Poulet aux prunes - 2

Téhéran, dans les années 1950.
Nasser Ali Khan veut mourir…
Ce violoniste renommé est désespéré car quelqu’un a cassé l’instrument que son maître lui avait offert, un tar au son très harmonieux, aux notes très pures, celui avec lequel il a conquis les plus grands auditoriums internationaux et qui a fait de lui l’un des musiciens les plus réputés d’Iran. Conscient que plus aucun autre instrument ne lui redonnera le plaisir de jouer sa musique, il a décidé de mettre fin à ses jours et de prier Azraël, l’Ange de la Mort, de venir le chercher.

Nasser Ali Khan va mourir…
Sept jours après cette décision de cesser de vivre, sa femme et ses enfants l’enterreront.
Entre ces deux dates, il va se remémorer les événements heureux de son existence, ses petites contrariétés, ses épisodes douloureux et, in fine, le plus grand bonheur de sa vie, qui est aussi son plus grand drame…

Poulet aux prunes - 4

Cette histoire rappellera sans doute quelque chose aux amateurs de bandes-dessinées. En effet, Poulet aux prunes est l’adaptation cinématographique du roman graphique éponyme de Marjane Satrapi (1). Une transposition sur grand écran réalisée par l’auteure elle-même (avec la complicité de Vincent Paronnaud) et très fidèle au matériau original.
Ce choix va probablement être contesté par les détracteurs du film, qui fustigeront le manque de distance entre le film et l’oeuvre littéraire dont il est tiré, voire l’absence de travail d’adaptation…
D’accord, le film frustrera peut-être ceux qui ont déjà lu la bande-dessinée et qui, connaissant déjà les tenants et les aboutissants de cette fable persane, ne pourront pas être surpris par le récit, très balisé. Mais pourquoi diable, Marjane Satrapi aurait-elle dû changer la structure de son histoire? Pourquoi aurait-elle dû renoncer à un découpage aussi précis, presque parfait? Son récit, dans sa conception, dans son cheminement, était déjà très “cinématographique” et faisait déjà office de story-board très détaillé, prêt à être tourné en l’état… La décision de coller au plus près du scénario original n’a donc rien de scandaleux, bien au contraire.

Poulet aux prunes - 3

Marjane Satrapi distingue quand même son film du roman graphique sur la forme, non sans prendre quelques risques au passage.
Pour Persepolis, elle avait pris le parti de réaliser un film d’animation proche de son univers graphique, dessin sobre et noir & blanc très contrasté. Une belle réussite, saluée comme il se doit par la critique et le public. On aurait donc pu s’attendre à la même méthode pour Poulet aux prunes. Mais la néo-cinéaste a appris que la création d’un film d’animation prend beaucoup de temps, et de toute façon, elle n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Aussi, elle a choisi de prendre le contrepied total de Persepolis en termes de choix esthétiques : son nouveau long-métrage est en couleurs – des couleurs très éclatantes – et les protagonistes sont incarnés par des acteurs.
Là encore, ses détracteurs vont s’en donner à coeur joie. On les entend déjà critiquer ce visuel chatoyant – kitsch, pour eux – ses lumières douces – niaises, pour eux –  ses mouvements de caméra virevoltants – tape-à-l’oeil, pour eux – comme ils fustigent sans doute le style flamboyant – ringard, pour eux – de Jean-Pierre Jeunet, auquel on pense un peu ici.

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Bien sûr, on peut très bien préférer l’univers visuel du roman graphique à celui du film. Mais à partir du moment où Marjane Satrapi a décidé de renoncer à faire un film d’animation, pouvait-elle vraiment restituer à l’écran le noir&blanc si contrasté de ses dessins. Certes, il y a bien eu des tentatives cinématographiques pour parvenir à un tel résultat – on pense à Sin City (pour le meilleur) et The Spirit (pour le pire) – mais cette technique aurait sûrement donné un aspect trop terne, trop déprimant, à un récit qui, bien que parlant d’une mort, célèbre la vie. La couleur est ici intéressante car elle donne à l’oeuvre l’aspect d’un conte oriental, un parti-pris revendiqué dès le début par le narrateur, en voix-off. Et parce qu’elle permet de jouer sur le contraste entre les scènes fantastiques et les scènes plus réalistes, entre les idées noires du personnage et ses souvenirs les plus heureux.

