Le GarconA l’origine de ce projet, il y avait l’envie de travailler à quatre mains, entre documentaire et fiction. Zabou Breitman et Florent Vassault ont trouvé dans une brocante un ensemble de 200 photos de famille, datées des années 1960 à 1980, où apparaissait notamment un garçon au regard doux et triste. Ils décident de travailler chacun de leur côté sur le sujet, Florent Vassault en tant que documentariste, essayant de retrouver trace de cet anonyme et de ses proches, et Zabou Breitman en tant qu’auteure de fiction, imaginant un peu de son histoire et la faisant jouer par des acteurs professionnels (Isabelle Nanty et François Berléand dans les rôles des parents, Damien Sobieraff dans le rôle du garçon, prénommé Jean de façon arbitraire).
L’idée était séduisante, et le résultat aurait pu être une vraie réussite si les deux versants de l’oeuvre avaient été parfaitement équilibrés. Malheureusement, la partie fictionnelle se révèle assez peu inspirée au regard de la partie documentaire. Et cette construction mixte empêche de développer davantage l’investigation, qui constitue la partie la plus passionnante du concept.

Au départ, Zabou Breitman assure pourtant sa part du travail en imaginant le moment où Jean s’apprête à quitter ses parents pour vivre sa vie à Paris. Elle postule qu’il s’agit d’une famille provinciale, que la mère est femme au foyer et que le père tient un garage, un brin désespéré qu’aucun de ses garçons ne veuille prendre sa suite. Jean n’est pas vraiment porté sur la mécanique. Il veut ouvrir un restaurant. Après une virée avec son meilleur ami dans la capitale, il a déniché l’endroit idéal et a même déjà trouvé un nom à l’établissement “La Cigogne Basque”. Un bon point de départ, mais, rapidement, l’inspiration se tarit, car il devient rapidement évident que la personne sur les photos n’a pas eu une vie très linéaire et les éléments sur les photos ne permettent pas vraiment de tisser un récit cohérent, une fois le restaurant ouvert.

Alors, on passe rapidement à la partie documentaire. Florent Vassault progresse lentement, mais sûrement. Il s’accroche à des détails des photos qui lui permettent d’identifier les lieux : un clocher d’église atypique, des stèles commémoratives le long de la jetée, des balcons qui donnent un indice sur les bâtiments… Patiemment, sur Internet, il parcourt les chemins et routes de France à l’aide de la fonction “street view” puis va sur place pour interroger les voisins, surtout ceux qui habitent le coin depuis suffisamment longtemps pour se souvenir de la famille sur les photos. La tâche est loin d’être aisée, surtout près de cinquante ans après. La mémoire peut jouer des tours à ces personnes, déjà âgées, d’autant que peu étaient apparemment proches des personnes sur les clichés.
Il devient vite clair que l’hypothèse de Zabou Breitman était erronée. La famille habitait la région parisienne et beaucoup des clichés ont été pris lors de vacances, dans des maisons de location. Le père du garçon n’était pas du tout garagiste mais a assuré des emplois très différents, finissant comme concierge dans le XIXème arrondissement de Paris. Le garçon, lui, n’a apparemment pas persévéré dans la restauration, “La Cigogne Basque” n’ayant eu qu’une existence éphémère. Mais le documentariste réoriente ses recherches vers d’autres pistes professionnelles. Il réussit à trouver de nouveaux indices ainsi que de nouvelles hypothèses à explorer. Des filons d’abord ténus, mais qui gagnent en consistance au gré des rencontres. Quand une personne du quartier ne se souvient pas de la famille du garçon, elle connaît d’autres personnes qui, elles, pourraient peut-être les avoir croisés. Petit à petit, le réseau se montre efficace. Et même quand elles ne connaissent pas le garçon, les personnes interviewées jouent le jeu en faisant des suppositions sur son caractère, son prénom, son métier… Et elles se révèlent finalement plus efficaces que la réalisatrice pour étoffer la partie fictionnelle.
A force d’opiniâtreté, après deux années de quête, Florent Vassault finit par rencontrer un septuagénaire qui lui confirme qu’il connaît bien les gens de la photo, que ce sont les membres de sa famille. Dès lors, il arrive à reconstituer le parcours du garçon, finalement prénommé Jacques, émaillé de rencontres et de ruptures, de réussites et d’échecs, de drames personnels.

