Les émotifs anonymes - 4

Les fins d’année, c’est toujours épuisant. On est usé par le stress accumulé au cours de l’automne, les rentrées mouvementées, les jours qui raccourcissent, l’arrivée du froid, de la pluie, de la neige, la préparation des fêtes, la course aux cadeaux, le casse-tête du menu du réveillon…
Heureusement, pour tenir le choc, il y a le chocolat…
Du bonheur en barres, en carrés, en pièces finement taillées, nature ou fourré de ganache, de crème, de liqueur. Du bonheur qui fond en bouche, qui ravit le palais, qui émoustille les papilles. Tout cela grâce, paraît-il, à la théobromine, une molécule chimique aux effets stimulants. A moins que le plaisir ne vienne que de la dégustation elle-même, du goût, de la texture, du mélange de saveurs, de l’amertume finement recouverte par une dose adéquate de sucre…

En matière de cinéma aussi, il existe une parade à la morosité.
Vous avez remarqué qu’à cette période de l’année, on ressort régulièrement les bonnes vieilles comédies musicales de l’âge d’or hollywoodien ou les films en-chantés – et enchanteurs – de Jacques Demy?
Normal : il n’y a rien de mieux pour vous regonfler le moral à bloc, vous mettre de la beauté et de la musique plein la tête…

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Alors imaginez un peu un film qui mêlerait chocolat et ce type de comédie sophistiquée… Ca donne envie, non?
Eh bien, ne rêvez plus. Jean-Pierre Améris l’a fait, avec Les émotifs anonymes.
Bon c’est sûr que dit comme cela, le titre n’est pas très engageant, mais il s’agit assurément de l’un des plus beaux films de cette fin d’année 2010, une comédie pleine de charme et de légèreté.

Le scénario repose sur une idée originale, toute simple : la rencontre amoureuse de deux personnes atteintes de timidité maladive.
Elle, Angélique Delange (un nom qui donne des ailes) est inscrite aux émotifs anonymes. Elle est “jolie comme un coeur”, intelligente, gentille, mais perd tous ses moyens dès qu’on la regarde. Alors, pour une relation sentimentale, c’est tout de suite compliqué… Niveau professionnel, c’est tout aussi galère. La belle est plutôt douée pour l’art culinaire, surtout pour la mise au point de chocolats fins, mais son émotivité chronique, qui avait déjà provoqué son échec aux examens, l’oblige à rester dans l’ombre…

Lui, Jean-René Van Den Hugde (un nom compliqué) n’est pas inscrit aux émotifs anonymes, mais consulte assidument un psy. Il est encore plus timide qu’elle. Un handicap qu’il dissimule sous un masque d’autorité et de froideur. Du moins est-il perçu comme tel par ses employés, dans la petite chocolaterie familiale qu’il a reprise.
Mais son incapacité à aller vers les autres est un sérieux problème. Le bonhomme ne va jamais voir les clients et n’est donc pas au courant de l’évolution des attentes des consommateurs. L’entreprise perd donc peu à peu tous ses clients les plus fidèles et périclite inéluctablement.

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Alors, il faut recruter d’urgence une commerciale qui puisse trouver de nouveaux clients potentiels. Une personne qui aime le chocolat et qui soit suffisamment passionnée pour convaincre les acheteurs.
Jean-René engage la première personne venue frapper à sa porte : Angélique.
La jeune femme qui pensait postuler pour un emploi à l’atelier de fabrication, protégée du monde extérieur, se voit contrainte d’affronter sa timidité pour aller voir les clients…
L’homme, lui, est surpris de l’affection qu’il éprouve pour cette nouvelle recrue pleine de charme…
Cette rencontre professionnelle va-t-elle déboucher sur une belle romance ?

