– Interview de Sylvain Ricard (La Revue Dessinée) –

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Il y a peu La Rubrique-à-Brac investissait la merveilleuse cité de Saint Malo et son festival Quai des Bulles, l’occasion pour moi de rencontrer Sylvain Ricard, l’un des fondateurs de La Revue Dessinée… OVNI débarqué il y a un peu plus d’un an dans nos bibliothèques, rencontre trimestrielle et haute en couleurs du journalisme et de la BD, foisonnant de sujets à la fois politiques, sociaux, culturels, très instructifs, toujours dans l’actualité et souvent de manière décalée.

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Vinz’ : Après un an de LRD, comment situez vous le bébé par rapport à l’idée de base ?

Sylvain : Ca dépend où on place le curseur : si on le place au moment où on a décidé de faire la revue telle qu’est conçue au numéro 1, on n’en est pas très loin, plutôt même plus belle que ce qu’on imaginait. C’est grâce à notre directeur artistique Elhadi Yazi.
Elle est de plus en plus riche au niveau du contenu parce qu’on affirme vraiment la ligne éditoriale et que l’on a plus de moyens, et donc des choix plus importants qu’au début
Si on se place par rapport à l’idée originale, qui était de faire une revue numérique avec une compilation annuelle des meilleurs sujets, alors là, on en est très loin… et c’est peut-être mieux ainsi.

Vinz’ : En parlant de numérique, le développement de l’appli’ « LRD » sur un autre support que l’Ipad est elle envisagée ? Quel est l’apport du numérique ? Quelle est la part du lectorat ?

Sylvain : Il faut savoir qu’une appli’ Ipad, ça coute extrêmement cher à fabriquer, et que si on commence à faire des applis dédiées sur toutes les plateformes, on ne va pas s’en sortir. Surtout vu ce que le numérique nous rapporte : pour ainsi dire rien.
On a envisagé d’encapsuler des éléments de la revue, un peu sous forme de PDF, qui seraient consultables beaucoup plus facilement sur les différents supports numériques, toujours à des prix relativement bas. Mais pour le moment, c’est plus en phase de réflexion que de développement.
L’application est bien vue, bien faite et très simple d’utilisation, sauf que ça coute 500 euros par trimestre et que ça en rapporte 500. Pour le net, ce n’est pas comme pour la revue en mode papier, où le relai peut se faire via les librairies, l’affichage… C’est une chose que l’on ne sait pas encore bien faire, communiquer sur la présence de l’application hors du lectorat de base.

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Vinz’ : Comment se fait le choix des sujets pour LRD ?

Sylvain : Nous procédons à un gros écrémage : on reçoit 80 propositions par trimestre et on en publie 5 ou 6. Et dans ceux-ci, il y a souvent un sujet que l’on a initié nous-mêmes. On essaye de suivre notre ligne éditoriale qu’on affine petit à petit, et que l’on pourrait définir comme étant de donner aux lecteurs des sujets qui leur permettent de mieux appréhender la société dans laquelle ils vivent. On s’approche du sujet, mais on essaye d’avoir une vue globale, macroscopique des problèmes que l’on aborde, et d’avoir un angle original.
Le choix des sujets se fait en comité éditorial, nous sommes trois à lire tous les sujets (Franck Bourgeron, David Servenay, et moi-même).
Il y a dans la revue une répartition entre les sujets sérieux (le nationalisme, par exemple) et des chroniques plus légères. La chronique est très importante car elle permet de se détendre un peu entre deux sujets qui ne sont pas forcement drôles : ça casse le rythme de lecture, ce qui est important dans une revue. Et comme elles sont plus courtes, quand on a cinq minutes de disponibles, on va plutôt se pencher sur eux, alors que quand on a deux heures, on va lire les sujets plus sérieux. On n’a pas toujours l’envie ni l’humeur de lire un sujet sérieux (ou à l’inverse, l’envie de rire), donc cet équilibre est un bon compromis. La revue est un mélange qui permet d’aller picorer à droite ou à gauche en fonction de ce que l’on a envie de lire.

Vinz’ : Quel est le retour des lecteurs ? Pensez-vous pouvoir toucher encore plus de monde ? Les abonnements et réabonnements se portent ils bien ?

Sylvain : Nous n’avons pas encore touché tous les publics : je pense qu’il y a une grande partie du public susceptible d’être intéressé par LRD mais qui pense ne savoir lire de la BD, et qui ne vont même pas essayer de nous lire, juste parce que c’est de la BD. Ce public-là, qui se trouve dans les librairies généralistes, il faut aller le trouver.
Sinon, on a un très bon retour sur la revue, ce qui se traduit par un fort taux de réabonnements et par un nombre croissant d’abonnés.