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Les détracteurs de Poulet aux prunes (qui décidément, ne veulent pas nous laisser profiter en paix de ce beau long-métrage!) vont arguer qu’un film d’animation aurait été plus judicieux que le recours à des acteurs – non-iraniens de surcroît – pour illustrer ce récit poétique.
Peut-être… Mais là encore, la démarche de Marjane Satrapi se défend parfaitement. Pas uniquement, comme évoqué plus haut, parce que la fabrication d’un film d’animation est longue et fastidieuse. Mais aussi parce que l’un des thèmes majeurs du roman graphique original était l’Art au sens large. Marjane Satrapi y traitait des affres de la création artistique, de la condition particulière de l’artiste.
Le cinéma, au carrefour des disciplines artistiques, lui permet, plus que son seul dessin, de réunir au sein du même long-métrage les différentes disciplines artistiques : la musique, bien sûr, primordiale pour le personnage principal, la sculpture et l’architecture, via les décors et notamment un conte dans le conte, qui trouve son dénouement près du Taj Mahal, le dessin, puisque cette histoire parallèle est narrée sous la forme d’un dessin animé, le théâtre de marionnettes ou le septième art lui-même, évoqué à travers les souvenirs de Nasser Ali – la projection d’un vieux Lon Chaney et une scène fantasmagorique très fellinienne autour de la poitrine opulente de Sophia Loren…
Pour compléter le tableau, ne manquait donc que le jeu des acteurs, qui se sont emparés de la version papier pour la faire vivre sur grand écran.

Poulet aux prunes - 10

A ce petit jeu-là, Mathieu Amalric est tout simplement prodigieux. Il se fond dans la peau du personnage avec une maîtrise technique qui laisse pantois.
Sa performance devrait suffire à elle seule à clouer le bec de tous ceux qui déploraient à l’avance que le film ne soit pas interprété par des acteurs iraniens. Mais, dans le cas contraire, on ajoutera qu’il n’est pas seul à se mettre en valeur. Maria de Medeiros incarne son épouse avec grâce et subtilité, Isabella Rossellini confirme son retour au premier plan en jouant la mère du héros, à la fois autoritaire et aimante. Après avoir prêté sa voix à une Marjane Satrapi rebelle dans Persepolis, Chiara Mastroianni se glisse cette fois dans la peau d’une de ses bad girls de cousines – la fille du héros à l’âge adulte, adepte de poker, d’alcool et de cigarettes…
Edouard Baer se délecte d’un rôle d’ange de la mort bavard et philosophe, tout comme Didier Flamand avec son rôle de vieux maître de musique. Dans des seconds rôles, on retrouve avec grand plaisir Rona Hartner, Eric Caravaca, Serge Avédikian, ainsi que Jamel Debbouze dans un double rôle surprenant.
Et pour ceux qui insistent quand même pour avoir une présence iranienne, ajoutons à l’ensemble la sublime Goldshifteh Farahani.  D’une beauté à tomber à la renverse, elle rend tout à fait crédible la passion que nourrit pour elle Nasser Ali Khan, puis les regrets éternels de ce-dernier…

