– Dramagraphies, de Michel Lagarde & Patrick Mecucci –

A l’heure du 68ème festival de Cannes, me prend une folle envie de m’insurger !
M’insurger contre ce défilé de vieux beaux gosses empingouinés et de pouffiasses enl’oréalées qui paradent tels des paons orgueilleux sur les marches du palais dans le seul et unique but de s’accaparer un maximum d’objectifs paparazziens.
M’insurger contre ces fans insipides qui arpentent la Croisette de long en large dans le seul et unique but de récolter un max d’autographes à e-bayïser dès leur retour ou de grappiller une minute de gloire éphémère face aux caméras de Yann Barthès.
M’insurger contre Gilles Jacob et sa programmation nous resservant encore et toujours le sempiternel film déprimant des frères Dardenne, contrebalancé par l’incontournable blockbuster estampillé Disney featuring Johnny Depp, lui-même enrobé d’une poignée d’œuvres serbo-croates auxquelles on n’entrave rien mais dont le titre en jette tellement lorsqu’on le place habilement lors d’une conversation mondaine…
M’insurger contre cette mascarade, donc, que le monde entier proclame comme étant la grande messe du cinéma et qui n’a pourtant jamais récompensé, ni même honoré, ni même mentionné, l’immense cinéaste qu’était Emir Kuklic.

Heureusement, Michel Lagarde et Patrick Mecucci rattrapent le coup, rendant à César ce qui lui appartient, et à Emir ce qui lui revient : une place de choix sur le devant de la scène.
Pour ce faire, l’auteur et le photographe nous proposent alors un fabuleux ouvrage – magnifiquement édité par Ankama pour un résultat à la hauteur de sa démesure (soit un album de 30 x 40 cm) – revenant sur l’ensemble de son impressionnante filmographie. Impressionnante par le nombre de chefs d’œuvre qu’il réalisa, mais impressionnante également par la diversité de ces chefs d’œuvre ! Ainsi, grâce à Dramagraphies, nous réaliserons comment le maître a su enchainer western, biopic, science-fiction, autobiographie, film d’aventures ou de guerre, sans jamais faiblir en qualité ni en inventivité. Car de l’inventivité, ça, ce grand homme en avait à revendre, comment aurait-il pu sinon mettre en scène de telles épopées avec un unique acteur – lui-même – et trois pièces de bric et de broc ? Je pense pourvoir affirmer sans trop m’avancer que le génial Ed Wood n’eut pas été grand-chose sans notre Emir national comme source d’inspiration !

Malheureusement le génie reste bien souvent incompris par le commun des mortels, et Mr Kuklic ne rencontra jamais la gloire et le destin étincelant qu’il méritait.
C’est pourquoi aujourd’hui je ne peux qu’applaudir des deux mains quand deux artistes mettent leur talent au service d’un troisième, et nous éclairent de leurs lanternes d’érudits sur ce que fut réellement l’œuvre d’Emir Kudlic : quelles furent ses inspirations, quelles furent ses méthodes de travail, quelle fut son incidence incontestable sur le 7ème art…?
Un travail de fourmi, étoffé de moult secrets de plateau, d’innombrables éléments biographiques, ou encore de poignants témoignages d’illustres personnages (de Gainsbourg à Marguerite Duras en passant par W.C. Fields).
Ainsi, nous découvrons enfin comment ce visionnaire a su, en moins un siècle, imposer sa vision du… heu… un siècle ? Premier film en 1920 et dernier en 2009 ? Et ce avec toujours cette même tronche pas possible ? Du premier au dernier film, bien que tant d’années les séparent ?

Mais comment est-ce possible ?

Non ! Je n’ose y croire ! Emir Kuklic serait-il finalement le fruit de l’imagination de ces deux bougres d’artistes ? Cette vie de fastes et de folies ne serait-elle qu’un fantasme ? Ces magnifiques photos de tournage ne seraient-elles que de vils (bien que surprenants) trucages ?
Damned ! Voilà que me prend maintenant l’envie de hurler : « La vérité, mon cul ? Le doute m’habite ! »

Dramagraphies, de Michel Lagarde & Patrick Mecucci (ed. Ankama).