Un week-end au Festival de films de femmes de Créteil

Jour 1 : Ouverture en fanfare et en balafons, djembés et autres karignans

L’an passé, j’avais écrit un billet assez critique quant à l’organisation du festival, fustigeant notamment l’interminable cérémonie d’ouverture (deux heures de palabres, quand même…) et les retards incessants des projections. Qui aime bien châtie bien…
Il semblerait que mes doléances aient été entendues, puisque cette année, chose incroyable, inconcevable, l’ouverture a duré exactement vingt minutes, montre en main!
Pas de fleurs, pas de ballons, pas de laïus politique, pas de phrase d’ouverture prononcée dans soixante-dix langues différentes, moins de blabla,  donc moins de traductions interminables… Waouh! 
Bon évidemment, il faut bien avouer que l’ambiance s’en est quelque peu ressentie. On aurait aimé que quelques réalisatrices soient présentes sur scène pour lancer les festivités…
Et il faut relativiser. Cette entrée en matière efficace tient aussi beaucoup au fait que, pour une fois, l’ouverture se soit déroulée en deux temps : un concert de la chanteuse Rokia Traoré en grande salle, avec présentation du jury de la compétition long-métrages, et la projection, en petite salle, du premier film de la sélection, après la présentation succincte – tant mieux! – des autres jurys (graine de cinéphage, jury universitaire,…).

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Bon, faisons bref nous aussi et revenons au cinéma…
Premier court-métrage et première réussite, avec Daughters de Chloe Zhao, un film d’une dizaine de minutes qui en dit autant qu’un long-métrage sur la condition féminine en Chine : Un couple est sur le point d’avoir un troisième enfant, un garçon. La loi sur le contrôle des naissances l’interdit, à moins que le couple ne se sépare de l’une de ses deux filles. L’idéal étant de réussir à marier l’aînée… Un mariage arrangé, forcé, évidemment…
Le film montre bien le poids du patriarcat dans la Chine rurale, où une fille est considérée comme une malédiction, un boulet à traîner, alors qu’un garçon pourra être employé à des tâches plus physiques ultérieurement et assure en plus la lignée…

Le dernier été de la Boyita, premier film de la compétition, aborde également le problème, d’une façon différente et moins frontale. Dans la pampa argentine, où se déroule le film, les garçons sont, dès leur plus jeune âge, employés pour les tâches agricoles et l’élevage des chevaux. Et, pour qu’ils affirment leur virilité, on les pousse à s’affronter lors de courses sur lesdits chevaux.
Dans le film, de Julia Solomonoff, Mario, un jeune garçon préadolescent, se prépare justement pour cette épreuve. Mais, comme nous l’apprendrons bien vite, il n’est pas tout à fait un garçon comme les autres…
Le personnage principal est une fillette dont les parents viennent de divorcer. Sa sœur aînée, elle, est entrée dans l’adolescence et ne s’occupe plus du tout d’elle. Alors, au lieu de passer les vacances dans la vieille caravane désaffectée– la Boyita en question – qui lui sert habituellement de salle de jeux, elle décide de passer quelques jours avec son père, dans le ranch de ce dernier. C’est là qu’elle retrouve Mario et va nouer avec lui des liens affectifs profonds. Ensemble, ils vont découvrir que la vie est plus complexe qu’ils ne le pensaient, prendre conscience de leurs corps et de leurs sexualités. Et entrer de plain pied dans l’âge adulte…
En découle une œuvre intéressante, qui met un peu de temps à rentrer dans le vif du sujet, mais qui est empreint d’une certaine sensualité et traite de choses sensibles avec infiniment de pudeur.
une belle entrée en matière…

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Jour 2 : De la belle musique de l’orgue de barbarie

L’organisation du festival continue de nous surprendre agréablement cette année, en respectant scrupuleusement les horaires des projections.
En revanche, l’ambiance est toujours aussi morne. Le public ne s’est pas déplacé en masse, c’est le moins que l’on puisse dire au vu des salles aux trois-quarts vides… Et les cinéastes ne sont pas venues non plus, hélas… Sans doute est-ce un problème de finances… En ces temps de crise, il est difficile de financer le voyage et l’hébergement de toutes les réalisatrices, leurs équipes, et les traducteurs éventuels.
En revanche, on aurait aimé avoir au moins droit à la présence des cinéastes françaises,