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Vinz’ : Comment se fait le choix des auteurs pour les duos (journalistes/ dessinateurs) ?

Sylvain : Quand ce sont les journalistes qui nous apportent des sujets, nous choisissons les dessinateurs, parce que l’on croit savoir de leur capacité graphique pour illustrer tel ou tel sujet, et éventuellement en fonction de leur culture générale, politique.
Il y aussi des dessinateurs qui veulent travailler avec la revue et qui se proposent spontanément à nous, ou des journalistes qui nous disent vouloir travailler avec tel dessinateur.

Vinz’ : Quel est le timing de préparation pour un numéro ?

Sylvain : On vient de sortir le numéro 5, nous sommes rentrés dans la phase de fabrication du 6, des gens travaillent déjà sur les sujets du numéro 7, et nous initions les sujets du numéro 8 ou 9… après, ça dépendra de la rapidité des dessinateurs. Le numéro 7 est quasi prêt en termes de contenu éditorial, on sait déjà quels auteurs vont publier quoi et sur quelle pagination. Pour le 8 et le 9, c’est pour le moment encore très flou.
C’est un travail continu, sur le long terme… à l’exception de la période de fabrication, qui est plus intense pour nous : passe de 3 à 8 personnes, c’est une vraie fourmilière !

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Vinz’ : Est-ce que l’évolution du projet a permis de travailler avec des dessinateurs qui n’étaient pas convaincus au départ ?

Sylvain : De grands dessinateurs ne font pas forcement acte de proposition, mais ils acceptent de travailler avec nous, en particulier pour les couvertures. Au tout début, ce n’était pas évident de les convaincre, maintenant, en ayant démontré que l’on faisait du travail de qualité, c’est plus facile. Au début, on n’avait rien de concret à leur proposer, à leur montrer, les dessinateurs ne savaient pas à quoi cela allait ressembler. Des projets qui restent dans l’air pendant des années, il y en a plein, donc les auteurs étaient un petit peu prudents… et ils avaient raison.

Vinz’ : Est-ce dur de ne pas politiser la revue et de n’avoir qu’un œil informatif ?

Sylvain : Nous faisons confiance au lecteur pour faire la part des choses. Nous ne sommes pas une revue militante : individuellement, nous avons des convictions, c’est notre problème, mais dans le deal passé entre nous et avec les auteurs, ce que l’on cherche à avoir, c’est un point de vue journalistique, et donc d’être le plus objectif possible. Même si dans le traitement du sujet, le point de vue des auteurs ressortira d’une manière ou d’une autre. Quand on parle d’Aube Dorée, même si on essaye d’être relativement objectif, nous faisons confiance aux lecteurs pour se faire leur propre idée.
Pour résumer, nous sommes une revue concernée, citoyenne, mais pas militante.

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Vinz’ : En librairie ou sur le net, on a assisté à la sortie simultanée de plusieurs revues (AAARG, Papier, Professeur Cyclope, Mauvais Esprit…), est-ce une nouvelle tendance BD ou ces projets arrivent-ils au même moment par pure coïncidence ?

Sylvain : Je pense que cela correspond à un ras le bol un peu général des auteurs et une envie de faire quelque chose par soi-même. Ces revues correspondent à autant d’initiatives d’auteurs de se prendre en main, ces projets sont des choses innovantes, et c’est très bien. C’est un peu comme dans les années 90, lorsque l’on a vu apparaître toutes ces maisons d’édition lancées par des auteurs : cela correspond à une époque, une espèce de cycle de 20 – 25 ans. C’est toute une génération de gens qui ont commencé à la fin des années 90 ou au début des années 2000 : nous avons tous entre 38 et 50 ans, et ça correspond à une étape de maturité, de perception de nos métiers qui ne nous convient plus vraiment.
J’espère que l’on va être suffisamment nombreux à survivre… il y a déjà Mauvais Esprit qui a cessé, mais j’espère que les autres vont continuer.

Vinz’ : Et à part la revue, as-tu des projets perso’ ? Ou peut-être d’autres interventions prévues dans LRD ?

Sylvain : Nous ne voulons pas intervenir de façon récurrente dans LRD – ce n’est pas la revue des fondateurs – mais en fonction des opportunités, il peut nous arriver de le faire. Pour l’article sur Aube Dorée, par exemple, j’ai pris la relève d’une autre personne s’étant désistée car il me semblait essentiel que l’on traite ce sujet.
Mais à côté de LRD, je recommence tout juste à développer des scenarios que j’avais initié il y a quelques années, sans en écrire de nouveau… Je n’ai plus le temps ni l’envie.

Vinz’ : En tout cas, félicitations pour avoir initié cette belle aventure, et bonne chance pour la suite.

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