– Interview de Cha & El Diablo (Pizza Roadtrip) –

Le festival Quai des Bulles fut une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…
…les auteurs du jour seront Cha et El Diablo, auteurs de Pizza Roadtrip, paru en septembre chez Ankama Editions.

 

Dans le coin gauche, la señorita Cha, pionnière de la blogosphère qui a su s’imposer dans cet univers impitoyable grâce à un style explosif et sans pareil : sa punkitude séduisant les durs, les vrais ; sa touche de rose, rassemblant les minettes en quête de kawaïtude…

Dans le coin droit, el señor El Diablo, génial scénariste d’œuvres hip-hop grâce auxquelles il a su hisser la culture de cité au top de la mode, ambassadeur sans pareil récoltant les louanges jusqu’au sein du temple de la branchitude, Télérama

Deux univers que tout semble opposer, mais qui ont pourtant fini par se rencontrer pour nous offrir une des plus surprenantes bédés de la rentrée !

 

EL Diablo : Nos deux univers ne s’opposent pas forcément : la culture Punk et Hip-Hop, c’est deux cultures qui ont quand même vachement de points communs, deux cultures un peu subversives.
Si on grossit un peu le trait, on peut dire que l’une vient plutôt de Londres, et l’autre plutôt de New York, mais y a pas mal de trucs qui se ressemblent, c’est pas du tout antinomique. Même si j’aime pas trop le terme, on peut dire dans les deux cas que c’est une street culture, une culture de la rue.

Paka : Et au niveau BD, quelles seraient vos références, vos influences…?

ED. : Moi, mes références BD, elles sont très variées. Premièrement, t’as certains français que je lisais quand j’étais jeune, ça allait de Reiser à Vuillemin, en passant par Gotlib. C’est ce qui m’a donné envie de faire de la bédé quand j’étais minot.
Et puis ensuite y a tous les indés américains, comme Crumb, Joe Sacco, Gilbert Shelton… toute cette école-là, quoi. Et à côté de ça, j’lis pas mal de comics, mais des bons comics uniquement, surtout ceux écrits par Alan Moore.
Sinon, dans ma jeunesse, j’ai aussi beaucoup lu l’Echo des Savanes.
Mais bon, c’est des références, hein, c’est pas forcément ce que moi je fais.

Cha : Moi, j’ai été élevée par la BD franco-belge. On lisait ça dans la p’tite bibliothèque municipale de mon bled : y avait que les Tintin, les Boule et Bill, et les Asterix… Donc, c’est vraiment avec ces classiques du franco-belge que j’ai grandi.
Et un peu plus tard, quand j’étais ado’, y a eu plein d’autres influences : j’ai été attirée par le manga – genre Akira –, ou aussi les Tank Girl, et du coup mes influences ce sont un peu diversifiées.
Je pense que j’ai lu pas mal de trucs assez variés, et que ça peut se ressentir dans mon style : c’est pas du franco-belge, c’est pas du manga… c’est un peu tout ça !

Pk : Cha, tu es devenue mondialement célèbre grâce à ton blog chabd.com, mais dessinais-tu déjà beaucoup avant, ou au contraire, est-ce le blog qui t’a poussée à dessiner tant ?

Cha : En fait, je dessinais déjà vachement avant le blog, et quand j’ai eu à internet à la maison – parce que je fais partie de la génération qu’a pas grandie avec internet – c’est venu assez naturellement de mettre mes bédés en ligne. C’était l’époque où les blogs commençaient à voir le jour, et avec Laurel et Mélaka, on a été dans les premières à créer les blogs BD en France.

Pk : Et toi, tu viens plus du fanzine et du mag’, non ?

ED. : En fait moi j’faisais déjà de la BD quand j’étais gamin, j’dessinais beaucoup beaucoup beaucoup, et je savais dès très jeune que j’allais devenir dessinateur de bande dessinée… comme quoi, tu vois : quand on veut on peut !
Après, j’ai fait de la BD pendant 3-4 ans – notamment au Psykopat, de 91 à 93 – mais ça m’a bouffé, alors j’ai arrêté et j’ai fait plein d’autres trucs, dont la série Lascars où j’étais au scénar’.
Donc, là, depuis 4-5 ans, je reviens tout doucement à la BD : j’ai genre 6 ou 8 albums derrière moi… Monkey bizness, En mode rétro, la BD avec Salch… presque introuvable !

 

Pk. : A part En mode rétro, qui est un recueil de planches réalisées dans les années 90, on te retrouve surtout en tant que scénariste… pas envie de reprendre tes pinceaux ?

ED. : J’y reviens doucement, ouais. Je me suis remis à dessiner assez récemment, j’ai déjà pondu 50 et quelques pages, mais bon, c’est de l’histoire drôlasse, on va dire, du dessin instinctif…
Ça reste dans la même veine qu’En mode rétro, sauf que dans cette nouvelle bédé, je parle quand même beaucoup de mes problèmes actuels de père de famille quadragénaire, tu vois ?

Pk. : Et la rencontre avec Cha, ça s’est passé comment ?