Au programme de cette journée, j’ai tout d’abord casé un film de la section Trans-Europe-Afrique : L’enfant endormi de la belgo-marocaine Yasmine Kassari, date de 2004 et est toujours d’actualité. Il traite de la condition féminine dans les zones rurales du Maroc, là où les cultures ne poussent plus ou bien sont dévastées lors de la saison des pluies. Et surtout où les hommes, partis tenter leur chance en Europe, sont terriblement absents.
Le film, porté par une interprétation brillante de Rachida Brakhni et de Mounia Osfour, traite du poids des traditions et du manque d’éducation accordée aux femmes, qui empêchent leur émancipation.

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Dans Felicita, court-métrage de la géorgienne Salomé Aleksi, ce sont les femmes qui sont contraintes de partir chercher du travail dans d’autres pays, plus riches. Le phénomène est relativement nouveau dans nos sociétés, même s’il a déjà été évoqué dans certains longs-métrages récents. Dommage que la cinéaste n’ait pas bénéficié de moyens financiers plus conséquents, car les images, assez moches, ne rendent pas justice au travail effectué.
Mais ceci n’empêche pas le film d’être intéressant et réussi. Dans la lignée d’un Otar Iosseliani, la cinéaste signe une chronique tendre et poétique, au ton doux-amer, percutante et assez drôle.

On n’en dira pas tant de Waterloo, le court-métrage de Lucia Sanchez. Les intentions de la cinéaste étaient louables : symboliser l’égocentrisme des individus dans une société où il faut lutter âprement pour trouver sa place. Malheureusement, le film pèche au niveau de la forme, plombé par un jeu d’acteurs assez curieux et une mise en scène qui étire un peu trop les séquences. Au final, on n’est pas loin du fiasco évoqué par le titre…

J’ai pu voir deux autres courts-métrages, assez originaux et expérimentaux.
Le premier, Too damn late est une amusante variation sur la typographie et des différents métiers de « lettres ». Les paroles d’une chanson – « Too damn late », donc – sont peintes sur la vitrine d’une épicerie, apparaissent sur un journal sortant des rotatives ou des enseignes lumineuses… Un peu vain, mais plaisant à regarder et assez hypnotique…
Le second, Dream Walker, nous invite à suivre la soirée d’un homme ordinaire, soudain confronté, dans un métro de Taipei, à une princesse de conte de fées, belle à tomber, et un petit garçon déguisé… en théière ! Alice au pays des merveilles version moderne et masculine.
Curieux, mais plutôt pas mal…

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Au programme de ma journée, il y avait deux documentaires, de qualité radicalement opposée.
Asylum est un non-film, une aberration documentaire… La cinéaste Catherine Bernstein s’est contentée d’empiler des images d’archives, filmées au siècle dernier dans des asiles psychiatriques par le Docteur Georges Daumezon, supposé être à l’origine de la psychiatrie moderne. Mouais… S’il s’agissait juste de rendre hommage au bonhomme, il aurait été plus simple de faire un court de dix minutes avec commentaire hagiographique ad hoc plutôt que de nous infliger ce truc profondément soporifique…
Si vous avez envie de voir, une heure durant, des malades mentaux tourner en rond dans la cour d’un asile, ce film est susceptible de vous intéresser. Sinon, passez votre chemin…

El general est en revanche beaucoup plus intéressant. Arrière petite-fille du général révolutionnaire Plutarco Elias Calles, qui fut président du Mexique en 1924, Natalia Almada s’est replongée dans les archives familiales, notamment dans les enregistrements sonores de sa grand-mère, la fille de Calles, pour raconter à la fois l’histoire de sa famille et celle, troublée, de son pays, le Mexique. Au cœur de la démarche intime de la cinéaste, il y a la volonté de comprendre pourquoi cet illustre ancêtre était considéré comme quelqu’un de bien par sa famille et un tyran sanguinaire par une bonne partie de l’opinion publique.
Peu à peu le film dérive subtilement vers une analyse très fine sur l’exercice du pouvoir et sur et sur la façon dont le peuple a toujours été déçu, voire trahi, par ses hommes politiques, dans un pays perpétuellement instable. Intelligent, sincère et passionnant…

