Présenté l’an passé à la Semaine de la Critique, lors du 62ème festival de Cannes, Les murmures du vent met en lumière le drame des kurdes irakiens, peuple persécuté par le régime de Saddam Hussein, rejeté par une partie de la population et victime d’un génocide (l’opération Anfal) que nous, occidentaux, avons un peu trop tendance à oublier.
Justement, le film de Shahram Alidi parle de transmission de la mémoire de ce peuple pourchassé, opprimé, décimé, qui résiste malgré tout, entretenant l’espoir de lendemains plus sereins. Il montre des lieux fantomatiques, quasiment désertés par toute vie humaine, mais gardant trace de ceux qui y ont vécu avant d’être exterminés ou contraints à l’exode.

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Il nous fait revenir dans le passé, en 1988, l’année où Saddam Hussein a ordonné le massacre du peuple kurde, notamment à coups de bombardements chimiques, et nous propose de suivre le voyage d’un facteur d’un genre particulier, Mam Baldar, qui transporte non pas des lettres manuscrites, mais des paroles et des sons enregistrés sur un magnétophone, la voix du peuple kurde…
Il est par exemple chargé d’aller enregistrer les premiers cris d’un enfant sur le point de naître et les apporter à son père, membre des partisans kurdes.
Mais arrivé au village, le vieil homme réalise que les femmes ont été contraintes à l’exil, pour des raisons de sécurité. Il part donc à leur recherche, parcourant une contrée dévastée par les conflits. Au passage, il enregistre les pleurs, les complaintes de douleur, les prières et les témoignages…

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Le périple de Mam Baldar est un voyage au cœur de la mort pour aller y dénicher la vie… C’est là tout le sens de la démarche de Shahram Alidi.
Il s’agit moins de parler de dévastation d’un peuple que de sa subsistance. D’ailleurs, l’horreur et le génocide ne sont jamais montrés frontalement, juste évoqués, alors que la caméra filme la nature, témoin silencieux de la folie des hommes, et les vivants, prêts à réinvestir ces paysages…
Chaque voix enregistrée, c’est une victoire contre l’oubli, une trace d’existence éphémère passée à la postérité. Et cette mémoire, celle de l’identité kurde, pourra peut-être servir, un jour, à la fondation d’une nation à part entière, pacifiée, reconnue. En tout cas, elle contribue à entretenir l’espoir d’un renouveau…

Difficile de rester insensible à cette histoire et aux situations souvent tragiques qu’elle raconte. On est d’autant plus touché que la plupart des témoignages recueillis correspondent à des faits authentiques, ceux qu’ont eux-mêmes vécus les comédiens, quasiment tous non-professionnels.

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Sur le fond, le film est absolument inattaquable, d’autant que le cinéaste ne véhicule aucun message revanchard ou haineux. Il s’agit au contraire d’un film pudique et digne, empli d’une douleur lancinante et d’un humanisme généreux.

Sur la forme, en revanche, c’est plus discutable.
Fortement influencé par les œuvres d’Abas Kiarostami, Andreï Tarkovsky ou Yasujiro Ozu, Shahram Alidi a opté pour une mise en scène privilégiant l’allégorie plutôt que le réalisme brut, documentaire et joue sur l’étirement de la durée des plans, la contemplation.
Certains trouveront magnifique cette œuvre emplie d’une poésie funèbre, et se laisseront porter par le vent et la beauté des cadrages.
De nombreuses scènes font en effet preuve d’une recherche formelle évidente, comme cette séquence où des femmes réunies pour crier leur tristesse se fondent peu à peu dans le décor pour se transformer en amas de pierres, ou celle, également marquante, où un kurde aveugle est ligoté à un arbre, sur les branches duquel pendent des radios diffusant les messages des rebelles…

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Le problème, c’est que la plupart des spectateurs risquent d’avoir décroché bien avant de pouvoir apprécier ces scènes magistrales, vaincus par l’ennui procuré par ce rythme beaucoup trop lent et surtout, par une mise en place un peu laborieuse qui ne laisse en rien présager de la densité de l’oeuvre . Paradoxalement, ils trouveront le film trop long, alors qu’il ne dure qu’une heure et quart. Et, du coup, la portée du message véhiculé par le scénario s’en retrouve fortement atténuée.

Cela dit, que l’on adhère ou non à cette esthétique particulière, il convient de saluer le courage qu’il a fallu au cinéaste pour tourner ce film dans des conditions probablement difficiles.
Et on ne peut que se féliciter de voir des films se tourner dans un pays encore instable, meurtri par des années de dictature, puis de conflits. Pour leurs auteurs, c’est une façon de se libérer du poids de leur chagrin, de leur douleur, d’honorer leurs proches disparus. Pour les spectateurs, c’est une façon de se souvenir du drame subi par des milliers de personnes.
Quoi que l’on puisse en penser Les murmures du vent, film, rare et donc précieux, prend une valeur très symbolique. Il constitue le signe d’un renouveau, d’une paix en devenir… C’est aussi à cela que peut servir le cinéma…

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les murmures du vent Les murmures du vent
Sirta La Gal Ba

Réalisateur : Sharam Alidi
Avec : Omar Chawshin, Maryam Boubani, Fakher Mohammad Barzani, Valid Marouf Jarou
Origine : Irak, Kurdistan
Genre :  road movie contemplatif dans un pays en ruine
Durée : 1h17
Date de sortie France : 31/03/2010
Note pour ce film : ●●●●○○  contrepoint critique chez : Critikat

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