Tralala affproOn ne pourra reprocher aux sélectionneurs cannois leur manque de cohérence tant cette année, les films semblent se répondre et tisser des liens souterrains.
Léos Carax se met au film musical, mais sans son acteur-fétiche Denis Lavant ? Voilà qu’on retrouve celui-ci dans Tralala des frères Larrieu, qui se mettent eux aussi à la comédie musicale. Mais c’est Mathieu Amalric, qui incarne le rôle-titre, un clochard musicien, doit subitement quitter son squat de banlieue, sur le point d’être rasé par les bulldozers. Un peu perdu, sans trop savoir où aller, il erre devant la gare Montparnasse quand il a une apparition – encore une des thématiques de Cannes 2021…  Il ne voit pas Jésus sur la Croix, comme Sœur Benedetta, mais une Marie des temps modernes (Galatea Bellugi), prénommée Virginie, comme il se doit, et habillée en jogging bleu. Elle lui paie un verre, lui donne un peu d’argent, et disparaît aussi vite qu’elle est apparue, ne lui laissant qu’un conseil, « Ne sois pas toi-même« . Un briquet oublié indique à Tralala sa future destination : Lourdes.

À l’arrivée, le pèlerinage commence mal. Son premier tour de chant déchaîne les foules – un groupe de trisomiques et une poignée de touristes curieux- mais déchaîne aussi les foudres d’un zonard local (Denis Lavant) qui le prive de sa précieuse guitare. Alors, il n’a rien d’autre à faire que de partir en quête de sa Vierge. Mais là encore, il se heurte à l’hostilité de la faune régionale, un gérant d’hôtel pas commode (Jalil Lespert) , qui met le clochard à la porte de son établissement trois étoiles.
Finalement, notre protagoniste finit par trouver un point de chute dans un ancien hôtel reconverti en refuge pour SDF. La sainte patronne des lieux (Josiane Balasko) le prend pour son fils aîné, disparu depuis plus de vingt ans et considéré comme mort. De Tralala à Tralalazare, il n’y a qu’un pas et le vagabond, guidé par le conseil de la Vierge, décide de ne pas être lui-même, mais un autre, ressuscité – comme l’héroïne de Titane, tiens donc…

Évidemment, certains flairent l’usurpation d’identité, comme le frère du disparu, Seb (le cracker de rocker Bertrand Belin), patron de bistrot aigri et frustré de n’avoir jamais quitté Lourdes pour tenter une carrière de chanteur, ou son ex petite-amie, Jeannie (Mélanie Thierry), qui voit bien à certains détails anatomiques et à son niveau de performance à l’horizontale, qu’il ne s’agit pas de son regretté amant. Mais comme personne ne peut ou veut le prouver, il est accepté dans la communauté et se voit offrir une chance de retrouver une vie « normale ».
Le problème avec la normalité, c’est toutefois son lot de complications : Devenu “Pat”, Tralala se retrouve vite coincé entre deux maîtresses torrides, un frère jaloux et doit supporter l’héritage de son nouveau personnage. Et, peut-être, l’impression désagréable de ne plus être aussi libre qu’avant…

Ce curieux objet cinématographique, entre comédie douce-amère, quête mystique et errance musicale, porte bien la patte des frères Larrieu. Si cette fois-ci, on voit très peu leurs chères montagnes pyrénéennes, l’action se déroule dans leur ville natale, Lourdes, dont ils filment les aspects touristiques religieux tout en montrant des facettes plus “rock’n roll” de la vie locale. On retrouve leur acteur-fétiche, Mathieu Amalric, qui achève sa cinquième collaboration avec le duo de cinéastes, mais aussi Philippe Katerine en tant que compositeur de la musique et de certaines chansons du film (1), après avoir déjà oeuvré aux bandes-originales de Un homme, un vrai et Peindre ou faire l’amour. Surtout, on retrouve les thématiques favorites de ces cinéastes atypiques : l’éloge de l’escapade et de la fuite, des rencontres de hasard, la recherche du plaisir et la quête de son identité.

Ce n’est sans doute pas une de ces comédies musicales entraînantes qui donne envie de danser jusqu’au bout de la nuit, mais une comédie complètement décalée, au ton étrange et au rythme indolent, marquée par des ruptures de ton, des revirements narratifs curieux et quelques moments de grâce.
Il est clair que cet objet cinématographique atypique ne plaira pas à tout le monde, mais c’est une proposition de cinéma différente, en tout cas, différente des autres films de la sélection officielle du 74ème Festival de Cannes, malgré les nombreux points communs évoqués plus haut. Au moins ici, on ne meurt pas d’un cancer du pancréas ou d’un coup d’aiguille à chignon bien placé… On vit, on ressuscite, on revit.

(1) : Les autres chansons ont été composées par Etienne Daho, Dominique A., Jeanne Cherhal, Sein et Bertrand Belin


Tralala
Tralala

Réalisateurs : Arnaud Larrieu, Jean-Marie Larrieu
Avec : Mathieu Amalric, Mélanie Thierry, Bertrand Belin, Josiane Balasko, Maïwenn, Jalil Lespert, Denis Lavant, Galatea Bellugi
Origine : France
Genre : Comédie mystico-musicale
Durée : 2h00

Contrepoints critiques :

”Comme un appel à la fiction, Tralala se mue, devient autre et la fiction apparaît. L’effet est troublant, déroutant d’abord et puis soudain on a le sentiment d’être emporté par le film, ses personnages, son esthétique joueuse”
(Renan Cros – Cinemateaser)

”There is not a single catchy melody that would justify any of the cacophony the audience must endure.”
(« Il n’y a pas une seule mélodie accrocheuse qui justifierait la cacophonie que le public doit endurer. »)

(Selina Sondermann – The Upcoming)

Crédits photos : Copyright Pyramide Distribution

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