ED. : Sur le projet Pizza Roadtrip, j’avais filé le scénar’ à Audrey Bonnemaison, et elle me demandait si j’avais un nom en tête pour le dessinateur. Moi, je venais de découvrir le travail de Cha, et je lui ai dit que j’aimerais bien bosser avec cette nana, mais que je la connaissais pas.
Mais bon, comme Audrey a tous les numéros de téléphone de tous les artistes de la terre entière, elle a contacté Cha, qui a lu le projet, ça l’a intéressé, on s’est rencontrés, et le mois d’après on taffait dessus…
…tout simplement, j’ai envie de dire : de façon rapide et efficace !

Pk. : Pour le partage du boulot, vous vous organisiez comment ?

Cha : Bah, en fait, moi, j’ai reçu le scénar’ déjà tout écrit, donc, moi après, je me suis occupé de tout ce qui est mise en scène, découpage, cadrage… Mais bon, vu qu’au départ c’était prévu pour être un court-métrage, le découpage était déjà super-clair à l’écrit.

ED. : Elle m’envoyait ses découpages avant d’encrer, au cas où j’avais une remarque ou deux, un détail, mais ce qui m’a vraiment étonné dans son boulot, c’est qu’elle avait vraiment la même vision que moi de la narration de l’histoire.

Pk. : Sur le bouquin, on apprécie aussi le super-travail sur la colorisation, oscillant entre noir & blanc, bichromie, couleurs…

Cha : On en avait discuté avec El Diablo, on savait pas trop comment différencier les scènes de flash-back et les scènes de présent…

ED. : …et c’était un peu dans l’idée de pas faire le truc classique avec les flash-back en noir & blanc, justement.

Cha : Je voyais bien une ambiance un peu plus sombre et pesante sur le présent, et donc le noir & blanc me semblait assez logique. Ca soulignait le coté roman noir.

 

Pk. [à Cha] : Entre un combat de CM Punk sur une télé au second plan, la voiture immatriculée PCP, ou le tapis à la Shinning, Il y a pas mal de clins d’œil et références tout au long de l’album… Ils étaient prévus dès le départ, ou c’est des petit kiffs perso’ posés au hasard des longues heures devant ta table à dessin ?

Cha : Bah, c’est un peu comme si on tournait un film, tu vois : t’appelle tes potes pour faire un rôle de figuration derrière. Le dessin, c’est un peu le super-pouvoir du fayotage !

Pk. : En dernière page du bouquin, on a la bonne surprise de découvrir qu’un nouveau projet commun est déjà sur les rails, Un homme de goût… On peut en savoir un peu plus ?

ED. : Oui, un p’tit peu plus, mais on peut pas tout te dire !
A la suite de Pizza Roadtrip, on s’est dit qu’on aimerait bien rebosser ensemble, et moi, j’avais ce projet-là qui me travaillait depuis pas mal de temps. C’est toujours dans la veine polar noir, mais y a une petite dose de fantastique en plus. Ce sera peut-être un peu plus violent, aussi…

Cha : On en est vraiment qu’au tout début, là, mais on peut déjà voir quelques images que j’ai balancées sur le net…!

Pk. : Et à côté de ça, d’autres projets perso’ ?

Cha : C’est le problème du dessinateur : lui, en tant que scénariste, il peut se permettre de bosser sur plein de trucs en meme temps, alors que pour moi, c’est difficile de bosser sur plusieurs projets en parallèle… surtout que je suis de plus en plus lente ! Donc, je suis partie sur Un homme de goût, et je bosse à fond sur ça.
Après, j’ai d’autres idées en tête, quand même, mais je manque de temps.

ED. : Comme je le disais, j’ai peut-être la suite de En Mode rétro qui sortira un jour, et à part ça, j’ai un projet avec Julien Loïs qui sortira aux éditions Indeez, et qui parlera de la vie dans la favela de Rio. Sinon, je suis essentiellement sur des projets cinéma : j’écris des longs actuellement.

Pk. : En anim’ ou en film ?

Non, non, des films. Y en a un, c’est Lascars, qu’on verra peut-être un jour en live, et puis à côté, y a l’adaptation de Pizza Roadtrip au cinéma. Sur celui-là, c’est pas mal avancé : j’ai déjà un prod’ et tout. Ce sera réalisé par Sarah Marx, une copine à moi, pas très connue mais très talentueuse ! Si tout va bien, ça pourrait être tourné l’année prochaine.

Pk. : Et si vous aviez un super-pouvoir qui vous permettrait de vivre du projet de vos rêves, quel serait-il ?

Cha : Ah moi, c’est simple : j’voudrais bien être payée toute ma vie pour faire mon blog ! Ca m’amuse vraiment à fond de faire ça. Ca pisse pas très loin, mais ça me plait !

ED : Moi, en super-pouvoir, j’aimerais bien pouvoir me dédoubler, voire de me tripler : ce serait bien pour gérer tous les projets en même temps ! J’ai beaucoup de projet à la fois, et j’suis obligé de saucissonner mon temps, saucissonner mes horaires de travail… donc, un clone ou deux, et ça irait bien !

Eh bien, merci beaucoup à vous deux pour ce temps que vous m’avez accordé, et à très bientôt pour toutes ces jolies choses, donc !

 

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