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J’ai également pu voir deux films en lice pour la compétition longs-métrages.
Tout d’abord, le gagnant du prix de la critique internationale du dernier festival du cinéma asiatique de Deauville, My daughter. En le voyant, difficile de comprendre pourquoi il a été primé là-bas, à moins que la compétition n’ait été de piètre niveau.
Le scénario, assez plat, repose sur une relation mère-fille conflictuelle dans laquelle les rôles sont inversés, la jeune femme s’inquiétant du caractère irresponsable de sa génitrice. Et l’émotion ne passe que par intermittence, malgré le jeu irréprochable des deux comédiennes principales. Cela dit – et c’est sûrement cela qui a touché les membres du jury – le film recèle quelques belles idées de mise en scène, dans les répétitions et le choix des cadrages.
La cinéaste Charlotte Lim Lay Kuen a assurément du talent, mais sa réalisation est ici trop appliquée, trop « scolaire » et finalement trop froide pour susciter l’adhésion du spectateur.

Le second film présenté, Mélodie pour orgue de barbarie, est en revanche magnifique à tous points de vue. Ce fut mon coup de cœur du week-end.
La cinéaste ukrainienne Kira Mouratova nous entraîne, 2h30 durant, dans un conte de Noël bouleversant, qui évoque « La petite marchande d’allumettes » d’Andersen et « Oliver Twist » de Dickens.
On y suit les tribulations de deux enfants, un frère et une sœur, partis à la recherche de leurs pères respectifs dans les rues d’une grande ville d’Ukraine. Dépouillés de leur argent par une bande de jeunes délinquants, perdus, affamés, ils doivent aussi affronter le froid et la neige, particulièrement intenses en cette veille de Noël…
Le film s’achemine doucement vers un drame poignant, mais il brille surtout par sa façon de dresser le portrait de la société ukrainienne, en confrontant les deux orphelins à des protagonistes issus de différentes classes sociales, des mendiants jusqu’aux nouveaux riches. C’est le portrait sans concession, finement politique, d’une société où l’individualisme règne en maître, où l’humain est relégué au second plan. Pourtant, il ne s’agit nullement d’un film froid et désincarné. Au contraire, il en émane une lumière chaleureuse, comme la lueur d’une bougie se consumant dans la pénombre hivernale.
Il s’agit d’une œuvre de toute beauté, formellement maîtrisée, portée par deux jeunes interprètes très justes et un ton mi-réaliste, mi-poétique, dans la droite lignée d’un Chaplin ou des plus grands noms de l’école russe.
Merci mille fois aux sélectionneuses des films pour ce beau cadeau…


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Jour 3 : La voix du griot

Grosse émotion, aujourd’hui à Créteil avec la présence de Sotigui Kouyaté, venu présenter Sia, le rêve du python, un film réalisé en 2001 par son fils Dani.
Bien que très diminué physiquement, en fauteuil roulant et sous assistance respiratoire, ce grand bonhomme a trouvé l’énergie pour honorer sa promesse et venir rencontrer le public francilien, entouré de sa compagne, sa fille et de quelques amis musiciens.
Nous n’avons pas assisté à une projection de cinéma : nous étions dans un village africain, réuni autour du griot – c’est ainsi que Sotigui Kouyaté se définit lui-même – ce sage conteur venu nous parler avec humour et tendresse de la vie, de l’art, de la place des femmes dans le monde.
C’était la première fois que le festival rendait hommage à un représentant de la gent masculine, et pour une première, ce fut réellement magique, un grand moment autour d’un grand homme.
Le film présenté fut également une belle surprise. Je l’avais raté à sa sortie, et j’ai pu ainsi rattraper cette lacune. Il s’agit d’un conte imaginaire, une allégorie du pouvoir dans certains pays d’Afrique et la façon dont les dictateurs en devenir parviennent à manipuler les peuples et les asservir.
Evidemment, on sent que le film n’a pas bénéficié d’un gros budget, qu’il a été monté à l’énergie et l’envie, et le jeu de certains acteurs est un peu trop amateur, mais l’ensemble est assez dense et mis en scène comme une tragédie grecque ou un drame shakespearien. Et bien sûr, Sotigui Kouyaté est très bon dans le rôle central, être ambigu, partagé entre ses ambitions dévorantes et ses drames personnels.
 
