Pour son précédent long-métrage, Valérie Donzelli avait audacieusement choisi de traiter un sujet intime et douloureux, le combat d’un couple dont l’enfant est gravement malade, avec fantaisie et de légèreté. Idée payante, car La Guerre est déclarée a su séduire une bonne partie de la critique et de nombreux spectateurs. Pour son nouveau film, elle aurait très bien pu choisir la facilité et rester sagement sur le même créneau. Mais Valérie Donzelli n’aime pas la routine et le confort. Elle a donc choisi de prendre le contrepied de son long-métrage précédent en nous offrant, cette fois, une comédie légère et un brin loufoque agrémentée d’une petite pointe d’amertume et de gravité.

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Son argument de départ est des plus simples et des plus classiques. Il s’agit d’une rencontre amoureuse entre un homme et une femme. Mais une rencontre atypique, en tout cas très différente des canons habituels de la comédie romantique. Contrairement à tous ces films hollywoodiens où le vieux beau séduit la nymphette inexpérimentée, les personnages sont ici un jeune provincial et une bourgeoise parisienne de quinze ans son aînée. Et surtout, ces deux protagonistes, Joachim (Jérémie Elkaïm) et Hélène (Valérie Lemercier) ne réalisent pas vraiment qu’ils sont tombés amoureux. Juste qu’ils sont désormais liés l’un à l’autre, comme victimes d’un envoûtement, au sens propre et au figuré. Si l’un des deux va quelque part, l’autre éprouve un irrésistible besoin de le suivre, plus fort que sa volonté. Si l’un fait un geste, l’autre se sent obligé de faire le même…

La situation est embarrassante, pour eux, qui ne peuvent plus avoir d’intimité l’un vis-à-vis de l’autre, et pour leurs proches, qui doivent composer non plus avec un individu, mais un binôme, l’association de deux amants malgré eux, de deux aimants qui s’attirent l’un l’autre, mais qui repousse tous ceux qui essaient de graviter autour. C’est sans doute cela que l’on appelle une relation fusionnelle…
La cohabitation forcée de ces deux êtres est d’autant plus cocasse qu’ils n’ont absolument rien en commun et qu’ils ne sont pas du tout assortis. Cela fait au moins un code de la comédie romantique que Valérie Donzelli respecte à la lettre, si ce n’est qu’elle pousse la différence entre ses personnages à son paroxysme. Différence d’âge, de classe sociale, d’origine géographique, de goûts, d’allure… Lui est un modeste miroitier, skateur décontracté à ses heures perdues, qui squatte chez sa soeur (Valérie Donzelli) en attendant mieux et qui “paie” son hébergement en l’accompagnant à des cours de danse de salon ringards. Elle est une figure de la danse classique, formatrice des petits rats de l’opéra, titulaire de la légion d’honneur et dans les petits papiers du ministre de la culture, une pure parisienne BCBG, chic et un peu guindée… Et pourtant, ils sont faits l’un pour l’autre!

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Pour filmer la première partie du film, qui montre Joachim et Hélène en train d’expérimenter la vie de couple et de composer avec la “malédiction” qui les a frappés, la cinéaste aurait pu exploiter le côté burlesque des situations, mais elle a préféré opter pour un humour gentiment décalé, dans l’esprit de son premier film, La Reine des pommes. Cela risque de désarçonner ou de décevoir certains spectateurs, mais ce choix s’explique par la volonté de basculer lentement de la légèreté à la gravité, de la comédie à la chronique intimiste plus profonde.
Car sous cet emballage de comédie se cache une belle variation sur les liens affectifs qui unissent les gens et le sillon qu’ils gravent dans les coeurs, dans les âmes, sur la difficulté de préserver une harmonie parfaite du couple, sur la passion amoureuse, sur ce qu’il reste de l’amour d’un couple après la rupture.

Aimer, c’est d’abord une rencontre, une fusion, puis une découverte progressive de l’autre, un lien tissé qui se consolide ou qui s’effiloche. La passion amoureuse retombe imperceptiblement et il faut alors redéfinir les liens, retrouver un centre de gravité, se perdre pour mieux se retrouver. C’est un peu ce qu’il va se passer pour Joachim et Hélène. Ils vont s’attirer et se repousser, apprendre à cohabiter, apprendre à mieux se connaître et à s’aimer, mais au fur et à mesure, leurs gestes vont être moins synchrones, ils vont pouvoir évoluer de nouveau chacun de leur côté, s’éloigner, pour mieux se retrouver ensuite, dans une relation différente, moins fusionnelle, mais également moins tourmentée.

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A côté de cette passion amoureuse, Valérie Donzelli aborde d’autres types de liens sentimentaux. Ses personnages, au moment de leur rencontre, sont déjà impliqués dans des relations affectives fusionnelles.
Hélène partage sa vie avec Constance (Béatrice de Staël), qui, comme son prénom l’indique, est toujours là pour elle. Conseillère, confidente, amie, amante peut-être, sûrement… C’est elle qui vit le plus mal l’intrusion de cet homme dans le couple qu’elle forme avec Hélène. Mais elle finira par lâcher prise, pour ne pas ressembler à ce triste “trouple” de voisins, qui, par lâcheté ou par facilité, supportent un ménage à trois qui les laisse insatisfaits, et par amour, pour ne pas infliger à celle qu’elle aime le spectacle de sa déchéance.
Joachim, lui, est très proche de sa soeur Véronique, qui l’héberge, le protège, le soigne, le couve presque et le couvre de baisers – sur la bouche, parfois, ce qui choque Hélène et Constance. Ils sont inséparables, même si, parfois, ils ont tous deux envie de prendre leurs distances l’un avec l’autre.
Véronique est en couple avec Jean-François (Sébastien Noiré), dont elle ne semble pourtant pas très proche, et s’amuse avec Jean-Pierre (Serge Bozon), un voisin déprimé par une rupture conjugale douloureuse, avec qui elle danse quand Joachim n’est pas là.
On aime plusieurs fois, et de façon différente, semble dire la cinéaste. On aime ses parents, ses frères et soeurs, on s’attache à des camarades de classe, àdes amis, on connaît un premier amour, et, parfois, plusieurs autres derrières, on se marie, on a des enfants, on se sépare ou non, on se retrouve ou non, on refait sa vie. On a des coups de coeur, des coup de foudre, des fantasmes et des envies, que l’on choisit de suivre ou non.