Vous le saurez en allant voir ce film aussi savoureux que – on ose la comparaison – les chocolats fabriqués par la petite entreprise de Jean-René.
Il y a déjà ce coeur fondant, le duo formé par Isabelle Carré (de chocolat? Hum, désolé. trop tentant…) et Benoît Poelvoorde, tous deux excellents.
La première rayonne de charme et d’élégance dans un rôle taillé pour elle. Son Angélique nous touche par son côté réservé et ses maladresses, qui volent en éclats dès que la passion prend le dessus…
Le second évolue dans un registre plus sobre que d’ordinaire, où sa sensibilité d’acteur peut pleinement s’exprimer. Lui aussi compose un personnage profondément touchant, drôle et tendre à la fois.
La complicité des deux acteurs ne fait aucun doute. On avait déjà pu en juger dans Entre ses mains d’Anne Fontaine, il y a cinq ans. Elle est encore plus prégnante dans le film de Jean-Pierre Améris.

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La mise de ce dernier, d’ailleurs, exhale des arômes subtils de cinéma à l’ancienne.
Costumes et décors se parent en effet d’un charme rétro, tout droit sortis d’un mélo flamboyant de Douglas Sirk, d’une comédie de Jacques Tati ou, donc, des comédies musicales des années 1950/1960.
Les émotifs anonymes n’est pas une comédie musicale au sens propre du terme, mais il en possède la légèreté et offre quelques scènes chantées et dansées du plus bel acabit.
Pour surmonter sa timidité, Angélique pousse la chansonnette et s’auto-persuade qu’elle a confiance en elle. Jean-René, lui, prend son courage à deux mains et s’empare du micro pour une audacieuse sérénade, dans un restaurant rouennais.
Et quand le couple part pour une promenade nocturne, indifférent à la pluie torrentielle qui s’abat sur lui, difficile de ne pas penser à Gene Kelly dans Chantons sous la pluie.
Par ailleurs, la musique, signée par Pierre Adénot, est presque le troisième personnage du film. Elle nous enveloppe dans son ambiance cotonneuse et ses délicates harmonies. Elle aussi est empreinte d’un charme désuet des plus agréables à l’oreille, réveillant plein de souvenirs de cinéphile nourri aux comédies musicales d’antan (1)…

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Enfin, le chef opérateur Gérard Simon enrobe le film de douceur, grâce à son ambiance feutrée, ses éclairages chauds, mettant en valeur un univers coloré où dominent les rouges et les verts.
Mais attention, cette douceur et ce côté sucré n’ont absolument rien d’écoeurant, contrairement à bien des comédies romantiques saturées de bons sentiments. Derrière cette belle histoire d’amour, il y a quand même une pointe d’amertume – comme celle de la fève de cacao – le coup de projecteur sur un handicap dont sont atteintes plus de personnes qu’on ne le pense (2).

Vous l’aurez compris à cette prose cinématographico-culinaire, Les émotifs anonymes est un film absolument délicieux. Une comédie romantique qui réchauffe le coeur et enivre les sens, qui revigore les morals défaillants fait oublier le froid et la grisaille.
Alors, ne soyez pas timides et allez vite découvrir en salle ce petit carré de bonheur chocolaté…

(1) : La bande-originale, assez rétro, adopte quand même un titre contemporain : “Big Jet Plane” d’Angus et Julia Stone
(2) : L’association Les émotifs anonymes existe vraiment. Voir leur
site officiel.

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Les émotifs anonymes Les émotifs anonymes
Les émotifs anonymes

Réalisateur : Jean-Pierre Améris
Avec : Isabelle Carré, Benoît Poelvoorde, Lorella Cravotta, Lise Lametrie, Swann Arlaud, Jacques Boudet, Stephan Wojtowicz
Origine : France
Genre : Merci pour le chocolat
Durée : 1h20
Date de sortie France : 22/12/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Critikat

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2 COMMENTS

  1. J’ai été très déçue par ce film… Bizarrement je ne suis pas du tout rentrée dedans.
    J’ai trouvé les persos sans psychologie aucune et le comique plat.
    Seule le coté comédie musicale à la Demi m’a attirée.

  2. Bah, on ne peut pas être d’accord sur tout…
    Bonne année, chère Ariane. Je te souhaite plein de beaux films, de bons bouquins et de belles sorties culturelles.
    Au plaisir de te revoir bientôt.

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