 

 

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Autre rencontre, celle avec Aïssa Maïga. Une jeune actrice encore peu connue, mais qui, petit à petit, se constitue une solide filmographie. Le grand public a pu la découvrir dans L’âge d’homme, avec Romain Duris, mais elle avait déjà su séduire les cinéphiles avec des films comme Bamako d’Abderrahmane Sissako et des collaborations avec de grands cinéastes, de Michael Haneke à Cristina Comencini, en passant par Cédric Klapisch.
La belle Aïssa est venue débattre avec le public de son rôle dans Quand la ville mord, un moyen-métrage de Dominique Cabrera, à l’origine un téléfilm prévue pour la collection « Suite noire ».
Elle est effectivement brillante dans ce film noir, où elle campe une africaine rêvant de devenir artiste-peintre, mais tombée entre les griffes d’un réseau de prostitution. Le film raconte la façon, douloureuse, avec laquelle elle va réussir à se libérer de ses chaînes.
Ce portrait de femme est réussi, tout comme la description de l’univers sordide de l’écrivain Marc Villard. En revanche, Dominique Cabrera s’emmêle les crayons dès qu’elle doit réaliser ses scènes d’action et de fusillades. Là, le film prend des allures de parodie bas de gamme alors que le sujet, très noir, aurait mérité davantage de rigueur. Dommage…
Même si le film s’avère donc assez moyen au final, décevant, le débat, en revanche, fut fort agréable, entre la cinéaste, défendant fort bien son point de vue et ses partis pris de mise en scène, et l’actrice, décontractée, amusée qu’on lui accorde une carte blanche/hommage alors qu’elle n’a « que » 34 ans et une longue carrière à accomplir.

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En dehors de ces deux belles rencontres, ma journée a été marquée par les projections de trois autres films, deux longs et un court.
On commence par le court : Seydou, film militant à sa façon pour les droits des sans-papiers : Seydou est un africain qui, en France, est employé à trier des déchets dans une usine. Il s’apprête à être lui-même trié par les pouvoirs publics puisqu’on va l’expulser du territoire. Son autorisation de séjour prend fin et il est maintenant persona non grata. Il ne possède pas l’un des diplômes qualifiants demandés par les ministères pour lui accorder un permis de travail… On veut bien de l’élite des étrangers, mais pas des petites gens qui viennent manger le pain des français…
Le film des sœurs Coulin est bref, mais concis et percutant…

En compétition, Blessed est un ambitieux film-choral australien traitant des relations parfois tendues entre les mères et leurs enfants au moment de l’adolescence. Il entremêle les destins d’une douzaine de personnages, pour la plupart issus de classes défavorisées ou de familles éclatées.
Le début est assez laborieux, confus et déséquilibré, les personnages n’ayant pas tous droit au même traitement. Du fait des longueurs d’un scénario calibré selon les codes du cinéma indie américain, on a tout loisir de se demander où veut en venir la cinéaste.
On en saura un peu plus au cours d’une seconde moitié de film mieux rythmée, qui comble les vides de l’intrigue et parvient in fine à émouvoir, grâce aux jolies performances de Frances O’Connor et Miranda Otto.
Malgré tout, on sort du film avec un sentiment assez mitigé, renforcé par le côté profondément sordide de l’histoire… Non, Blessed n’est pas une comédie…


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She, a chinese
de Xiaolu Guo n’est pas non plus une franche partie de rigolade. Le film suit le parcours de Mei, une fille de province chinoise, qui tente de s’émanciper en partant pour une grande ville, puis pour cet occident qui l’attire irrésistiblement. Mais entre le rêve et la réalité, il y a parfois un énorme fossé. En chemin, Mei découvrira viol, violence, prostitution et frustrations amoureuses…
La cinéaste a composé son film de saynètes de teneur et d’intensité inégale, mais la mise en scène est mieux structurée que pour son précédent film How is your fish today ?, resté inédit en France, et le résultat final, porté par la performance de l’actrice Huang Lu n’est pas trop mal. 

Bilan de ce (trop) court séjour au Festival de film de femmes de Créteil : de belles rencontres, un très bon film, plusieurs œuvres intéressantes à défaut d’être totalement abouties et une organisation en net progrès.
De quoi me donner envie d’y retourner encore et encore, et de promouvoir cette manifestation de qualité, qui mérite d’être soutenue.

Créteil 2010