc pas sur cette question, héhé !

Suivante, donc : j’ai trouvé un très net changement dans le trait de ton dessin, tu peux nous en parler ? Est-ce juste pour cet album ou une nouvelle direction adoptée ?

N.O. : Je crois que maintenant que j’ai fait Boddah, l’évolution est naturelle, elle s’est faite. Je commençais à ronronner graphiquement, limite trop à mon goût. Donc ça été l’occasion de me mettre dans cette zone d’inconfort et de danger, et de me dire : « putain, qu’est ce qui graphiquement va me faire du bien et va me mettre à l’aise ? ». Je me suis souvenu de mes cours de modèles vivants, et surtout des poses rapides. A l’époque, on avait de cours où, en 10 secondes, il fallait choper la pose du mec : c’était très « jeté » et j’adorais ça. J’avais laissé tomber ça pour la réalisation des bouquins, et là, je me suis dit que c’était le moment de réessayer cette méthode. Le noir et blanc me paraissait un peu trop austère, je suis tombé quasiment par hasard sur une gamme de feutre à l’alcool qui ont un rendu plus chaleureux et qui me permettait d’avoir plus de richesse dans le graphisme. Comme pour le reste de ce bouquin, tout s’est fait naturellement, parce que c’était là. C’est pour ça que j’ai pris un pied incroyable pendant ces 8 mois… un accouchement qui se passe bien !

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V. : Pour ceux qui te suivent sur Facebook, on peut voir qu’entre deux provocations comme tu les aimes, tu es quelqu’un d’intéressé par la politique, par le monde qui t’entoure… Pourrais-tu aborder ce type de sujets d’actualité dans un livre ou tu attends les régionales, d’abord ?

N.O. : C’est marrant que tu me demandes ça, car on a monté un projet avec Jean-Claude Bartoll qu’on va proposer incessamment, et qui évoquerait un peu les institutions politiques.
Il y a plein d’aspects du monde qui ne me plaisent pas en ce moment, et je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas-là. Mais je n’ai pas attendu : regarde Amerikkka, c’était déjà politique, et ça me tenait à cœur… et ce, même si c’était de l’autre côté de l’Atlantique.

V. : Ressens-tu l’envie de participer à des projets communs comme La Revue Dessinée, ou te sens-tu plus à l’aise sur tes choix solos ?

N.O. : Je suis ouvert à tout : toujours à la recherche de projets qui, d’une part, puissent me faire vibrer suffisament pour que je bosse 8 mois dessus, et, d’un point de vue matérialiste, m’aident à faire vivre ma famille.

V. : Il y a quelques années, lors de la précédente interview, tu évoquais un dixième tome d’Amerikkka sur la genèse du service : où en es-tu du projet ?

N.O. : Il faut qu’on en parle avec Roger Martin, mon scénariste, suite à la reprise douloureuse des éditions Emmanuel Proust par Paquet. Moi, j’aimerais bien, car on est allés suffisamment loin pour sortir cette série, et on se dit : « autant la finir correctement ». C’est dans les tuyaux, ça me tient à cœur, et on l’avait annoncé, ce dixième tome, on va donc tenir notre engagement.

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V. : Lors de cette même Interview, tu évoquais aussi l’envie de faire un projet sur la paternité de façon différente : cette envie a-t-elle progressé ou est-elle en stand-by ? Le daron qui est en toi, pourrait-il faire une BD jeunesse sans fist, sans alcool ni drogue ?

N.O. : C’est fort possible, car je ne veux me fermer à rien : je veux faire une BD un peu cul, une BD jeunesse… je veux essayer plein de trucs différents !
Je n’ai pas lâché l’affaire sur le sujet de la paternité, après, il m’est arrivé tellement de choses ces trois dernières années, que je n’ai pas réellement eu le temps de me poser pour faire avancer ce projet. Mais ça reste là, car c’est un truc que j’ai vécu de façon assez intense. Je veux faire un projet le plus universel possible, mais ça reste malgré tout la façon dont moi j’ai vécu les grossesses de ma femme, les péripéties d’après…

V. : Peux-tu nous toucher deux ou trois mots au sujet d’Amazonia et Confessions d’un enragé ?

N.O. : Confessions d’un enragé, ça parle de ma vie, en fait, mais après, j’ai brodé une histoire dessus… mais il y a quand-même des gros apports autobiographiques : j’ai été attaqué par un chien enragé quand j’avais quatre ans, au Maroc, et ça forge la personnalité !
Amazonia est un projet avec Jean-Claude Bartoll, quelque chose de plus humaniste qui parle des Jivaros, de ce qui se passe en Amazonie en ce moment, et dont tout le monde se fout… autant de la déforestation !
Mais pour l’instant, bon Quai des Bulles, amigo baltringue !

V. : Merci, bon festival à toi aussi… et à plus tard autour d’un verre de rhum !

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Le roman de Boddah, de Nicolas Otero, d’après Héloïse Guay De Bellissen (ed. Glénat).

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