Finalement, la réalité se révèle beaucoup plus intéressante que la fiction. L’histoire du garçon n’est pas une histoire extraordinaire, mais n’est pas non plus une histoire banale. Elle interroge sur les préjugés, les relations familiales, sur les choses de la vie qui font que l’on se fâche ou que l’on s’éloigne, sur les accidents de parcours. Elle bouleverse en faisant résonner quelques questions existentielles en chacun des spectateurs : Quels traces laisse-t-on de notre passage sur Terre ? Que reste-t-il d’une existence ? Au bout de combien de temps auront-nous été complètement oubliés une fois disparus ?
Il faut toutefois reconnaître une vertu au travail de Zabou Breitman. C’est grâce à cette partie fictionnelle un peu fade que le réel est aussi bien mis en valeur à la fin du film.
Et elle parvient in fine à trouver une approche intéressante, en cherchant à offrir au personnage un destin moins sombre que celui du véritable garçon, et en revenant surtout à une scène du passé, où Jean discute avec son meilleur ami, dans le train qui emmène à Paris, qui permet justement aux deux jeunes gens d’aborder ce sujet du sillage que l’on laisse et des rencontres que l’on fait.

Malgré nos quelques réserves sur le déséquilibre entre les parties, reconnaissons que l’ensemble est globalement réussi. Le Garçon s’appuie sur un concept intéressant, une enquête fascinante et réussit, tout en rendant hommage au garçon sur la photo, lui redonnant un nom et une histoire, à mettre en valeur tous les anonymes qui ont participé à ce film, plus touchants les uns que les autres.
Car la grand force du film, c’est bien ce côté humain. L’enquête progresse grâce aux rencontres, souvent touchantes (la discussion avec une nonagénaire ayant vécu toute sa vie dans le même immeuble parisien est absolument savoureuse ; celle avec l’ancien voisin du garçon, hanté par les regrets, est bouleversante). Et la fiction de Zabou Breitman se nourrit directement du contenu des interviews de Florent Vassault, utilisant les propos d’anonymes pour façonner les dialogues des personnages.
Ces belles interactions humaines permettent de comprendre que chaque personne porte en elle une histoire singulière, parfois tue, parfois oubliée, dissimulée sous des couches de mémoire imparfaite. Ensemble, elles permettent de reconstituer non seulement le puzzle d’une vie, mais aussi le portrait plus vaste d’une époque, d’un mode de vie, ses silences et ses injustices. Et elle nous pousse à nous demander ce que notre époque, notre société actuelle, laissera comme trace dans l’histoire.


Le Garçon
Le Garçon

Réalisateurs : Zabou Breitman, Florent Vassault
Avec : Isabelle Nanty, François Berléand, Damien Sobieraff, Nicolas Avinée, Florence Müller, Jean-Paul Bordes, Sarah Thiery
Genre : Docu-fiction reposant sur une enquête passionnante
Origine : France
Date de sortie France :  26/03/2025

Contrepoints critiques :

“Le format original du Garçon et la foi de ses créateurs en leur projet l’éloignent de l’anecdote, ouvrant des réflexions vastes et touchantes sur le temps qui passe, le souvenir qu’on laisse derrière soi, ce à quoi se résume une vie, ce qui mérite d’être raconté.”
(Catherine Painset – La Voix du Nord)

”Le dernier acte, articulé sur les révélations, trop explicatif, enlève pour sa part la part de mystère et d’incertitude qui faisait jusqu’alors le charme de l’ensemble.”
(Cédric Coppola – Nice Matin)

Crédits photos : Copyright Nolita

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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