Acteurs majeurs du paysage bédégraphique indépendant, Sacha Goerg et Pierre Maurel figurent parmi les auteurs qui me touchent le plus en ce moment. A tel point qu’ils parviendraient presque à me faire lire de la BD via un écran… presque…
Je dois bien avouer que leurs projets respectifs paraissant épisodiquement sur la très attirante revue en ligne Professeur Cyclope me faisaient méchamment de l’œil, mais en tant que vieux con un poil réac’ sur les bords (si, si, j’avoue), j’abandonnais au bout de quelques pages seulement… bien triste, néanmoins, de ne pas pouvoir découvrir la suite de ces récits prometteurs.
Heureusement, le bon Professeur Cyclope ne laissant personne sur le bord du chemin – pas même lesdits vieux cons réac’ –, il s’associe aujourd’hui à Casterman et Arte Editions pour éditer ces deux œuvres « à l’ancienne », comme qui dirait : sur du vrai papier tout doux, reliées en deux beaux albums qui sentent bon l’encre et la colle !
L’occasion, donc, de poursuivre dans d’idéales conditions – affalé dans mon fauteuil Louis XVI et tournant les pages du bout de mon doigt humecté de salive – ces histoires dont l’introduction m’émoustilla fortement alors !
D’autant que l’une comme l’autre s’amusent à vous titiller agréablement les nerfs : malgré leur jolis atours visuels – que ce soit les aquarelles douces et délicates de Sacha Goerg ou le trait rond et souple de Pierre Maurel – ces histoires vous entraineront sur des terrains loin d’être si inoffensifs.
Dans Le sourire de Rose nous découvrirons Desmond, un loser un poil dépressif se retrouvant coup sur coup sans emploi et sans femme ; celle-ci ayant préféré partir au bras d’un homme plus sûr financièrement, sans oublier – bien évidemment – d’embarquer son fils au passage.
Le pauvre Desmond, trop triste pour se battre, aurait plutôt tendance à baisser les bras et subir, mais c’est sans compter sur Rose, une jeune fille sur qui il tombera par hasard et qui saura le secouer pour qu’il fasse valoir ses droits auprès de son gamin… ah, oui : Rose est également très mignonne, ce qui ne gâche rien !
Le point de départ d’une énième comédie sentimentale ? Oui, mais pas que, car bien vite débarqueront deux mystérieux gaillards dans un van noir, bien décidés à chercher des noises à la pauvre Rose… et par la même, au pauvre Desmond, soudainement pris d’un élan de preux chevalier. De là, la comédie sentimentale glissera tout doucement vers le thriller, à grands renforts de menaces, intimidations, poursuites, kidnappings, et autres séquestrations.
Postulat de base plus ou moins similaire pour Iba, où nous suivrons le quotidien d’Elise au lendemain d’une déchirante rupture. Un quotidien morne et tristoune qui risquerait fort de la mener droit vers la dépression, à moins qu’Iba, son amie imaginaire d’enfance, ne réapparaisse pour régler ces petits soucis… sauf qu’au fil du temps, la mystérieuse Iba deviendra de plus en plus envahissante, et que ses solutions aux problèmes d’Elise se révèleront diablement radicales.
Grâce à une alternance de flashbacks revenant sur les origines troubles d’Iba, et de scènes au présent pointant ses agissements morbides, Pierre Maurel instaurera une ambiance malsaine et carrément flippante, non sans rappeler les classiques du suspens et de l’épouvante tels que Psychose.
Deux chroniques du quotidien tout-à-fait dans l’air du temps (il ne faut pas oublier que les deux lascars ont été à la bonne école des Autres Gens), avec ce petit quelque chose en plus qui les rend hautement originales et captivantes.
* Le sourire de Rose, de Sacha Goerg (ed. Professeur Cyclope / Casterman / Arte Editions).
* IBA, de Pierre Maurel (ed. Professeur Cyclope / Casterman / Arte Editions).
PS : Enfin, rendons à César ce qui lui appartient, et malgré mon éloge du livre-objet, avouons que les versions numériques de ces œuvres – totalement pensées pour le média – font également preuve de grande qualité… comme tout ce que j’ai eu l’occasion de lire chez le Prof’ Cyclope, d’ailleurs !