1507-1Le récit commence par son dénouement – ou presque. Théophile, un jeune écrivain, assassine froidement le responsable d’une grande maison d’édition parisienne, le décapite et écrit avec son sang une lettre expliquant son geste. Comment en est-il arrivé là? Pourquoi ce déferlement de violence? C’est ce que nous allons découvrir tout au long des pages suivantes…

La première moitié de l’ouvrage décrit le parcours du combattant de Théophile, qui tente vaille que vaille de devenir écrivain. Ce rêve, il s’est promis de le concrétiser. Pour lui, mais aussi pour rendre hommage à son père, qui vient juste de décéder. Pour le réaliser, il a pris le risque de revendre l’affaire familiale – une coutellerie artisanale réputée – afin de se donner le temps d’écrire un roman qui tienne la route. Mais le plus compliqué, ce n’est pas d’écrire. C’est d’être publié…
Théophile essuie les refus de dizaines d’éditeurs qui, pour la plupart, n’ont même pas pris la peine de lire son manuscrit, se voit opposer mépris et hypocrisie, alors que, dans les mêmes maisons, des stars du showbiz, du football ou de la télé-réalité n’ont aucun mal à publier leurs mémoires, ouvrages sans intérêt rédigés sans talent.
Il s’accroche, insiste, se déplace en personne pour demander à rencontrer les éditeurs ou les membres des comités de lecture qui ont rejeté son ouvrage,arpente les travées du Salon du Livre, tente la diplomatie ou la colère,… En vain…
La seconde partie décrit sa vengeance sanglante, après que la frustration et la colère l’aient mené aux confins de la folie.

Que les âmes sensibles se rassurent. Si les actes du personnage sont effectivement des plus horribles, ils ne sont pas du tout détaillés de façon complaisante ou malsaine. L’auteur désamorce même notablement la tension en apportant quelques touches d’humour noir bienvenues à son récit. De toute façon, le thriller ne sert ici que de colonne vertébrale de l’intrigue. Les vrais sujets de l’oeuvre sont, d’une part, la description amusée du milieu de l’édition, et d’autre part, le portrait sensible  et poignant d’un jeune homme à la dérive, mal dans sa peau, étouffé par son obsession de l’écriture et écrasé par une certaine solitude.
Un cocktail qui fait du “Sang des éditeurs” un roman assez surprenant et enthousiasmant.

Là, vous vous demandez probablement quelle mouche nous a ainsi piqué pour que l’on abandonne nos écrits sur le septième art et se muer en critiques littéraires.
Hé bien, tout d’abord parce que ce récit assez court et dense, que l’on dévore d’une traite, est structuré comme un bon scénario de film noir. Claude Chabrol aurait sans doute adoré cette histoire, cette vertigineuse descente aux enfers qui se mue peu à peu en jeu de massacre.
Lui qui aimait à malmener la bourgeoisie aurait également aimé cette description corrosive et néanmoins très juste du milieu de l’édition, qui peut s’apparenter, de par ses codes sociaux, à une forme de grande bourgeoisie culturelle.
Ensuite parce que cette caste très fermée du landerneau littéraire parisien, justement, n’est pas sans rappeler la “Grande famille” du Cinéma, elle aussi prompte à rejeter des auteurs surdoués pour cultiver des navets à la pelle.
Et enfin parce que l’auteur de ce roman n’est autre que Mehdi Omaïs, critique de cinéma émérite pour le quotidien Metronews et le site Les Cinévores.

Son amour du septième art transparait à maintes reprises au cours du récit, à travers des références directes (Les sept jours du Talion, entre autres) et divers allégories savoureuses.
On retrouve également tout ce qui constitue le sel de ses critiques : un style concis et percutant, un sens de la formule chic et choc et des saillies humoristiques savoureuses. Sans oublier quelques coups de griffes salutaires contre certains fâcheux de première grandeur, comme les journalistes charognards, les mémés acariâtres qui rackettent les écrivains pour des photocopies et reliures, et les types qui continuent de touiller leur cuillère dans le pot de yaourt vide.

Bref, on vous conseille “Le Sang des éditeurs”, un roman aussi attachant que son auteur, qui, on vous rassure est tout à fait équilibré et ne dézingue personne (à l’exception, peut-être, de quelques cinéastes coupables d’infâmes nanars, et victimes de sa  plume vengeresse)

 

“Le Sang des éditeurs” de Mehdi Omaïs
broché, 184 pages
éd. Pascal Galodé
Parution le 16 mai 2014 (en plein pendant le festival de Cannes, logique…)

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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