Au fur et à mesure, le ton du film se fait plus mélancolique, plus grave, pour communiquer un peu du chagrin qui nous envahit quand une histoire d’amour se termine, quand on perd quelqu’un qui nous est cher ou quand on aime trop et que l’on en souffre.
C’est une joie et une souffrance” comme l’auraient dit les personnages de Truffaut, cinéaste qui disséquait la vie de couple et la passion amoureuse et à qui l’on pense parfois en regardant Main dans la main. Sur le fond, et aussi – un peu – sur la forme, à travers des artifices de mise en scène hérités de la Nouvelle Vague.

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Mais ce qui nous touche particulièrement avec ce long-métrage, c’est ce que Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm projettent de leur propre histoire, de leur vécu en commun, et la façon dont il vient s’intégrer dans la filmographie de la jeune cinéaste.
On sait que Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm ont formé un couple à la ville, et qu’ils ont eu un enfant ensemble. Malheureusement, cet enfant a été frappé par une maladie assez rare et le duo a dû surmonter de nombreuses épreuves pour lesquelles il n’était pas préparé. C’était le sujet de La Guerre est déclarée. Finalement, l’enfant a été tiré d’affaire après de longs mois d’hospitalisation, mais le couple n’a pas survécu à ce combat contre la maladie, victime collatérale sur le champ de bataille. Cependant, si la passion n’a pas résisté à ces épreuves, l’amour qui les lie s’en est trouvé à la fois modifié et renforcé.
Ils ne forment plus un couple traditionnel, mais sont inséparables, unis par un enfant commun, mais aussi par une complicité qui rejaillit sur chacun des films qu’ils ont tourné ensemble.
Leur rupture a sans doute été difficile à supporter. C’était là le sujet de La Reine des pommes, d’une certaine façon. L’héroïne, jouée par Valérie Donzelli elle-même, tentait de rebondir après une séparation difficile et rencontrait plusieurs hommes, ayant tous les traits de Jérémie Elkaïm, qui incarnait aussi son ex-compagnon. Une autre façon de montrer les traces que peut laisser une relation amoureuse forte dans la vie de quelqu’un, et les souffrances que cela peut occasionner.
Ici, petite variante, Valérie Donzelli incarne non plus la compagne ou la maîtresse de Jérémie Elkaïm, mais une soeur quasi-incestueuse. Finalement, cela définit bien leur nouvelle relation. C’est un lien fraternel, familial qui les unit désormais. Ils vivent leur vie chacun de leur côté, mais restent inséparables. Ils écrivent ensemble, jouent ensemble, plus complices que jamais, pour le plus grand bonheur des spectateurs…

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… Du moins, pour ceux qui acceptent sans rechigner de les suivre dans leur univers si particulier, entre humour subtil et poésie loufoque, et qui tolèrent aussi les quelques maladresses de mise en scène ou de montage qui embarrassent encore le style de la cinéaste.
Main dans la main souffre par moments de nettes baisses de rythme, ou, au contraire, d’un découpage survolté. Mais, à côté de ces scènes moins maîtrisées, Valérie Donzelli nous offre aussi de jolis moments de cinéma, comme la scène où Joachim et Hélène se découvrent enfin, après de longues journées de cohabitation forcée.
Les mêmes défauts et les mêmes qualités parcouraient déjà La Reine des pommes et La Guerre est déclarée, mais ces deux oeuvres étaient sans doute plus accessibles, la première pour sa légèreté affirmée de bout en bout, la seconde bénéficiant d’un sujet très fort, dramatiquement parlant. Là, Valérie Donzelli prend plus de risques. Déjà en tentant l’approche originale du thème universel de la rencontre amoureuse, déjà mille fois traité au cinéma. Ensuite en refusant d’exploiter ouvertement le côté burlesque des situations offertes par son idée scénaristique. Et enfin en s’autorisant une rupture de ton assez surprenante aux deux tiers de son récit, qui boucle le film sur une note un peu plus amère.
Ce n’est pas totalement abouti, d’accord, mais le résultat est quand même intéressant, surtout remis dans le contexte de la filmographie de la cinéaste. On aime ou on n’aime pas, mais il faut bien reconnaître que Valérie Donzelli est une auteure à part entière, qu’elle possède une patte artistique particulière et qu’elle s’impose comme l’une des réalisatrices qui comptent dans le paysage cinématographique français.

 

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Main dans la main Main dans la mains
Main dans la main Réalisatrice : Valérie Donzelli
Avec : Valérie Lemercier, Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël, Valérie Donzelli, Sébastien Noiré, Serge Bozon
Origine : France
Genre : Amours fusionnels
Durée : 1h25
Date de sortie France : 19/12/2012
Note pour ce film : ●●●●●
Contrepoint critique : Chronic’art

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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