Inside llewyn Davis - afficheChalut les humains,

Hé oui, c’est moi votre félin préféré, en direct de Cannes, pour vous parler du nouveau film des frères Coen, Inside Llewyn Davis.

Pourquoi est-ce à moi qu’incombe cette tâche, habituellement chasse gardée de notre rédac-chef’? Hé bien à cause des chats…  Comment ça, vous ne voyez pas le rapport entre les félidés et la musique folk des années 1960, au coeur de ce long-métrage? Et Cat Stevens, c’est du poulet? Bon OK, c’est un peu tiré par les poils, cet argument… Mais c’est bien une histoire de chat qui sert de fil conducteur de ce récit.

Le matou en question appartient aux Gorfein, un couple de bobos new-yorkais amateurs de musique folk. Souvent, en revenant de concerts donnés dans les bars de Greenwich Village, ils acceptent d’héberger Llewyn Davis (Oscar Isaac), un musicien sans le sou qui tente, en vain, de vivre de son art dans le New York des années 1960. Mais un matin, alors qu’il s’apprête à quitter le domicile de ses amis, le chat facétieux se fait la malle. Llewyn parvient à le rattraper, mais, n’ayant pas les clés de l’appartement des Gorfein, il ne peut pas y déposer le félin.

Aussi, il l’emmène chez deux de ses copains de Greenwich Village, Jean (Carey Mulligan) et Jim (Justin Timberlake), musiciens eux aussi. Mais il tombe au mauvais moment. Jean est furieuse. Elle en a marre de le voir squatter leur canapé, à intervalles réguliers, marre de ses visites à l’improviste, marre de le voir s’empêtrer dans sa loose. Et puis, gros motif d’agacement pour Jean : elle est enceinte. Potentiellement de Llewyn, qui, un soir, a réussi à glaner un peu plus que de l’hospitalité de la part de la séduisante chanteuse… Hors de question de garder cet enfant non-désiré. LIewyn va devoir lui payer l’avortement.  Et pour cela, il va lui falloir trouver de l’argent. Mais comment faire quand vos disques ne se vendent pas, que votre agent est un escroc, et que votre musique est jugée trop simple pour plaire au public? Pas simple…

Surtout quand il faut encore et toujours chercher ce chat, qui a pris la mauvaise habitude de se carapater à la première occasion. Ah ça, on aime notre indépendance, c’est connu!

Et puis, c’est normal que ce chat ait envie de voyages avec le nom que lui ont donné ses maîtres : Ulysse, comme le héros de “L’Odyssée”. Et comme le héros de O’Brother, autre film des frères Coen…

Inside Llewyn Davis et O’Brother se ressemblent à bien des égards. Ils sont tous deux articulés autour de l’idée d’un voyage, d’un cheminement initiatique permettant aux personnages de mûrir et de trouver leur place dans le monde. Et ils utilisent tous deux de la musique traditionnelle américaine comme bande-originale. La musique country entendue dans O’Brother a d’ailleurs beaucoup inspiré la folk des années 1950/1960. Il y a une filiation entre les deux films. Mais le style est radicalement différent. Le burlesque outrancier de O’Brother cède ici la place à une comédie plus intimiste, qui se teinte progressivement de nuances sombres et bascule quasiment dans la fable fantastique, un peu comme dans Barton Fink et A serious man.

Inside llewyn Davis - 4

Llewyn s’engage sur une pente savonneuse. Il va de mauvaise surprise en désillusion, tant sur le plan sentimental que sur le plan professionnel. Et les choses ne semblent pas près de s’arranger, le musicien s’ingéniant à multiplier les squats foireux et mauvais choix. On le voit par exemple, refuser les droits d’auteur d’une chanson qui deviendra plus tard un tube, pour pouvoir payer l’avortement de Jean…

Finalement, un voyage mouvementé en direction de Chicago, à la rencontre d’un grand ponte de l’édition musicale, achève ses dernières illusions et l’incite à tout plaquer, à ranger définitivement sa guitare pour reprendre sa vie de marin pas marrante. Fini de passer son temps à courir après le succès comme on court après un chat fugueur, place à l’amère réalité et “La Mer” réalité… Hop, larguez les amarres!

Vraiment? Non, parce que Llewyn est semblable au chat des Gorfein. C’est un être insaisissable, un vagabond qui part sans cesse à l’aventure et qui finit toujours par revenir au bercail. Et ce bercail, pour Llewyn, c’est la musique folk. Il a ça dans le sang et dans l’âme. Pas la musique folk “commerciale”, non. La musique folk des écorchés vifs, des miséreux, des gens qui mènent une vie de bohème. 
Bien sûr, il mène une vie difficile, il se prend des coups, il frôle même la mort, parfois. Mais, comme ce chat, il retombe toujours sur ses pattes…

Les Coen aussi retombent toujours sur leurs pattes. Ce nouveau long-métrage, inspiré librement de la vie du guitariste Dave Von Ronk, leur permet de signer une jolie comédie intimiste, tout en finesse, avec une brochette de comédiens épatants, Oscar Isaac en tête, et une bande-son entêtante.

Certains feront peut-être la fine bouche en regrettant que le film ne soit pas au même niveau que leurs chefs d’oeuvres, comme Barton Fink, A Serious man, Fargo ou The Big Lebowski. Mais avec ma mauvaise foi féline habituelle, je dis à ceux-là qu’un film guidé par un chat est forcément un grand film, et que ceux qui oseront prétendre le contraire s’exposent à un coup de patte griffu.

Allez, plein de ronrons cannois,

Scaramouche

Notre note :  ●●●●

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Scaramouche est un... chat. Son heureux maître, Boustoune, l'a baptisé ainsi après l'avoir vu escalader les rideaux et pratiquer l'escrime contre les plantes vertes, à la manière d'un héros de film de cape et d'épée. (Il a longtemps hésité avec Channibal et Cat Vador, mais bon...) Evidemment, avec un tel nom, l'animal ne pouvait que devenir cinéphile. Comme il n'avait rien d'autre à faire que de glander toute la journée sur le canapé, il s'est gavé de DVD et s'est forgé sa culture cinématographique, avant d'accepter de devenir critique pour Angle[s] de vue. Sa spécialité ? Les films dont les félins sont les héros. Et les films qui parlent de boxe et de sports de combat (il kiffe). Mais il doit aussi se farcir la plupart des critiques de films pour enfants (il kiffe aussi, sans l'avouer...). Il aime donner quelques coups de griffes aux films qu'il n'aime pas, et complimenter ceux qu'il aime de sa plus belle plume (volée à un pigeon trop téméraire). En tout cas, il n'aime pas les critiques qui ronronnent. Qu'on se le dise...

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