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La mise en scène de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud ne se contente pas de regarder jouer ce casting qu’envierait plus d’un cinéaste. Elle brille par son inventivité et son audace. On apprécie par exemple la fluidité des transitions de séquences – une des grandes forces, déjà, de Persepolis, l’extrême précision des cadrages – l’art de la bande-dessinée est ici très utile…-  le soin apporté aux récurrences visuelles (la chute de neige/la chute de pétales du cerisier, la fumée flottant au-dessus du cercueil de la mère de Nasser Ali/celle soufflée par sa fille…). Ou encore les envolées burlesques du récit (les tentatives de suicides imaginées par Nasser Ali, le destin du fils du personnage principal revu et corrigé à la façon d’une sitcom américaine parodique).
Tout est parfaitement huilé, de façon à ce que le spectateur se laisse porter par la narration et par la beauté de cette histoire qui révèle ses secrets au fur et à mesure et qui derrière son apparente simplicité, entremêle plusieurs thématiques autour de la création artistique, donc, mais aussi du mode de vie iranien, des relations parents-enfants, de l’amour et du mariage…

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Résumons un peu…
Poulet aux prunes est superbement réalisé et interprété par une troupe d’acteurs de grand talent…
Poulet aux prunes est plein de poésie, visuellement splendide et enveloppé d’une musique joliment mélancolique.
Poulet aux prunes est, malgré son sujet, souvent drôle et réjouissant, empreint de l’humour de ses deux auteurs, dont on reconnaît clairement la “patte”.
Ses détracteurs ont tort, voilà tout!
La seule chose que l’on pourrait reprocher au film est en fait sa quasi-perfection, qui, par moment, étouffe un tout petit peu l’émotion. Juste un peu, hein… Car on vous rassure tout de suite : Poulet aux prunes est quand même un film  extrêmement touchant, une belle histoire d’amours contrariées et d’espoirs déçus qui vous arrachera probablement une petite larme au moment du dénouement.

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Poulet aux prunes  est, avec des partis-pris esthétiques radicalement différents, une excellente adaptation de l’oeuvre originale. C’est aussi, hélas, un film fragile qui a le malheur de sortir en même temps qu’un autre long-métrage tiré d’une bande-dessinée, un mastodonte nommé Les Aventures de Tintin : Le secret de La Licorne.
Pas le même budget, pas la même campagne de promotion, pas la même couverture médiatique, pas le même circuit d’exploitation… Le film de Steven Spielberg est calibré pour écraser le box-office comme jadis, les aventures du petit reporter à la houppette rousse cartonnaient en libraire.

Marjane Satrapi a l’habitude d’évoluer dans l’ombre, elle qui publiait ses bandes-dessinées via une structure indépendante, loin de l’agitation des grosses maisons d’édition. Mais un livre peut très bien connaître un succès d’édition tardif, fort d’un beau bouche-à-oreille. Au cinéma, les “petits” films ont rarement cette chance. Il faut que les spectateurs se déplacent dès la première semaine d’exploitation pour qu’ils aient la chance de continuer à être projetés. Vous aurez bien le temps de le découvrir ultérieurement les aventures de Tintin sur grand écran. A la place, nous vous recommandons très fortement d’aller découvrir au plus vite ce très beau film qu’est Poulet aux prunes.

(1) : “Poulet aux prunes” de Marjane Satrapi – éd. L’Association

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Poulet aux prunes Poulet aux prunes
Poulet aux prunes

Réalisateurs : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud
Avec : Mathieu Amalric, Goldshifteh Farahani. Edouard Baer,
Maria de Medeiros, Isabella Rossellini, Chiara Mastroianni
Origine : France
Genre : Adaptation de BD réussie
Durée : 1h33
Date de sortie France : 26/10/2011
Note pour ce film : ●●●●
contrepoint critique chez : Critikat ________________________________________________________________________________

2 COMMENTS

  1. Salut Boustoune, je pense qu’il y a une erreur lorsque tu parles d’adaptations de comics en noir et blanc, tu devais surement penser à « the spirit » de Frank Miller et non « the shadow » de Russel Mulcahy qui est en couleur 😉

  2. Certes…
    C’est bien à « The Spirit » que je faisais allusion. Cela dit, les deux films sont aussi médiocres l’un que l’autre… :p
    Je corrige de ce pas !
    Merci Naamlock de ta vigilance ! 🙂

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